Olivier Passet, Xerfi - La France doit être réaliste : réinvestir dans le nucléaire est indispensable - Décryptage éco
La France peut-elle se passer de nucléaire ? Sur le papier, oui. Dans les faits, non. Regardons d’abord à gros trait l’équation énergétique d’une France qui serait décarbonée en 2050.
Prenons
comme point de départ 2019, année de consommation énergétique normale,
non affectée par le covid. Cette consommation finale énergétique était
d’à peu plus de 1 600 TWh. Si nous maintenions notre potentiel de
croissance et que nous restions sur les gains d’efficacité énergétique
que nous observons 20 ans, cette consommation serait de l’ordre de 1 400
TWh à l’horizon 2050. La stratégie nationale bas carbone française,
elle, vise une diminution de 40%. Soit une cible de 930 TWh de
consommation. C’est une hypothèse héroïque qui suppose un volontarisme
exemplaire. Et qui fait figure de scénario très optimiste en comparaison
de ce que programment nos voisins européens. Cet élément est important.
Ayons comme point de repère que de se situer en 2050 à mi-chemin entre
la tendance engagée et l’objectif ultra-volontariste, soit 1200 TWh,
serait déjà positif.
Produire davantage à base de 100% renouvelable : possible, mais problématique
Deuxième
élément à mettre au dossier. Notre acquis en termes de production
décarbonée. La France produisait déjà en 2019 un peu plus de 500 TWh
d’électricité sur des procédés non émetteurs de gaz à effet de serre.
Dont 399 de nucléaire, 56 d’hydraulique, 35 d’éolien et même 40 en 2020,
et 12 de solaire.
Troisièmement, décarbonner exige de
renoncer à la quasi-totalité des énergies fossiles dans notre mix. Nous
en consommons plus de 970 TWh à ce jour. Ce qui induit une
électrification massive des usages. Dans les transports, le chauffage,
les procédés industriels. Il ne s’agit pas pour autant d’un tout
électrique. Les projections actuelles tablent sur une production de ces
énergies de substitution de l’ordre de 350 à 400 TWh : aux énergies
fossiles se substitueront aussi du biométhane, de l’hydrogène, des gaz
de synthèse, des biocarburants, de la biomasse, etc. Sachant que ces
sources alternatives exigent de faire appel à de l’électricité pour être
produites. Sur cette base, la France devra être en mesure de satisfaire
une consommation finale d’électricité de l’ordre de 650 TWh en 2050, au
minimum, si l’on croit à l’objectif de baisse de 40% de la
consommation… et sans doute nettement plus. On peut considérer qu’il
existe une marge de sous-estimation qui va jusqu’à 200 TWh, notamment si
l’on tient compte des besoins toujours croissants du numérique. Sur
cette base, les besoins supplémentaires d’électricité décarbonée sont
donc compris dans une fourchette de 150 à 350 TWh par rapport à
l’existant pour la France.
Produire 150 à 350 TWh sur la base
exclusive des énergies renouvelables, notamment l’éolien et le
photovoltaïque, est-ce possible matériellement ? A priori, oui.
L’Allemagne produit déjà plus de 230 TWH sur la base de ressources
renouvelables. Et certains scénarios à 2050 prévoient jusqu’à 600 TWh
d’électricité renouvelable. Sur une superficie terrestre inférieure d’un
tiers à celle de la France. Sans parler de l’espace maritime qui
représente moins de 8% de celui français. Possible, mais très
problématique sur le plan paysager, lorsqu’il s’agit d’éolien terrestre,
en termes de conflit d’usage, avec la pêche pour l’éolien en mer ou
avec l’agriculture pour les parcs photovoltaïques. Est-ce possible à un
coût compétitif ? Sur la base des seuls coûts de production, oui. Les
réacteurs de 3e génération ont vu leur coût augmenter et ceux des
énergies renouvelables diminuer. Mais les sources intermittentes
induisent des coûts de réseau et des moyens supplémentaires pour gérer
la flexibilité. Leur coût système est encore supérieur à celui du
nucléaire. Elles reposent de surcroit massivement sur les technologies
importées.
Le parc nucléaire doit être remplacé, au moins en partie
Possible
donc, mais problématique, sauf que cette équation n’est pas la bonne.
La puissance française de nucléaire installée n’est pas un acquis. Loin
de là. Pour maintenir une production de l’ordre de 380 à 400 TWh, la
France devra inévitablement remplacer un certain nombre de réacteurs.
L’âge moyen du parc est de 36 ans. La fermeture des réacteurs de
deuxième génération autrement, dit de la majorité des installations qui
assurent aujourd’hui nos besoins, est une contrainte industrielle à
l’horizon 2050-2060, même si leur durée de vie peut être étirée jusqu’à
60 ans. Ce démantèlement du parc existant diviserait par 4 notre
potentiel existant, le ramenant de 61,4 GW à 16 GW pour une production
qui serait ramenée à une centaine de TWh. Maintenir une capacité de 50
GW suppose la mise en service de 14 EPR et de plusieurs petits réacteurs
modulaires, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 mégawatts
électriques. Un chantier comparable, quoique plus étalé, à celui qu’a
relevé la France entre la fin des années 70 et la fin des années 80, et
qui doit être lancé aujourd’hui s’il veut être réalisé dans les temps.
C’est
la donne française. Soit elle joue le déclassement nucléaire et elle
doit doubler voire tripler ses objectifs déjà élevés en termes d’éolien
et de photovoltaïque, avec de fortes zones d’incertitudes en termes de
conflit d’usage, d’acceptabilité et une forte dépendance aux
technologies importées. Soit elle joue la carte nucléaire, relançant une
filière sur laquelle des avantages sont déjà constitués, même s’ils
sont affaiblis, reprenant pied de surcroit sur un marché mondial en
plein essor. Bref, si les discours ont brutalement basculé sur le
nucléaire, c’est bien par principe de réalité.
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