La problématique d’illustrer un article avec une vignette adéquate lors d’une canicule n’est pas nouvelle. Cela fait plusieurs années que des spécialistes des enjeux environnementaux y réfléchissent, mais nous sommes encore très loin d’avoir une presse nationale ou internationale à la hauteur.
“Trop cool, il fait chaud, c’est l’éclate”
L’été n’est pas fini que nous avons déjà battu plusieurs records de chaleur un peu partout en Europe, soit au niveau d’une ville, d’une région, voire d’un pays, comme ce fut le cas au Royaume-Uni. Ces canicules sont le résultat du réchauffement climatique d’origine humaine, et cela ne fait aucun doute. Même si des canicules se sont produites dans le passé et qu’il est impossible d’affirmer qu’une canicule donnée est due au réchauffement climatique, nous pouvons néanmoins affirmer que la probabilité d’occurrence de ces évènements météorologiques a fortement augmenté du fait du changement climatique anthropique.
Aujourd’hui, ce lien fait défaut. La majorité des Français ne fait pas le lien entre l’augmentation des canicules, mégafeux, sécheresses et inondations et le changement climatique. Nous pouvons le constater tous les jours, avec comme cerise sur le gâteau un best of de bêtise humaine au mois de juillet, entre les pistes de ski en salle et les yachts qui tournent au rond devant la dune du Pilat pour exprimer leur solidarité après les incendies :
C’est ici que les médias entrent en jeu.
Les médias ont leur rôle à jouer
Les médias auront un rôle déterminant à jouer dans la transition écologique. Le GIEC l’a d’ailleurs rappelé dans son dernier rapport. Si nous souhaitons que les citoyens et citoyennes aident à ralentir le réchauffement climatique, il faudrait déjà que l’information soit correctement présentée.
Dans un monde où il est courant de s’arrêter au titre ou à l’image, que voulez-vous retenir des images suivantes ? Que les canicules tuent ? Qu’elles ont des conséquences pour la faune, la flore ? Que nos agriculteurs et agricultrices souffrent ? Qu’il y a des risques pour la santé ? Ou que c’est le moment de profiter des fortes chaleurs pour sortir le maillot de bain ?
La palme d’or de la plus mauvaise couverture médiatique est probablement celle ci-dessous. Une femme en bikini en gros plan, avec la mention “enjoy heatwave”, autrement dit “prenez du plaisir avec la canicule”, puis tout en bas à gauche, quand même, nous apprenons que des feux brûlent des maisons. Pas certain que les habitants de ces maisons enjoy la canicule.
Wolfgang Cramer, climatologue et auteur du GIEC, s’est récemment exprimé sur le sujet, visiblement lassé de voir que les illustrations ne sont pas à la hauteur : “Donc même le Guardian est incapable d’illustrer un événement météorologique meurtrier, aggravé par le changement climatique anthropique, par autre chose que quelques personnes heureuses au soleil et dans l’eau. Au prochain accident d’avion, vous montrerez des gens souriants embarquant dans un avion ?“
Des rédactions réagissent
Le travail de Saffron O’neil est particulièrement intéressant sur le sujet, avec une analyse de la façon dont a été couverte la canicule de 2019 dans 4 pays . Dans tous les pays, la majorité des photos montrent des personnes s’amusant dans/avec de l’eau.
Même si son travail n’a pas été validé par les pairs (visiblement pas d’intérêt général pour certains), cette analyse est particulièrement instructive sur le sujet et mériterait qu’il y ait un suivi dans les années à venir pour observer les progrès (ou non) de la presse en Europe.
Si ce n’était pas vraiment un sujet où vous pouviez vous faire incendier il y a encore quelques années, ce n’est plus le cas. Les activistes, scientifiques et collectifs veillent à ce que les messages soient mieux véhiculés et c’est tant mieux. Libération en a fait récemment les frais et a eu une réaction salutaire en expliquant le choix d’une mauvaise vignette. A l’instar du Monde ou du Guardian, les rédactions commencent à prendre l’initiative de réfléchir aux vignettes avant chaque publication d’article.
Alors, comment illustrer ?
Lorsque Libération avait illustré la canicule de juin 2022 avec un homme torse nu faisant bronzette dans un parc parisien, il se trouve que la vignette de l’article avait été discutée le jour même. Problème : le manque d’images.
“il faut bien comprendre que parfois, les images n’existent pas : par exemple, révéler comment des personnes âgées souffrent de la canicule, dans leurs appartements parisiens, implique une relation nouée avec ces personnes, et qu’elles autorisent que leur image soit utilisée. Et si de telles images étaient produites, elles le seraient dans un contexte précis, à un moment donné.»
Trouver une illustration est parfois un casse-tête. J’y ai personnellement déjà passé plusieurs heures après avoir terminé un article. Fort heureusement, il existe des solutions :
- Climate visuals : une base de données proposée par Climate Outreach, avec des images libres de droit.
- Des images et des actes : quels visuels pour parler climat ? Réponse sur le site, avec une base de données française et une trentaine d’images disponibles.
- Les banques d’images gratuites et payantes : il existe plusieurs banques d’images gratuites, petit à petit devenues payantes. Pexel et Unsplash sont probablement les plus connues, bien qu’il y en ait des centaines. Pour les médias comme Le Monde, Le Figaro ou Libération, j’imagine que quelques euros pour avoir une vignette adéquate ne devrait pas être hors budget.
- Nouvelles images, nouveaux imaginaires : au lieu d’illustrer l’article avec une plage, il est tout à fait possible de le faire en parlant du quotidien des personnes qui souffrent le plus du changement climatique. Par exemple, une personne travaillant dans le BTP ou dans l’agriculture. SI les images n’existent pas, c’est peut-être l’occasion pour des photographes de créer une nouvelle offre ?
NB : les canicules ne sont pas les seuls aléas climatiques qui ont besoin d’être illustrés correctement. La même rigueur doit s’appliquer pour les sécheresses, mégafeux et inondations. Il ne s’agit pas de retrouver un surfeur plein sourire sur une vague lors d’une inondation, ou des personnes prenant des selfies avec les feux en arrière plan comme ce fut le cas lors des incendies 2021 en Méditerranée.
Le mot de la fin
La France subit une sécheresse historique depuis au moins 1959. Nous avons eu des records de feux en juillet. La semaine du 1er août 2022, nous aurons la 3e vague de chaleur de l’année, avec des valeurs à nouveau supérieures à 40°C sur le territoire. Le changement climatique est déjà là, et nous avons besoin de médias qui soient à la hauteur des enjeux.
Illustrer des températures de 30°C avec une photo de plage, ce n’est pas forcément une erreur fatidique. En revanche, utiliser la même photo lorsqu’il fait plus de 40°C et que la canicule est potentiellement mortelle, c’est une faute professionnelle. Ce fut le cas lors de la canicule en Inde et au Pakistan, en Europe cet été, alors que la canicule a au moins fait 2500 morts (principalement au Portugal et en Espagne).
La
forme importe autant que le fond. Nous devons multiplier les moyens
pour que la majorité des citoyens et citoyennes fassent le lien entre
les aléas climatiques et les émissions de gaz à effet de serre. Il
faudra certainement changer les méthodes, innover. Par exemple, appeler les canicules par le nom des entreprises climaticides, comme TotalEnergies1 ou Gazprom3.
Ou encore illustrer ces aléas avec les personnes qui en souffrent le
plus. Il faut absolument insister pour que les médias fassent
systématiquement le lien entre les aléas et le changement climatique..
Si l’information ne suffit pas à passer à l’action, elle reste
indispensable si nous souhaitons ralentir la catastrophe en cours.
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