ÉDITO. Ce n’est pas l’autonomie politique qui permettra à l’outre-mer de sortir de la crise endémique, mais l’autonomie économique et financière.
« Nous détestons tous la violence. Et pourtant elle nous aspire et fait de nous ce qu’elle veut », souligne Maryse Condé. Les Antilles françaises le confirment qui sont une nouvelle fois livrées au chaos entre barricades et blocages, pillages et incendies, tirs à balles réelles sur les forces de l’ordre et les journalistes. Cette éruption de violence, née en Guadeloupe, a gagné la Martinique et la Polynésie et menace à tout moment de dégénérer en drame en cas de mort d’un manifestant, d’un automobiliste racketté sur les barrages, d’un policier ou d’un gendarme.
La protestation contre l’obligation vaccinale des soignants – dont 90 % sont vaccinés – n’est qu’un prétexte qui masque une crise multiforme. Le scandale sanitaire n’est pas lié à l’obligation de la vaccination mais à sa faiblesse (taux de vaccination complète de 40 %, contre 76 % en métropole), alors que la cinquième vague de l’épidémie et le variant Omicron progressent de manière fulgurante. La Martinique et la Guadeloupe comptent respectivement 700 et 830 morts du Covid selon les sources officielles. Mais ces données sont limitées aux deux CHU et ne prennent pas en compte les décès à domicile, qui conduisent à doubler au moins le nombre de victimes. En réalité, une personne sur 200 à 300 mourra du Covid aux Antilles. Non sans brutalité mais à raison, le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, a déclaré qu’« à la fin de l’hiver, chacun sera vacciné, guéri ou mort ». Aux Antilles, les délires complotistes diffusés par les réseaux sociaux et l’irresponsabilité des dirigeants politiques et syndicaux – eux-mêmes majoritairement vaccinés – ont répandu l’idée aberrante qu’il vaut mieux mourir que se faire vacciner. Le résultat est là, avec un triplement du nombre de décès par rapport 2019, contre une hausse limitée à 2 % en métropole.
Les Antilles ont été happées par l’idéologie « woke »
Le malaise est aussi économique, social et culturel. La production locale, qui se concentre sur l’agriculture est le tourisme, a été très durement touchée par l’épidémie. Alors que les dépenses publiques par tête sont plus élevées de 60 % qu’en métropole, le taux de chômage culmine à 29 % ( 55 % en Guadeloupe et 48 % en Martinique pour les jeunes), 34,5 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté et les prix sont 12,5 % plus élevés que sur le territoire métropolitain. Enfin, les Antilles ont été happées par l’idéologie woke et communient dans la guerre culturelle, à grand renfort de déboulonnage des statues de Victor Schoelcher, au lieu de se construire un avenir dans le monde du XXIe siècle.
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L’explosion de la colère, comme le mouvement des Gilets jaunes, trouve son origine immédiate dans les erreurs du gouvernement. L’État s’est montré à la fois lointain, autoritaire – en écartant les médecins de famille de la vaccination – et lâche, en laissant les renforts sanitaires venus de métropole se faire insulter et molester, ou encore en supprimant tout contrôle sanitaire (tests, vaccins) pour les vols à destination de la métropole au mépris de la santé publique. Par ailleurs, la mobilisation du
GIGN et du Raid pour des missions de rétablissement de l’ordre publicqui ne relèvent pas de leur compétence est choquante, disproportionnée et particulièrement maladroite. Elle réactive le souvenir tragique de l’engagement du 11
erégiment parachutiste de choc en Nouvelle-Calédonie, ponctuée par l’exécution d’Éloi Machoro, comme le déploiement absurde des blindés de la gendarmerie contre les Gilets jaunes à
Paris.
Un modèle de non-développement
Pour autant, le malaise antillais comporte des racines autrement profondes, comme le rappellent la répression du mouvement de 1967 qui fit des dizaines de morts ou les quarante-quatre jours de grève générale organisés par le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon en 2009. On y trouve les séquelles du scandale du chlordécone qui n’ont jamais été traitées. Pour soutenir la filière de la banane, la France a en effet autorisé l’utilisation de ce pesticide jusqu’en 1993, alors que les États-Unis l’ont interdit en 1977 et que l’Organisation mondiale de la santé avait alerté sur sa dangerosité dès 1979 – le produit a eu pour effet une forte hausse des cancers de la prostate et des naissances prématurées. Les Antilles constituent par ailleurs un modèle de non-développement constitué d’une économie de rente qui repose entièrement sur la dépense et l’emploi publics, 80 % du PIB étant assuré par les transferts de la métropole – pour un coût budgétaire de l’outre-mer de 20 milliards d’euros par an. Ironie ultime, l’emploi public est partout mais les services nulle part, avec une défaillance criante de la santé, de l’éducation, de la sécurité ou de la distribution d’eau.
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Dès lors, l’ouverture d’un
débat sur l’autonomie de la Guadeloupe avancée par Sébastien Lecornuse limite à une manœuvre de diversion qui relève de la grande illusion. Le statut de département est certes de plus en plus inadapté aux collectivités d’outre-mer car il interdit l’adaptation à leur environnement. Mais les seuls changements statutaires n’apportent aucune solution, comme le montre la transformation de la Martinique en collectivité unique en 2016 qui n’a en rien amélioré la situation de ses habitants. L’autonomie politique a en effet pour condition l’autonomie économique et financière, comme l’illustre la réussite de Saint-Barthélemy. L’autonomie avec l’argent des autres n’est qu’une autre forme de dépendance.
Un miroir grossissant des pathologies nationales
Dans l’immédiat, la sortie de crise passe par la réduction progressive de la violence en s’appuyant sur l’exaspération de la population, par le retour du dialogue et par la responsabilisation des élus. La tentation d’une nouvelle débauche de subventions publiques, de transferts sociaux et d’emplois aidés, à l’image des 600 millions d’euros dilapidés en 2009, doit être fermement condamnée. En revanche, il serait légitime de mettre en place une procédure de test systématique et d’indemnisation des victimes du chlordécone. Au lieu de subventionner à fonds perdu la consommation, investissons dans la santé, dans l’éducation, dans le réseau d’assainissement de l’eau et dans l’infrastructure numérique. Acheter de plus en plus cher une paix sociale de plus en plus fragile n’a aucun sens. Il faut aider la Guadeloupe et la Martinique à se doter d’un modèle de développement soutenable.
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Les Antilles constituent moins une exception qu’un miroir grossissant des pathologies nationales. L’euthanasie de la production, la généralisation de l’assistanat et de l’emploi public, la gangrène de la violence, le dysfonctionnement chronique de l’État pour assurer les services de la santé, de l’éducation et de la sécurité, le règne de la démagogie ne sont nullement un monopole de l’outre-mer. La paix civile, la stabilité de la démocratie et l’exercice effectif de la souveraineté passent par la reconstruction d’un modèle économique et social fondé sur la production, le travail et l’innovation. Aux Antilles comme dans la France tout entière.
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