Il n’est pas banal de voir l’un des perdants de l’élection présidentielle mener le jeu comme s’il avait gagné. Avec un indéniable talent, le leader de La France insoumise exploite toutes les failles de la recomposition politique, observe Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.

Publié le 10 mai 2022 à 02h28 - Mis à jour le 11 mai 2022 à 15h17 Lecture 3 min.

Plus que jamais, la vie politique prend des allures de théâtre avec ses chausse-trapes et ses tours de passe-passe. Au royaume de l’illusion, le prestidigitateur Mélenchon détrône tous les autres. Il a perdu l’élection présidentielle, le 10 avril, en se rangeant à la troisième place. C’est pourtant lui qui tient le haut du pavé, à la barbe des deux finalistes qui apparaissent, par contraste, étonnamment éteints. Marine Le Pen vient tout juste de réapparaître, dimanche 8 mai, dans son fief d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) après deux semaines de retrait médiatique. Réinvesti la veille pour un nouveau mandat, Emmanuel Macron n’a toujours pas nommé la nouvelle équipe gouvernementale chargée de mettre en œuvre son projet. Le seul qui s’agite, commande, engrange les points s’appelle Jean-Luc Mélenchon. Il est devenu le deus ex-machina de ce qu’il appelle « le troisième tour » de l’élection présidentielle, comprendre les élections législatives des 12 et 19 juin.

Plus que jamais, la vie politique ressemble à une farce car sinon comment comprendre que deux gauches qui se considéraient naguère comme irréconciliables car en désaccord sur des sujets aussi essentiels que l’Europe, les alliances internationales, la laïcité ou l’économie de marché s’unissent (presque) comme un seul homme derrière le héraut de « la désobéissance européenne » et de la VIe République ?

Ce qui était considéré comme totalement inimaginable il y a encore trois semaines est devenu réalité. Europe Ecologie-Les Verts, le Parti communiste français et le Parti socialiste (PS) sont entrés dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) aux conditions de l’« insoumis », en échange d’une poignée de circonscriptions considérées comme gagnables. Les convictions ont été reléguées derrière tout le reste, aussi plastiques que ceux censés les défendre.

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Plus que jamais, l’époque est amnésique car, sinon, comment croire que la perspective d’une cohabitation entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, en désaccord sur tout excepté peut-être la planification écologique, puisse apparaître comme une option crédible ?

C’est pour éviter la fois de trop, après trois expériences éprouvantes (1986-1988 ; 1993-1995 et 1997-2002), que la droite et la gauche s’étaient alliées en 2000 pour faire voter le quinquennat. Encore faut-il préciser que, à l’époque, la question européenne n’était nullement une pomme de discorde entre les cohabitants.

Un acteur talentueux

Jean-Luc Mélenchon est un acteur talentueux, doublé d’un séduisant bonimenteur. A 70 ans, il joue la partition de sa vie, fait croire que la gauche radicale peut gouverner le pays. Eclairé par ses échecs passés et la dynamique qu’il a su créer durant les dernières semaines de sa campagne, il est devenu le perdant de l’élection présidentielle le plus habile à exploiter les ressorts d’une VRépublique que pourtant il abhorre.

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