27/04/2022

Entretien avec Philippe Raynaud. La Vème République, une solidité à toute épreuve ?

Source Sciences humaines par Hugo Albandea 

Le dernier ouvrage de Philippe Raynaud retrace l’histoire de la Ve République pour en saisir « l’esprit ». Il décrit un système centré sur la présidence de la République, dont la principale qualité est la solidité face aux crises politiques.

Quelles sont les crises majeures traversées par la Ve République ?

La première véritable crise date de 1962, quand Charles De Gaulle propose par référendum l’élection du Président de la République au suffrage universel. Le chef de l’État est alors très critiqué par l’ensemble de la classe politique, la plupart des professeurs de droit et des juristes. La procédure utilisée, qui contourne le Parlement, est jugée contraire à la Constitution par le Conseil d’État. Finalement, le Général De Gaulle triomphe de ces difficultés et le référendum ratifie largement sa proposition.

Le deuxième épisode décisif se déroule en 1968.  Les événements du mois de mai constituent une crise sociale de grande envergure, qui se traduit par un changement dans la manière de gouverner. De Gaulle souhaite sortir de la crise par un nouveau référendum qui mettrait fin aux grèves en adoptant des projets de réforme ambitieux. Finalement, il se rallie à l’idée de Georges Pompidou et dissout l’Assemblée Nationale. Il mise ainsi sur une victoire parlementaire, acquise très largement après les élections législatives.

Ensuite, des difficultés de plus faible ampleur ont eu lieu, au rythme des alternances et des cohabitations. Ce ne sont plus des crises. Ce qui est remarquable dans ces épisodes, c’est la solidité du régime, qui a réussi à négocier des virages très importants. On aurait aussi pu penser qu’une Assemblée Nationale hostile au Président créerait une crise. Mais quoiqu’on en pense, la cohabitation de 1986 et celles qui ont suivi en 1993 et 1997 montrent que le régime s’accommode de cette situation. 

Le système politique français fait l’objet d’une défiance croissante. Faut-il y voir une crise du régime ou une crise des partis ?

Les difficultés concernent surtout le système politique partisan. Ce système est issu de la double éclipse du communisme et du gaullisme au cours des années 1980. Il est basé, depuis 1981, sur l’alternance entre les deux grands partis, les Républicains à droite et le Parti Socialiste à gauche, et sur leur acceptation commune de trois grands principes : l’État de droit, l’économie de marché, et la protection sociale. Tout cela dans le contexte de l’acceptation plus ou moins enthousiaste de la construction européenne.

La crise de ce système est amplifiée par la loi électorale, c’est-à-dire par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Cette loi est censée favoriser les coalitions et l’alternance, mais elle suppose que tous les partis s’engagent dans des alliances. À partir du moment où d’autres partis comme le Front National, qui ne peuvent ni ne veulent être dans une alliance, sont à plus de 20 % dans les sondages, les difficultés s’accroissent. Par ailleurs, les avantages conférés aux élus, y compris une garantie incontestable des libertés comme l’immunité parlementaire, jadis tolérés, sont aujourd’hui perçus comme injustifiés. Ces sujets de contestation sont insuffisamment pris en compte par les deux partis traditionnels. Le cœur du problème se trouve dans la discordance croissante entre les deux partis dominants et le corps électoral. Depuis le référendum sur la constitution européenne, le système est en décalage avec les électeurs. 

Vous décrivez une République à l’exécutif fort. Dans ce contexte, quels sont les enjeux des élections législatives ?

Le Président qui sera élu n’a aucune garantie de tenir correctement une majorité parlementaire, que ce soit dans son propre parti ou dans les alliances éventuelles. Mais l’incertitude parlementaire n’a pas toujours posé problème. Pensez au gouvernement de Michel Rocard : il a été l’un des plus efficaces et des plus réformateurs de la Ve République. Pourtant, le Parti Socialiste n’avait pas de majorité à l’Assemblée Nationale, mais il est vrai que le Premier Ministre d’alors avait fait un usage très large de l’article 49.3, qui ne serait plus possible aujourd’hui.

Ce qui est nouveau par rapport au gouvernement rocardien, c’est la crise de légitimité qui touche l’ensemble du système politique. La classe politique n’a jamais été autant critiquée, d’autant plus que ses privilèges sont de moins en moins associés à un pouvoir effectif. 

Malgré les critiques, vous pariez sur la pérennité de la Ve République. Pour quelles raisons ?

Les Français restent attachés à un exécutif fort élu au suffrage direct ; ils ne sont pas mûrs pour un régime parlementaire. Benoît Hamon l’a appris à ses dépens : il est le candidat qui s’est le plus engagé contre la « monarchie présidentielle » et il a mené une campagne orientée sur le parlementarisme, ce qui lui a fait perdre une grande partie de ses électeurs. À l’inverse, Mélenchon, tout en parlant de VIe République, joue énormément sur son côté leader charismatique, ce qui montre sa maîtrise du présidentialisme propre à la Ve République. L’idée d’un changement de République, qui ne fait d’ailleurs pas consensus, est avant tout une critique du fonctionnement de la Ve. Il reste que ce régime conserve une certaine autorité, puisque quasiment tous les mouvements politiques se plient à la loi de l’élection présidentielle. 

Ne peut-on pas imaginer des dispositifs permettant de pallier les défauts de représentativité ? Le tirage au sort, par exemple, est parfois présenté comme une alternative au scrutin…

Le principe du tirage au sort se fonde sur la défiance à l’égard de la représentation. Il se réfère plus ou moins explicitement à la démocratie athénienne, qui tirait au sort certains magistrats pour un mandat temporaire. L’élection, a contrario, était faite pour choisir les meilleurs : Athènes n’élisait des magistrats que lorsqu’elle reconnaissait la dimension aristocratique (« aristoi », les meilleurs, ndlr) de la magistrature en question. Le tirage au sort est supposé permettre aux citoyens d’exprimer l’authentique volonté populaire sans passer par le tri de l’élection. Il est lié, comme tout ce qui relève de la démocratie directe en France, à un héritage – plus ou moins fantasmé – de la Révolution, de la Commune de Paris, des conseils d’ouvriers, etc. Les expérimentations et débats dont il fait l’objet témoignent surtout d’une aspiration générale à un renouvellement des têtes.

 

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