L'Express : Toute l'opposition crie à la faute politique et morale. Que cherche selon vous le président avec de telles déclarations ?
Il faut d'abord remettre ces déclarations dans leur contexte. On était dans le cadre d'une discussion avec des lecteurs, ce qui explique sans doute le registre de langage employé. Mais si en dépit de la relecture du cabinet du président, ses propos sont restés tels quels, c'est qu'il y avait bien une volonté assumée.
"En tenant ces propos, il partage la colère de ses électeurs"
J'y vois un triple objectif pour Emmanuel Macron. Le premier, c'est de parler à son électorat, sachant que 90% de la population française est vaccinée. Le président a sans doute en tête qu'une frange de la population vaccinée est assez agacée par la poursuite des restrictions, et considère que si la pandémie se prolonge, c'est en partie en cause des récalcitrants aux vaccins.
Son électorat cumule trois particularités : une très forte couverture vaccinale, une adhésion forte au passe vaccinal et une exaspération des "bons élèves"... En tenant ces propos, il partage la colère de ses électeurs.
" Il tente de réinstaurer ainsi le clivage théorisé depuis 2017 et développé lors des élections européennes de 2019 : celui des progressistes contre les nationalistes"
Le deuxième objectif d'Emmanuel Macron, c'est de provoquer de violentes réactions dans le camp de la droite nationaliste - Eric Zemmour et Marine Le Pen - et de la gauche mélenchonniste. Se faisant, Emmanuel Macron réinstalle un combat politique entre lui et le camp populiste. Comme lors de la polémique sur l'arc de Triomphe. Il tente de réinstaurer ainsi le clivage théorisé depuis 2017 et développé lors des élections européennes de 2019 : celui des progressistes contre les nationalistes.
Enfin, son troisième objectif consiste à tenter de cornériser Valérie Pécresse et la rendre moins audible, alors qu'elle est une concurrente sérieuse. Une façon de choisir ses adversaires : Eric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Dans vos enquêtes d'opinion, comment percevez-vous le niveau d'énervement des vaccinés contre les non-vaccinés ?
Nous ne l'avons pas testé ainsi, mais si cet énervement n'est pas majoritaire, il existe dans une partie de la population vaccinée. La population dite "des bons élèves" est en partie exaspérée de voir des "cancres" ou des récalcitrants, accusés d'être des égoïstes en refusant le vaccin. Ceux-là aimeraient siffler la fin de la récréation.
Emmanuel Macron ne prend-il pas le risque de payer cette sortie dans les urnes, en incarnant une figure clivante quand un président est censé rassembler les Français ?
Il existe une contradiction flagrante entre la tonalité de ses propos lors des voeux, ou ceux de son allocution sur TF1, où il parlait de la France unie, de concorde nationale... et sa sortie dans Le Parisien. On est dans le "en même temps" macronien.
Mais il ne faut pas oublier que depuis le début de sa carrière politique, Emmanuel Macron assume de cliver : il choisit lui-même les adversaires qu'il souhaite affronter. Tout ça a été théorisé. C'est la grille de lecture qui oppose l'ancien monde contre le nouveau, balaie le clivage gauche-droite et installe le mano à mano avec le populisme. On l'a vu naître en 2017, on l'a retrouvé pendant le mouvement des Gilets jaunes (le parti de l'ordre contre la chienlit) et ça se décline maintenant dans le cadre de la pandémie, avec le cercle de la raison qui s'opposerait au parti des complotistes et des antivax. Électoralement, dans une perspective de deuxième tour, cette configuration sera bénéfique à Emmanuel Macron.
"Le fait de considérer certains comme des citoyens de seconde zone contribue à la violence"
Ce qui me semble inquiétant, ce sont les conséquences que ça peut avoir en termes d'ordre public et de sécurité, dans un climat de montée des violences. D'un côté, nous avons une partie de la population, les "bons élèves", qui n'en peut plus des efforts consentis. Et de l'autre, une partie des antivax se vit comme une minorité résistante assiégée dans son bunker. Les propos du président de la République peuvent aboutir à une montée de la violence chez cette partie minoritaire, qui s'en prend déjà à des élus La République en Marche sur le terrain. Ce climat me rappelle celui d'avant la crise des Gilets jaunes, quand la préfecture du Puy-en-Velay avait été mise à feu... Le fait de considérer certains comme des citoyens de seconde zone contribue à la hausse de la violence.
Le macronisme - ce style direct, souvent clivant, parfois blessant - est-il un "trumpisme light", comme on l'entend parfois ?
Je n'emploie pas cette formule, car elle est connotée. Mais je dis qu'Emmanuel Macron assume la confrontation et qu'il cherche le clivage, quoi qu'il en dise.
Cette stratégie peut-elle être, in fine, électoralement payante ?
Je ne sais pas. Mais la dynamique créée par Valérie Pécresse après sa désignation a été une très mauvaise nouvelle pour l'Elysée. Emmanuel Macron doit absolument éviter que l'idée qu'elle puisse se qualifier au second tour et le battre s'installe. Car si on revient au clivage gauche-droite, les macronistes sont morts. Il faut donc absolument réinstaller le match avec Eric Zemmour et Marine Le Pen, en cornérisant Valérie Pécresse. L'objectif est de faire en sorte que la présidentielle de 2022 ne soit qu'un remake de 2017.
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