Face à l’échec de la contre-offensive ukrainienne et après les atrocités commises par le Hamas, il est difficile de ne pas céder au pessimisme ambiant, difficile de ne pas être gagné par ce déclinisme d’atmosphère qui prédit la chute économique imminente d’un Occident vieillissant et usé, tombant sous les assauts répétés d’un « Sud global » à l’inverse plein d’allant, conquérant et revanchard. Un défaitisme très sombre mais aussi très exagéré, ne serait-ce qu’au vu des graves difficultés conjoncturelles et des immenses fragilités structurelles que connaissent les adversaires déclarés des démocraties américaines et européennes.
C’est d’abord le cas de la Turquie du plastronnant Recep Tayyip Erdogan, avec son taux d’inflation de 61,5 %, son déficit commercial abyssal (109 milliards de dollars en 2022) et sa livre effondrée et démonétisée, qui a perdu 35 % de sa valeur face à l’euro depuis le 1 er janvier et 80 % en cinq ans. L’économie iranienne est, elle aussi, en pleine déconfiture, victime des sanctions américaines mais surtout de l’incurie du régime des mollahs, plus soucieux de réprimer les manifestations d’opposants que de lutter contre une extrême pauvreté qui touche désormais le tiers de la population.
L’économie russe, elle, souffre des délires mégalomaniaques et sanguinaires de Vladimir Poutine mais aussi de cette fameuse « maladie hollandaise » qui frappe les pays riches en ressources énergétiques en faisant péricliter tous les autres secteurs de l’économie. À part des obus de mortier et des balles de kalachnikov, l’industrie russe ne produit plus grand-chose. Et l’avenir économique du pays se trouve encore assombri par l’exode massif, depuis le début de la guerre en Ukraine, de ses jeunes et plus brillants scientifiques, qui vide la Russie de ses compétences technologiques en même temps qu’il accélère son déclin démographique.
Quelques chiffres pour relativiser…
20
Parmi les meilleures universités du monde (classement de Shanghai), les vingt premières sont occidentales (15 américaines, 5 européennes).
49 %
Part des pays occidentaux dans le PIB mondial, selon la banque Goldman Sachs.
5,4 %
Part du PIB qu’Israël consacre à la recherche et développement. Record mondial.
59 %
Part du dollar américain dans les réserves de change mondiales (et 20 % pour l’euro).
Les failles de l’économie chinoise. Avec une natalité en chute libre, la Chine est aussi confrontée à ce problème gravissime. Elle devrait voir sa population, selon les projections de l’ONU, diminuer de moitié d’ici à 2100. Dans l’immédiat, son économie est confrontée à une crise de confiance généralisée qui se traduit à la fois par une chute des prix de l’immobilier, principal produit d’épargne des ménages, par une panne inédite de la consommation et par de fortes pressions déflationnistes, avec des prix à la consommation en recul de 0,2 % sur un an. Le tout-puissant Xi Jinping se révèle, dans les faits, impuissant à relancer la machine. Les difficultés de l’économie chinoise révèlent surtout les failles profondes et les contradictions insolubles du modèle « marxo-capitaliste » dans lequel la volonté de l’État de tout contrôler entrave la liberté d’entreprendre et l’initiative privée, dans lequel tout patron dont la réussite financière devient trop grande s’attire les foudres du comité central du Parti communiste. À l’image de Jack Ma, fondateur du géant de l’e-commerce Alibaba, contraint à l’exil.
La Chine, enfin, doit faire face à la concurrence de l’Inde qui, avec sa main-d’œuvre surabondante, meilleur marché et bien formée, attire de grandes multinationales occidentales, à commencer par Apple pour y fabriquer ses iPhone 15. Cette compétition économique à mort à laquelle se livrent les deux géants asiatiques suffit d’ailleurs à indiquer le côté factice de l’unité que tiennent à afficher, lors de leurs rencontres médiatisées, les dirigeants des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). En comparaison, le club des pays du G7 (États-Unis, Japon, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie) fait preuve d’une cohésion sans faille.
Afflux d’étudiants. Les jeunes Indiens, Chinois ou Vietnamiens ne semblent en tout cas guère convaincus par le déclin de l’Occident, à en juger par l’afflux croissant de ceux qui choisissent de venir étudier dans les universités américaines, canadiennes, australiennes et européennes. Les flux d’étudiants étrangers vers les pays de l’OCDE ont atteint un niveau record en 2022, avec 1,92 million de permis de séjour délivrés à ce titre, une hausse de 61 % en dix ans. À eux seuls, d’après les données de l’Unesco, les États-Unis hébergent près de 20 % des 4,3 millions d’étudiants en mobilité internationale, soit un nombre de 833 000, dont 295 000 originaires de Chine et 110 000 d’Inde. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que, selon le classement de Shanghai, quinze des vingt meilleures universités du monde sont américaines, les cinq autres étant européennes. Une grande partie de ces jeunes scientifiques chinois et indiens de très haut niveau ne retournent pas après leurs études dans leur pays de naissance, mais restent en Amérique du Nord et en Europe pour travailler dans les plus grandes entreprises ou créer des start-up. Permettant ainsi à l’Occident de conforter son avance en matière d’innovation technologique, qui reste jusqu’à preuve du contraire le moteur de la productivité et de la croissance économique.
Quand les États-Unis et l’UE déposent en moyenne chaque année respectivement 13 000 et 11 000 brevets triadiques (bénéficiant du triple sceau américano-européo-japonais), la Chine n’en dépose de son côté que 5 800, l’Inde 400 et la Russie 140. Quand les dépenses en recherche et développement représentent 3,5 % du PIB aux États-Unis, 3,3 % au Japon et 3,2 % en Allemagne, elles atteignent péniblement 1 % en Russie, 0,8 % en Iran ou encore 0,5 % en Arabie saoudite. Elles s’élèvent en revanche à 5,4 % du PIB en Israël, leader mondial dans ce domaine. Ce qui permet à l’État hébreu, malheureusement aussi sans doute en renforçant la haine que lui vouent ses voisins, d’être en pointe dans le secteur des hautes technologies : celui-ci représente à lui seul 12 % des effectifs salariés du pays, 18 % de son PIB et 51 % de ses exportations, chiffres sans équivalent dans le monde.
Richesse. Outre leur supériorité technologique, les économies occidentales peuvent s’appuyer sur leur hyperpuissance monétaire et financière que résume la composition des réserves mondiales de change des banques centrales : 59 % sont en dollars, 20 % en euros, 6 % en yens, 5 % en livres sterling et 3 % seulement en yuans. Même si leurs dirigeants prétendent le contraire, les pays du « Sud global » ont plus que jamais besoin, pour croître économiquement, de l’apport des technologies, des capitaux et des investissements venus d’Occident, besoin aussi des consommateurs américains, européens, japonais pour acheter leurs produits. Ce n’est pas sur ses « amis » – Russes, Brésiliens ou Sud-Africains – que la Chine doit compter pour vendre ses voitures électriques, mais bien sur les riches Californiens, Allemands ou Suédois. Les pays en développement ont beaucoup plus à perdre que les pays développés d’une fragmentation du monde en blocs économiques vivant séparément.
Certes, le poids des pays occidentaux dans le PIB mondial va continuer à se réduire au cours des prochaines décennies. Selon les projections de Goldman Sachs, il ne serait plus que de 36 % en 2050, contre 49 % en 2022 et 70 % en 2000. Un recul qui doit être relativisé. En 2050, le PIB par habitant des États-Unis resterait encore trois fois supérieur à celui de la Chine (99 000 dollars contre 32 000 dollars) et celui de l’Allemagne six fois supérieur à celui de l’Inde (79 000 dollars contre 13 000 dollars). Non seulement l’Occident est loin d’être aussi fichu économiquement que les déclinistes à la mode l’affirment, mais la richesse de ses habitants risque de susciter pour longtemps encore dans le « Sud global » beaucoup de jalousie et de ressentiment §
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