Le tout sur un tatami bleu barré par un titre martial – « La France face à la guerre » –, sous le regard d’un public impassible.
Un air de campagne officielle
Multipliant les entrées côté jardin et les sorties côté cour, Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Emmanuel Macron, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel se sont livrés à une frustrante chorégraphie. Se succéder sur le plateau sans se croiser. Se contester sans se voir. Dans cette partie de colin-maillard, ils ont tâtonné. Fallait-il s’adresser aux deux journalistes en embuscade au coin du quadrilatère ? Chauffer le public des gradins ? Ou s’adresser à la France au fond des yeux en fixant la caméra ? Valait-il mieux parler debout en bougeant les mains comme Valérie Pécresse, au risque de donner le mal de mer aux téléspectateurs ? Ou se jucher sur la sellette inconfortable de TF1 qui a fait tuyauter le pantalon d’Emmanuel Macron ? Comme dans un spectacle de fin d’année scolaire, les téléspectateurs ont pu assister aux petits moments de malaise des impétrants : Jean-Luc Mélenchon d’abord assis se précipitant aux devants des journalistes à la première question puis se rasseyant pour tenter de reprendre ses esprits…
Chacun son monologue et l’audimat pour tous ! La soirée a pris un air de campagne officielle avant l’heure. A ce petit jeu, les candidats qui avaient rôdé leur présentation s’en sont mieux sorti que ceux qui ont semblé improviser.
Notes techniques et artistiques
Du côté des bachoteurs, Anne Hidalgo a fait preuve d’assurance, défendant crânement sa social-démocratie : retraite à 62 ans, égalité salariale entre les femmes et les hommes ou baisse de la TVA sur l’essence. Un baroud d’honneur pour la candidate qui a miniaturisé le score du Parti socialiste.
Note technique : 4,5/10. Note artistique : 5,5/10.
Dans son complet bleu électrique, Yannick Jadot a efficacement fait valoir l’urgence de la transition énergétique, véritable arme contre le « dictateur » Poutine. Sa conviction était visible. Le candidat écolo s’est donc adressé au cœur de son électorat pour tenter de décoller, enfin, à vingt-sept jours du premier tour. Mais sa volonté réaffirmée de sortir du nucléaire et de mettre le cap vers un mix énergétique à 100 % renouvelable le coupe d’une majorité de Français inquiets pour leur facture énergétique.
Note technique : 7,5/10. Note artistique : 5/10.
Posée et attentive, Marine Le Pen s’est montré particulièrement « protectrice » à l’égard du pouvoir d’achat des Français dans un monde déstabilisé par la guerre en Ukraine. Loin des provocations de 2017, elle a semblé se ranger derrière « les efforts diplomatiques du président Macron » pour tenter de préserver la paix. Loin des aigreurs d’Eric Zemmour, la candidate du Rassemblement national a poursuivi sa stratégie de « banalisation » qui fait d’elle la mieux placée pour accéder au second tour face à Emmanuel Macron.
Note technique : 4,5/10. Note artistique : 6/10.
Les improvisateurs, eux, ont été frustrés par la brièveté des interventions. Le tribun Jean-Luc Mélenchon, engoncé dans un costume trois-pièces, n’a pas vraiment eu le temps de lancer ses habituelles digressions. S’envasant dans l’exposé d’une politique « non alignée » consistant à provoquer des palabres onusiennes, l’« insoumis » s’est contenté de vanter a minima son « programme complet et chiffré ». Et de brocarder Eric Zemmour dans un registre animalier bien peu présidentiel : « S’il me voit, il va me mordre. » Mais il s’est montré efficace dans sa « profession de foi » démagogique et sa conclusion messianique : « Un autre monde est possible. »
Note technique : 5,5/10. Note artistique : 4/10.
Prévisible, Eric Zemmour a encore une fois déploré la disparition du cher pays de son enfance, « une France paisible, prospère et fière d’elle-même ». Gêné par l’irruption de la guerre en Ukraine, il a tenté d’imposer son unique obsession – « le grand remplacement » – et s’est offert comme unique solution à tous les maux de la patrie : « Ne vous laissez pas voler cette élection. » Peu préparé, parfois hésitant (notamment dans sa conclusion), le polémiste d’extrême droite a laissé voir son manque d’expérience. « Je ne suis pas un politicien professionnel », répète-t-il. Sa prestation n’a pas dû rassurer ses supporters pris d’un doute ces dernières semaines.
Note technique : 3,5/10. Note artistique : 3/10.
Promettant le retour des « jours heureux », Fabien Roussel a bien tenté quelques blagues – « la station d’essence est le seul endroit où on tient le pistolet et où on se fait braquer » – et menacé de taxer « 100 % des dividendes de Total », mais le cœur n’y était pas. Le bretteur de la place du Colonel-Fabien a besoin de partenaires pour faire valoir sa gauche « populaire » et son épicurisme anti-woke.
Note technique : 5/10. Note artistique : 3/10.
En guest-star, Emmanuel Macron a bénéficié d’un bonus de temps de parole (30 minutes !), eu égard à ses sondages flatteurs. Mais il n’est pas vraiment descendu dans l’arène comme le « candidat La République en Marche » indiqué sur le bandeau par TF1… Son interview fut celle du président en exercice ! « Nous avons traversé tant de crises ensemble », a t-il fait valoir à son public. Qu’il s’agisse de guerre en Ukraine ou de prime sur les carburants, l’actuel locataire de l’Elysée a parlé comme le champion en titre. Qui d’autre que lui s’entretient régulièrement avec Vladimir Poutine ? Réservant l’annonce de son programme à une conférence de presse, ce jeudi 17 mars, il a privé Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray d’angles d’attaque. A supposer que les journalistes de TF1 aient eu l’idée de le tarabuster, ce qui n’était pas manifeste à l’écran… Fidèle à la méthode qui lui a réussi en 2017, Emmanuel Macron s’est gardé de critiquer ses concurrents. Mais la tête sans doute occupée par la crise internationale, il n’a pas non plus brillé, se contentant de cocher la case « émission de prime time » en participant à ce qui n’était pas du tout un débat !
Note technique : 7/10. Note artistique : 4/10.
Soucieuse d’apparaître comme une alternative crédible au président sortant, Valérie Pécresse n’est pas parvenue à faire la différence. Favorable à un « plan de relance gaullien du nucléaire », aux économies budgétaires et à la retraite à 65 ans… sa ligne n’est guère éloignée de celle du candidat Macron. « Il a écouté mon programme », jure-t-elle. Hélas, le copieur de l’Elysée affiche des intentions de vote trois fois supérieures aux siennes. Comment se différencier ? Manquant toujours de naturel, Valérie Pécresse a souvent semblé boxer dans le vide.
Note technique : 4,5/10. Note artistique : 3/10.
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