Le Point : À quel président de la Ve République rattachez-vous Emmanuel Macron ?
Roland Cayrol :Il est clair qu'
Emmanuel Macronétait fait pour inventer le « en même temps » . Avant son élection, dans toutes les études, les Français disaient qu'ils en avaient assez de cet affrontement stérile entre deux blocs, l'un de gauche et l'autre de droite.
Emmanuel Macron, sa force, c'était qu'il était lui-même façonné par le « en même temps », du moins en 2017, étant le fruit d'une double ascendance, rocardienne et libérale. Son premier quinquennat s'est déroulé sous ces auspices. Il a pris des mesures pour favoriser l'émancipation des individus et il a, en même temps, engagé une politique économique libérale pro-entreprises. En 2022, il a été plus reconduit que réélu. La réforme des retraites ne semble pas avoir spécialement marqué les gens au moment où ils ont voté. Bref, Emmanuel Macron a été élu faute d'attrait d'autres candidats – et parce qu'il n'avait pas trahi ses promesses. Aujourd'hui, il est évidemment déporté sur son centre droit, mais beaucoup de ses amis, comme
Jean Pisani-Ferry,
Richard Ferrand,
Philippe Aghion, l'incitent à ne pas oublier le Macron originel. C'est un président qui reste mystérieux. Face privée, quand on le rencontre, il est sympathique, courtois, il suit les conversations, il prend des notes, il semble très attentif à son interlocuteur ; face publique, il s'est fait un personnage présidentiel dont on pense qu'il est méprisant et arrogant. Pour répondre à votre question, disons que c'est un Giscard plus jeune, mâtiné de rocardisme et de la pensée du philosophe Paul Ricœur. Rien n'est encore dit pour les quatre ans qui viennent. Macron peut encore réserver des surprises, son désir d'émancipation des individus est intact sur la santé, l'éducation, la culture, les conditions sociales.
Sa chute dans les sondages (- 10 % depuis juillet dans le baromètre Ipsos-Le Point) est-elle inexorable, selon vous ? Est-ce une donnée structurelle ou conjoncturelle ?
Le temps où un président de la République bénéficiait d'une bonne cote de popularité est révolu. C'est l'inconvénient du jupitérisme. Le président est coupable de tout et rarement bénéficiaire de ce qui va bien. Il n'y a plus de période d'état de grâce. Le chef de l'État retombe très vite dans une fourchette de 25 à 30 % dans les sondages. C'est le cas depuis Nicolas Sarkozy. Les présidents sont victimes du système qu'ils ont eux-mêmes mis en place. Il n'y a pas de contrepoids, et on attend tout de l'État dans un pays où il y a déjà trop d'État…
La multiplication des déplacements à l'étranger du chef de l'État et ce qu'il y dit n'ajoute-t-il pas de la confusion ? La ligne Macron n'est-elle pas plus illisible que jamais ?
C'est vrai qu'il parle trop vite, trop librement, ce qui ne correspond pas aux codes diplomatiques que l'on attend d'un président de la République. Cela lui nuit. Mais je note plusieurs éléments à son crédit. D'une part, l'engagement européen : Emmanuel Macron est resté ferme, très actif, très utile, sur la construction européenne. Il maîtrise les mécanismes, il connaît très bien Ursula von der Leyen, qu'il a fait désigner – rappelons qu'elle n'était pas le premier choix d'Angela Merkel –, et l'embarquer avec lui pour son voyage en Chine a été une bonne idée. Il a étendu le champ de l'Union européenne à la santé et à l'aide à l'Ukraine. Il a gardé le cap par rapport à son discours de la Sorbonne de 2017. L'engagement européen est une constance du macronisme. Autre point positif, il a maintenu le concept d'indépendance stratégique de la France, en conservant l'idée que la politique des blocs n'était pas satisfaisante. D'où la loi de programmation militaire. D'où l'idée d'une défense européenne, dans la vieille tradition gaullo-mitterrandienne de notre diplomatie. On ne peut pas ramener la politique étrangère d'Emmanuel Macron à des écarts de langage, il y a aussi une volonté de marquer l'attachement à cette indépendance stratégique française et européenne.
Percevez-vous un président isolé, comme on l'entend dire ?
L'Élysée, ça isole. Tous les fils de l'administration française conduisent à Matignon, pas à l'Élysée. Nous avons un système bicéphale qui tend à isoler le président de la République. Et cette tendance a été accentuée par le tempérament d'Emmanuel Macron lui-même, sa conception de la verticalité du pouvoir, la certitude qu'il a de son intelligence à prendre les bonnes décisions. À part Alexis Kohler, le conseiller en qui il a le plus de confiance, c'est lui-même. Ça me rappelle cette phrase que Sarkozy m'avait dite un jour : « Je ne suis entouré que de nains serviles. »
Souscrivez-vous au discours sur la crise démocratique ?
Je
crois que l'on peut dire cela. Mais ce n'est pas nouveau. La France est
un vieux pays politisé, mais qui ne croit plus en la politique, ou du
moins en celles et ceux qui la font. La France, plus encore que tous les
autres pays occidentaux, a rejeté les politiques. Ils sont jugés pas
honnêtes, pas compétents, pas proches de nous. Cette opinion s'est
enkystée depuis quinze ans. La désaffection vis-à-vis des politiques est
profonde. Nous sommes le pays d'Europe où il y a le moins de
négociation sociale, où la décentralisation est la plus faible, où les
collectivités locales ont le moins de pouvoirs, et moins d'autonomie
financière qu'ailleurs. Les taux d'abstention ne cessent de grimper
d'élection en élection, et on ne fait rien contre. Sept millions de
Français ne sont plus inscrits sur les listes électorales. Si l'on
n'appelle pas cela une crise démocratique… La démocratie purement
représentative ne peut plus marcher. Chacun dans notre vie, maintenant,
nous sommes appelés à participer aux décisions, que l'on soit parents
d'élèves, salariés, membres d'une association… Pas en politique !
Comment Emmanuel Macron peut-il se tirer de la nasse dans laquelle il se trouve ?
Emmanuel Macron doit changer. L'histoire de la réforme des retraites est un processus classique. C'est la huitième réforme depuis 1982, les Français y ont toujours été hostiles et dans les mêmes proportions. Il y a donc, aussi, une part de résignation. Nous nous sommes accoutumés à l'idée d'une sorte de fatalité. Maintenant, il va falloir apprendre à faire de la coconstruction avec les forces syndicales. Notre pays souffre socialement. 42 % des Français vivent avec le smic ou un revenu inférieur. C'est un défi social auquel il est vital de répondre.
Changer de Premier ministre, est-ce suffisant ? Et par qui pourrait-on remplacer Borne ?
Ça ne sert à rien. Dans l'histoire de la République, après une élection, un changement de Premier ministre donne un nouvel éclairage. Mais en cours de mandat, changer de Premier ministre n'a jamais modifié les données de l'opinion. Ce n'est pas comme cela qu'un président trouve un second souffle.
Pensez-vous, comme le montrent les sondages, que Marine Le Pen soit vraiment plus forte que jamais ?
Oui. Ce que Marine Le Pen a réussi depuis qu'elle a pris la tête du Front national est exceptionnel. Elle prend un parti qui n'a aucune chance d'arriver au pouvoir. Elle change de programme en abandonnant les relents antisémites et en adoptant le programme social de la CGT. Elle y ajoute le sourire et la proximité. Résultat, elle est première chez les ouvriers, les employés, les chômeurs. Et dans les derniers sondages, elle nationalise son assise en conquérant des voix chez les habitants des métropoles, des communes rurales, et chez les retraités. Oui, Marine Le Pen est aujourd'hui dans une situation favorable. S'il y a dissolution de l'Assemblée nationale, elle n'a aucune chance d'emporter les législatives, le plafond de verre est toujours là. Mais à la présidentielle, on peut avoir en France ce qui s'est passé en Suède et en Italie : la droite nationaliste au pouvoir. Il y a peu, il était inimaginable que les électeurs de la droite modérée s'allient avec le Front national, cela devient une hypothèse qui n'est pas à exclure, puisque la droite modérée se sent exclue du jeu.
Les médias sont-ils trop complaisants avec les discours et les violences contre le pouvoir ?
Vous m'embêtez avec votre question – c'est toujours trop facile de prendre les médias pour responsables de tout ! –, mais malheureusement, oui. Les journalistes sont dans le cœur de cible des critiques de l'opinion publique, ils ont besoin de montrer leur indépendance. Ce qui les conduit à ne pas être en sympathie avec le pouvoir. Dans les enquêtes d'opinion, 25 à 30 % des Français disent qu'on n'obtient rien sans violence, et la proportion monte chez les jeunes. Les journalistes, qui sont souvent jeunes, baignent dans ce climat. On sent chez eux l'envie d'en découdre. Ils veulent dénoncer le pouvoir, et cela les conduit à être parfois trop compréhensifs avec les violences.
Et vous, le vieux routier des médias, vous en pensez quoi ?
Dans une démocratie, les médias continuent à jouer un rôle essentiel. La décision citoyenne se fait à travers eux. Par conséquent, ce que Péguy disait des instituteurs, « les hussards noirs de la République », s'applique aux journalistes. Quand un journaliste oublie cette fonction citoyenne et qu'il sombre dans le militantisme, ce qui arrive, je le crois, de plus en plus, je le regrette.
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