27/03/2022

Poutine est dans la Raspoutitsa et nous avec... - Votre Tribune de la semaine

Poutine est dans la Raspoutitsa et nous avec...

Par Philippe Mabille Directeur de la rédaction de La Tribune.

Embargo impossible, guerre impensable, l'Occident et la Russie sont dans une position bien connue de fin de partie, celle de l'échec et pat (quand aucun joueur ne gagne).

Embargo impossible, en tout cas pas tout de suite, l'Allemagne a été claire là-dessus : sans le gaz russe, son économie serait à l'arrêt.  Alors que les pays européens continuent de se faire massivement livrer du gaz pour reconstituer leurs stocks -  16,8 milliards d'euros depuis le 24 février dernier -, le président ukrainien Zelensky met la pression sur la réputation de ceux qui financent la guerre.

L'Europe s'est mise elle-même en danger en ne diversifiant pas assez ses importations. Il lui faudra au moins trois ans et un recours massif à des solutions d'énergies propres  pour parvenir à se libérer de la Russie en 2025, souligne  Juliette Raynal.

De son côté, Vladimir Poutine a riposté aux sanctions par une mesure inattendue, en exigeant de l'Union européenne  de régler ses achats de pétrole et de gaz en roubles... Les Européens dénoncent  une potentielle rupture des contrats, expliquent  Marine Godelier et Robert Jules. Cette accélération du calendrier intervient alors que les Occidentaux mettent en place une " task force" pour intensifier le remplacement partiel des livraisons de gaz russe par le GNL, notamment en provenance des Etats-Unis. Et  pourquoi pas se faire régler le gaz en Bitcoin, imagine-t-on à Moscou, note  Jeanne Dussueil. Ce scénario improbable vient de faire son apparition.

Accusé de financer la guerre, l'Occident pèse le pour (faire pression sur Poutine et les oligarques) et le contre (plonger l'économie mondiale en récession avec un baril à plus de 200 dollars) d'un durcissement des embargos. Le fragile consensus de Bruxelles apparu lors de la journée des trois sommets -OTAN avec Biden, UE et G7 - montre que  l'Occident n'est pas prêt non plus pour une troisième guerre mondialeBien sûr, des « lignes rouges » ont été brandies, comme celle de l'utilisation éventuelle d'armes chimiques ou biologiques ou a fortiori nucléaire tactique. Mais, au-delà de la communication, la guerre est évidemment impensable entre puissances nucléaires. En tout cas improbable...

« Paix impossible guerre improbable », c'était le titre du premier chapitre du célèbre livre de Raymond Aron « Le grand Schisme » dans lequel l'éternel opposant de Sartre a popularisé en France la naissance de la guerre froide en 1947, un équilibre de la terreur précaire mais durable. En 2022, la nouvelle guerre froide est bien pire puisque le nombre de puissances nucléaires s'est élargi et  Kim Jung-Un joue avec nos nerfs à la roulette nord-coréenne...

La venue du président américain Joe Biden en Europe et son passage par la Pologne à 100 km de la frontière polonaise a certes permis à l'Occident de resserrer les rangs, mais malgré le déploiement de troupes supplémentaires qui portera à plus de 100.000 hommes le nombre des soldats US pour défendre l'OTAN, c'est, une fois de plus, le parapluie nucléaire américain qui nous protège.  Les Etats-Unis sont-ils vraiment le sauveur de l'Europe ? interroge notre chroniqueur politique  Marc Endeweld. En réalité, le cynisme l'emporte dans cette morbide diplomatie de l'énergie, car les Etats-Unis espèrent bien que le gaz naturel liquéfié américain remplacera dans les ports européens le gaz russe.

Signe que le jeu d'échec sanglant qu'il a ouvert le 24 février est dans l'impasse, Poutine recule. Ce n'est pas encore la retraite de Russie, dans l'autre sens, mais un premier pas que fait le ministère russe de la Défense en annonçant vendredi que l'armée va désormais se concentrer sur la « libération complète » de la région du Donbass, russophone, à l'est de l'Ukraine. Cela signifie-t-il que la Russie admet, un mois après le déclenchement de la guerre, que la conquête de toute l'Ukraine sera impossible ?

Il est encore trop tôt pour espérer le retour de la diplomatie. L'autre retraite de Russie concerne  les entreprises occidentales inquiètes pour leur réputation alors que les opinions occidentales dénoncent les violences contre les populations civiles. Côté français, le groupe Mulliez et ses enseignes Auchan, Décathlon et Leroy Merlin, mais aussi Renault et Total ont été au cœur de la tempête.

Patrick Pouyanné a été pris pour cible par le candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot qui n'a pas hésité  à accuser TotalEnergies de « complicité de crimes de guerre »... et lui a répondu sur le même ton en moquant sa place dans les sondages et en assurant que  l'exposition du groupe en Russie est « très gérable »

Nabil Bourassi raconte  par le menu la semaine décisive de Renault, accusé par Zelensky de financer la machine de guerre russe, qui s'est résigné de guerre lasse à quitter la Russie et  de céder sa participation dans le constructeur Avtovaz, un départ en catastrophe qui pose de nombreuses questions. En perdant son deuxième marché mondial,  le groupe automobile français fragilise aussi sa position dans l'Alliance avec Nissan.

Seul Poutine peut arrêter cette " Raspoutitsa", cette boue ukrainienne qui peut atteindre plus d'un mètre de profondeur lors de la fonte des neiges et lors de pluies de l'automne et dans laquelle s'embourbent et son armée et l'économie mondiale.

A part ça, vendredi 25 mars, Greta Thunberg a relancé les " Fridays for future" avec une opération «  Global Climate Strike » médiatisée par un clip de l'agence Fred&Farid qui vaut son pesant d'or vert... Dimanche, à 2h du matin, il sera 3 heures et on dormira une heure de moins, mais on aura aussi plus de soleil le soir pour profiter des terrasses en attendant la sixième vague du Covid et/ou les bombes russes ou ... Nord-Coréennes.

Surtout ce sera lundi 28 mars le début officiel de la campagne pour l'élection présidentielle française... Ah bon,  « parce qu'il y a une campagne » nous a dit lors d'une passionnante conférence sur la guerre en Ukraine l'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. A l'invitation de La Tribune, il débattait  sur le nouvel ordre ou plutôt le nouveau désordre mondial avec un autre ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, fin connaisseur de la Chine.

La vidéo complète du débat Raffarin/Cazeneuve est à retrouver ici sur notre chaîne YouTube.

A moins de 20 jours du premier tour et un mois avant le tour décisif de la présidentielle,  La Tribune a sondé avec l'IFOP le regard des Français sur la place de leur pays sur la scène internationale. Inquiets de la guerre en Ukraine, ils sont en train de tirer les leçons de la crise sanitaire et se préparent pour le choc économique de la crise énergétique qui vient. Les Français voient leur avenir dans une Europe indépendante des énergies carbonées, si besoin par un mode de vie plus sobre avec un recours accru au nucléaire. L'Europe et la proximité sont plébiscitées comme la réponse la plus appropriée pour affronter un avenir incertain.

Quel prix sommes-nous prêt à payer et pour combien de temps pour maintenir la pression sur la Russie ? Voilà ce qui se joue en Occident et cette arme agitée par Poutine a un visage,  l'inflation, cet impôt que ne dit pas son nom.

Les Français commencent à le ressentir. Cette semaine,  le taux des emprunts d'Etat a franchi la barre des 1% et cela se répercute déjà sur celui des crédits pas encore des prix immobiliers. Pour limiter la casse, et  face au risque de tensions sociales et du retour des « gilets jaunes » au carré, le gouvernement multiplie les chèques pour freiner la hausse des prix mais ces mesures qui dépassent les 22 milliards d'euros à date sont  jugées coûteuses et trop peu ciblées par de nombreux économistes.

Tout va augmenter, donc, y compris les salaires.  La métallurgie vient de décider de relever de 3,1% les minimas dans le secteur, soit en deçà des 5% demandés par les syndicats pour compenser la hausse des prix. La question va monter pendant ce qui reste de la campagne électorale.  Pour ou contre un Smic à 1.400 euros, la guerre en Ukraine et ses répercussions est en train d'y apporter la réponse. Lisez à ce sujet notre débat entre Henri Sterdyniak face à Gilbert Cette, interrogés par  Grégoire Normand.

Autre enjeu, celui des chaînes de valeur de l'industrie européenne. Léo Barnier explique que  l'aéronautique ne peut pas se passer aujourd'hui du titane russe. Il nous raconte aussi ce "vol du siècle" qui conduit la Russie  à dérober plus de 400 Airbus et Boeing aux loueurs d'avions occidentaux.

Parmi les principaux effets collatéraux de la crise ukrainienne,  Bruxelles est obligé de revoir de fonds en comble sa stratégie agricole. Pour sécuriser sa production et compenser la perte du blé d'Europe de l'Est dont vont souffrir les pays méditerranéens,  la stratégie Farm to fork, de la ferme à la fourchette, de montée en gamme vers le bio est à terre, explique  Giulietta Gamberini.

Bon week-end,

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