Âgé d'une cinquantaine d'années, Vincent Yang est le fondateur et le PDG de l'entreprise taïwanaise ProLogium. Elle vient tout juste de choisir le port de Dunkerque, dans le Nord, en France, plutôt qu'un site aux États-Unis ou en Allemagne, pour investir la bagatelle de 5,2 milliards d'euros dans la construction d'une méga usine de batteries électriques. 5,2 milliards d'euros ! Il s'agit du plus gros investissement étranger en France cette année, après les 5,7 milliards d'euros annoncés l'année dernière par STMicroelectronics et GlobalFoundries pour la construction d'une usine de semi-conducteurs à Crolles, dans l'Isère.
« Depuis deux ans, nous avons étudié pour réaliser un investissement en Europe ou aux États-Unis. Nous avions repéré 90 sites en Europe et 50 sites aux États-Unis », détaille-t-il aux côtés de Gilles Normand, un ancien dirigeant de Renault aujourd'hui vice-président exécutif en charge du développement à l'international de ProLogium. La société qu'il a fondée en 2006 opte finalement pour le Vieux Continent. « Nous avons décidé de nous implanter d'abord en Europe en raison d'une plus large adoption de la voiture électrique et de l'interdiction par l'Union européenne en 2035 de la vente de véhicules thermiques », explique Gilles Normand. Les véhicules électriques ont représenté 12 % des ventes dans l'Union européenne l'année dernière, deux fois plus qu'aux États-Unis. En outre, la moitié des Européens envisagent d'acquérir un véhicule électrique dans le futur, contre 25% d'Américains.
« Nous avons ensuite dressé avec le cabinet Accuracy un top 5 des meilleurs sites, situés en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Pologne. La liste a été réduite à trois sites. Il y avait Dunkerque face aux ports d'Eemshaven aux Pays-Bas et d'Emden en Allemagne », poursuit Vincent Yang. Il s'empare fièrement du classeur doré qui contient le Mémorandum d'entente (MOU) tout juste signé avec le président Emmanuel Macron et le ministre de l'Économie Bruno Le Maire.
Qu'est-ce qui a fait pencher la balance pour Dunkerque ? « L'électricité décarbonée disponible dont nous aurons besoin, avec l'immense centrale nucléaire de Gravelines et le futur parc éolien offshore. Nos futurs clients, les constructeurs automobiles, attachent une grande importance au bilan carbone de nos batteries », avancent les deux dirigeants de ProLogium.
Sur le site de 180 hectares retenus dans le port de Dunkerque, l'usine du Taïwanais emploiera 3 000 personnes et produira à la fin 2026 environ 8 gigawattheures (GWh). Elle atteindra une capacité de 48 GWh à l'horizon 2030. De quoi équiper plus de 500 000 véhicules électriques par an. Ses futurs clients ? ProLogium peut déjà compter sur Mercedes, un de ses actionnaires aux côtés du constructeur vietnamien VinFast et de l'aciériste coréen Posco. Selon nos informations, des discussions sont actuellement menées avec une demi-douzaine d'autres constructeurs, dont Stellantis.
Dès 2017, les services de la Direction générale des entreprises (DGE) avaient identifié ProLogium comme un investisseur potentiel. C'est l'implication personnelle d'Emmanuel Macron dans le dossier qui a fini de convaincre le patron tawaïnais. « Quand j'ai vu le président Macron au sommet Choose France, le 11 juillet 2022, il m'a dit : Je veux que vous vous implantiez chez nous. La France vous aidera avec toutes ses équipes. Je me suis senti encore plus bienvenu qu'en Allemagne et aux Pays-Bas. Cela a été décisif », se souvient-il. L'ingénieur doit le revoir ce 15 mai à l'occasion du nouveau sommet Choose France.
Vincent Yang a été aussi reçu à Bercy par le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire. Il a également rencontré le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. L'écosystème en cours de création dans le Nord autour de la vallée française de la batterie électrique a également joué. Il existe trois autres projets de gigafactory : ceux de la société grenobloise Verkor également à Dunkerque (Nord), du chinois AESC-Envision à Douai (Nord) et d'ACC à Douvrin Billy-Berclau (Pas-de-Calais). « C'est essentiel pour de futures synergies. Il va y avoir des centres de recherche, des universités et des fournisseurs sur place », se félicite Gilles Normand.
Parmi les fournisseurs de matières premières opérationnels dans l'UE, on trouve Arkema, Solvay, Umicore et BASF. Aujourd'hui, l'anode (l'électrode où a lieu une réaction électrochimique d'oxydation, NDLR) est composée de graphite provenant de Chine. Or, Vincent Yang travaille sur une anode à base de silice. « Il y en a en Europe. Au lieu d'importer de Chine, on peut localiser ce matériau en Europe et l'y raffiner », plaide Gilles Normand. Autre élément déterminant : les subventions directes pour soutenir ProLogium.
Le chèque, qui sera connu à l'automne 2023, devrait dépasser un milliard d'euros. Bruno Le Maire a négocié l'aide de l'État français directement avec Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence. « Contrairement aux crédits d'impôts IRA des États-Unis, les subventions en Europe interviennent dès le début du projet, ce qui change tout », admet Gilles Normand. Entreprise privée non cotée, ProLogium ambitionne d'aller en Bourse dans les prochains mois, en fonction des conditions de marché. « Nous avons déjà levé environ 700 millions de dollars depuis notre création, dont 500 millions ces deux dernières années », indique Vincent Yang.
Vincent Yang est un ingénieur aux 600 brevets
Ancien étudiant au département de Chimie et Science de la Taïwan University, cet ingénieur a déposé un total de 600 brevets et gagné des prix d'innovation (Edison Awards et CES de Las Vegas) pour sa technologie de batterie solide qu'il assure être « révolutionnaire ». « Depuis 1991, la batterie n'a connu aucune révolution, juste des évolutions. Il y a un vrai besoin de nouvelle technologie si l'on veut produire moins cher et avec des possibilités de rechargement plus rapide », considère-t-il.
L'ingénieur prend ensuite devant nous un échantillon de cellule solide reliée à une lumière led allumée qu'il a lui-même développée. L'électrolyte liquide qui permet de transférer les ions entre la cathode et l'anode et le séparateur, en polymère jugé fragile, sont remplacés par un matériau solide, la céramique. « La batterie est alors moins inflammable que si elle était en lithium-ion. De plus, elle possède une densité énergétique supérieure et un temps de recharge plus rapide », insiste Vincent Yang.
Pour sa démonstration, le Taïwanais empoigne une paire de ciseaux et assène sept coups à l'échantillon. « Maintenant, regardez ce qu'il se passe quand je le coupe », annonce-t-il comme un magicien devant son public intrigué. Miracle : la led reste allumée malgré les chocs et les coupures. « Si j'avais fait la même chose sur un électrolyte liquide, le système aurait chauffé et il y aurait eu un court-circuit », conclut-il l'œil satisfait.
Voir la démonstration ici.
Le fondateur ProLogium pense avoir dix ans d'avance sur ses concurrents, tels que QuantumScape, Factorial Energy et Solid Power. « Nous sommes les seuls à être passés du stade du laboratoire à la ligne pilote », affirme-t-il. Depuis 2017, le fabricant taïwanais dispose d'une ligne pilote de 40 MWh à Taïwan. Il doit y inaugurer une ligne d'une capacité de 0,5 GWH à la fin de l'année 2023. « Ce sera la première ligne de production de masse de batterie solide », se félicite Vincent Yang. Prochaine étape pour le Taïwanais : implanter un centre de recherche et développement dernier cri en Europe. La ville d'Amiens croise les doigts. Elle fait partie des sites étudiés par le fabricant de batteries solides.
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