23/05/2022

Emmanuel Macron et les législatives 2022: majorité à l'Assemblée ou pas?

Source Courrier International  "

Mélenchon, Macron et ces frondeurs de Français

 De temps à autre, les Français jouent à se faire peur. Ils se persuadent que le consensus politique de ces six dernières décennies est sur le point de voler en éclats. C’est ce qui se passe cette année.

Voilà un mois, les sondages portaient à croire que Marine Le Pen et l’extrême droite avaient une chance de prendre le pouvoir à l’élection présidentielle. Ou bien les sondages se fourvoyaient, ou bien les électeurs français s’offraient une petite frayeur avant de se rétracter : Emmanuel Macron, apôtre réformiste du statu quo franco-européen, a remporté le scrutin avec 17 points d’avance. Désormais, certains laissent entendre que Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la gauche dure – eurosceptique, anti-Otan, antimarché, défenseur de longue date de Vladimir Poutine, admirateur de Maximilien de Robespierre –, pourrait devenir Premier ministre à l’issue des législatives des 12 et 19 juin prochains.

Le pourrait-il ? En théorie, oui. Y parviendra-t-il ? Le plus probable, et de loin, c’est que les électeurs français feront ce qu’ils ont toujours fait depuis l’entrée en vigueur du système électoral actuel, en 1965. Ils donneront au président nouvellement élu – ou réélu – une majorité suffisante à l’Assemblée, ou en tout cas une majorité. C'est le système électoral qui veut ça! ndlr

Les nouvelles tribus politiques de la France

Il n’en est pas moins indéniable qu’un phénomène étrange et nouveau est en train de se faire jour sur l’échiquier politique français. Mélenchon l’antisystème s’est hissé en position de force, un mois après l’ascension et la chute d’une autre antisystème, Marine Le Pen. Il ne faut voir là aucune anomalie, mais la conséquence logique d’une redéfinition des frontières politiques qui a commencé avec la dernière élection, en 2017.

Après sept décennies qui ont vu les blocs de droite et de gauche se succéder au pouvoir pour gouverner peu ou prou de la même manière, la France a éclaté en trois camps politiques, chacun sujet aux querelles intestines. Il y a d’abord le centre, consensuel, réformiste, promarché, europhile, pro-Otan, cornaqué par Emmanuel Macron mais rejoint par les franges modérées des vieux partis de centre droit et de centre gauche habitués du pouvoir. Vient ensuite la droite nationaliste et populiste, eurosceptique et islamophobe, partagée entre les partisans de Marine Le Pen, son rival malheureux Éric Zemmour, et l’aile dure des Républicains, parti gaulliste de centre droit en pleine décrépitude. Et aujourd’hui, à gauche, quatre clans qui se déchirent de longue date viennent d’être réunis par Mélenchon sous une même bannière radicale pour livrer la bataille des législatives et – martèle-t-il – former le prochain gouvernement.

Cette alliance a pour nom la Nouvelle Union populaire économique et sociale, ou Nupes. Elle réunit le mouvement de la gauche dure de Mélenchon, La France insoumise, les écologistes, les communistes et ce qui reste d’un autre parti en déshérence qui gouverna jadis, les socialistes. Plutôt que l’idéalisme ou la certitude partagée qu’ils seront en mesure de former un gouvernement dans un mois, le ciment qui tient ces groupes qui se font mutuellement horreur est le cynisme et l’impécuniosité. Les partis politiques français sont en effet financés par le contribuable à hauteur de 66 millions d’euros par an environ. Ces subsides publics sont distribués au compte-gouttes en fonction du nombre de voix et de sièges remportés aux législatives (1,42 euro par an pour chaque voix et 37 280 euros pour chaque député).

L’extinction financière et parlementaire

Au premier tour de la présidentielle, les socialistes au pouvoir il y a encore cinq ans ont remporté moins de 2 % des suffrages – autant dire qu’ils se trouvent aujourd’hui au bord de l’extinction financière et parlementaire. Mélenchon s’est classé troisième avec 22 % des voix, ce qui le met en position d’accomplir un exploit inédit dans l’histoire politique française : unir la gauche derrière un radical plutôt que derrière un centriste modéré favorable au marché comme l’étaient François Mitterrand ou François Hollande.

Au grand dam de beaucoup de leurs éléphants, dont François Hollande, ancien président, les socialistes europhiles ont décidé la semaine dernière d’adhérer à la Nupes, une alliance “rouge et verte”, radicale, eurosceptique et franchement incohérente. Son programme parle de “désobéir” ou encore de “déroger” aux règles de l’Union européenne encadrant l’économie, tout en insistant sur le fait qu’un futur gouvernement Nupes n’enfreindrait jamais le droit national ou européen.

Comment ces deux affirmations pourraient-elles être vraies ? C’est impossible. Le programme de Mélenchon, comme celui de Marine Le Pen, implique de quitter l’Union ou de la détruire par la désobéissance : un Frexit qui ne dit pas son nom.

Le reste du programme – dont le rétablissement à 60 ans de l’âge de départ à la retraite et le gel du prix des carburants et des denrées alimentaires – est à l’avenant. Les Verts, qui s’inquiètent du dérèglement climatique, ont ainsi accepté le gel des prix sur les combustibles fossiles ; les communistes farouchement pronucléaire ont accepté la sortie de l’atome, qui fournit 80 % de l’électricité française. Communistes comme écologistes partent donc forcément du principe que Mélenchon ne sera jamais Premier ministre et que son programme ne sera jamais mis en œuvre. Les uns comme les autres savent en revanche qu’une alliance avec lui est leur unique chance de conserver quelques sièges à l’Assemblée (pour les communistes) ou d’en grappiller quelques autres (pour Les Verts). Comme les socialistes, ils ont rejoint la Nupes pour toucher des subsides de l’État et assurer leur survie politique.

Prise de pouvoir de Mélenchon

Théoriquement, Mélenchon pourrait se hisser au pouvoir sans remporter la présidentielle. Si le système politique français est présidentiel dans la forme et dans la pratique, le vrai pouvoir n’en réside pas moins entre les mains du Parlement. Si la gauche décroche 289 sièges ou plus à l’Assemblée, Mélenchon pourrait obliger Macron à le nommer à la tête du gouvernement. La nouvelle Assemblée pourrait alors rejeter tous les autres choix de Macron jusqu’à ce qu’il cède. Ce qui ne laisserait à Macron qu’une marge de manœuvre limitée sur les fronts de la politique étrangère et de la défense. Il pourrait bien convoquer une nouvelle élection (ou plusieurs) mais, à tous autres égards, les rênes de la France reviendraient en réalité à Mélenchon, comme ce fut le cas avec le socialiste Lionel Jospin entre 1997 et 2002.

Si la gauche avait un programme plus modéré et un chef de file moins clivant, une telle cohabitation* serait possible. Dans un sondage récent, 56 % des personnes interrogées s’y disent favorables. Seulement voilà, avec Mélenchon à sa tête, la gauche n’a aucune chance de réunir une majorité parlementaire. La France insoumise a d’ores et déjà distribué des affiches barrées du slogan “Mélenchon Premier ministre*”. Elles sont un outil de campagne efficace – mais pour Emmanuel Macron. Comme le fait remarquer Chloé Morin, politologue et écrivaine : “Jean-Luc Mélenchon est l’atout principal de La France insoumise. Il est aussi son plus gros handicap. C’est un très bon orateur et un tacticien hors pair, mais aussi une figure profondément clivante.”

Concrètement, cela veut dire que les législatives pourraient bien être le négatif de la présidentielle du mois dernier. Si Macron y a triomphé, c’est parce que beaucoup sinon tous les électeurs de gauche l’ont soutenu au second tour pour faire barrage à Marine Le Pen et à l’extrême droite. Et si son alliance parlementaire rafle beaucoup de sièges le mois prochain, c’est parce que beaucoup sinon tous les électeurs de droite la soutiendront au second tour pour faire barrage à Mélenchon et à la gauche dure.

Certes, il existe un certain nombre de complications possibles. Il ne s’agit pas après tout d’une élection mais de 577, avec des enjeux locaux et des personnalités locales. Et, contrairement à l’élection présidentielle, plus de deux candidats peuvent, en théorie, se retrouver au second tour. Pour se qualifier pour la troisième (voire la quatrième) place, un candidat doit recueillir un nombre de voix au moins égal à 12,5 % des électeurs inscrits dans sa circonscription au premier tour. Comme le taux de participation devrait descendre une fois de plus sous les 50 %, la barre pour se qualifier à la troisième place se situera autour de 25 % des gens qui auront pris la peine d’aller voter.

Voilà cinq ans, il n’y avait eu qu’une seule triangulaire. Si cette situation devait se représenter, l’avalanche de duels au second tour serait favorable à Macron, comme alors.

Le court terme et le long terme

Un récent sondage Harris Interactive porte à croire que la Nupes pourrait remporter un peu plus d’un tiers des voix au premier tour des législatives. L’alliance de quatre ou cinq partis centristes derrière Emmanuel Macron – baptisée Ensemble – serait un peu derrière. La droite recueillerait pour sa part environ un tiers des voix, mais partagées dans chaque circonscription entre lepénistes, zemmouriens et Républicains – qui ont refusé une alliance nationale. Au second tour, le sondage en question calcule que l’alliance de Macron remporterait largement plus de 300 sièges (la majorité est à 289) tandis que l’alliance de gauche en décrocherait moins d’une centaine.

Un chiffre sans doute insuffisant. Si Mélenchon parvient à mobiliser les jeunes urbains et les habitants des banlieues multiethniques, comme il l’a fait à la présidentielle, il a une petite chance de priver Macron d’une majorité absolue. Mais il est plus probable que l’alliance de Macron décroche une majorité confortable : une fois de plus, on se sera fait peur pour rien.

Reste que la majorité de Macron à l’Assemblée – comme sa victoire à la présidentielle – aura été remportée pour partie par défaut. Il entamera ce nouveau quinquennat avec le soutien réel d’au mieux un tiers de l’électorat.

Autant dire que le centre ne peut pas se laisser aller à l’autosatisfaction. Pour ce qui concerne le long terme, les partisans du statu quo franco-européen ont de bonnes raisons d’avoir peur. Instable par nature, la division tripartite de l’Hexagone – gauche radicale, centre modéré, droite nationaliste – est partie pour durer.

La France est un pays de frondeurs : son instinct est de mettre les dépositaires du pouvoir à la porte à chaque scrutin national. Combien de temps le centre europhile peut-il espérer survivre avec le soutien tactique de ses ennemis, qu’il s’agisse de la gauche pour contrer la droite nationaliste ou de la droite pour contrer la gauche radicale ? Réponse dans cinq ans.

 

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