FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'institut de sondage Ifop publie une étude sur la «zemmourisation des esprits». Si les idées d'Éric Zemmour trouvent écho dans la société française, le polémiste souffre d'un déficit de crédibilité, analyse le directeur du Pôle Politique et Actualités de l'Ifop.
François Kraus est directeur du Pôle Politique et Actualités de l'Ifop. Il publie une étude Ifop/LICRA/Le DDV sur l'ampleur et limites de la « zemmourisation » des esprits . Son compte Twitter: @françois_kraus .
FIGAROVOX. - Vous publiez une étude Ifop/LICRA/Le DDV sur l'ampleur et limites de la « zemmourisation » des esprits. Peut-on dire qu'avec ou sans Éric Zemmour, la droite, que vous qualifiez de radicale-populiste, a gagné la bataille des idées ?François KRAUS. - L'influence des thèses de la « droite radicale » - ou « national-populiste » selon les termes utilisés par les politistes - sur le débat public ne peut se réduire à son poids dans les intentions de vote même si celles-ci atteignent déjà un niveau exceptionnel : le bloc « national-souverainiste » incarné aujourd'hui par Zemmour, Le Pen, Dupont-Aignan et Philippot capte aujourd'hui environ un tiers des intentions de vote selon les configurations au premier tour de l'élection présidentielle. Nul ne sait d'ailleurs si le (non-)candidat Zemmour se maintiendra longtemps à ce niveau, ni même s'il sera finalement en mesure de se présenter. Mais son apparition dans la campagne cet automne a eu le mérite de mettre en lumière un phénomène structurel : l'alignement d'une grande part de l'électorat sur les « fondamentaux » constituant le cœur de l'offre politique de la droite radicale (ex : insécurité, immigration, islamisme, communautarisme…).
Pour mesurer l'ampleur de cette droitisation des esprits, il ne faut pas donc pas se contenter de mesurer le poids des « hommes » - dont les intentions de vote peuvent fluctuer au gré de la campagne - mais aussi l'influence de leurs « idées ». Or, ce que nous montre une vaste enquête menée par l'IFOP pour la LICRA et le DDV auprès de 5 000 Français (dont 4500 électeurs), c'est que les thématiques sécuritaires et identitaires martelées depuis des années par un Zemmour ou une Le Pen recueillent un large écho dans la population, y compris parfois au centre et à gauche de l'échiquier politique.
Quelles sont les thématiques «de droite» qui font consensus dans la société française ?
Le manque de réponse judiciaire face à la délinquance fait l'objet d'un quasi-consensus dans le pays si l'on en juge par le nombre d'électeurs (82%) qui partagent l'idée selon laquelle « les tribunaux français ne sont pas assez sévères ». De même, le sentiment d'insécurité est largement supérieur à celui mesure il y a douze ans au regard de la proportion d'électeurs partageant le constat selon lequel « On ne se sent en sécurité nulle part » (63%, + 13 points depuis 2010).
Et ce sentiment d'insécurité générale n'est pas qu'une « lubie » des électeurs de la droite radicale (90 %) ou modérée (68 %) : il est aussi exprimé par un électeur centriste sur deux (ex : 49% des potentiels électeurs macronistes de 2022) et par près la moitié (48%) des électeurs proches d'une formation de gauche. D'ailleurs, le fait qu'une fraction notable de la gauche radicale partage aussi ce constat (45% des électeurs se situant « très à gauche », 48% des électeurs proches de LFI, 41% des potentiels électeurs de Mélenchon de 2022) tend à conforter le nouveau positionnement communiste sur le sujet en montrant qu'il existe une vraie demande de sécurité dans les rangs de cette gauche.
Mais c'est sans doute sur les questions relatives à l'immigration que l'hégémonie intellectuelle de la droite nationale est la plus flagrante…
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Au regard de la place centrale de la question migratoire dans le discours de la droite radicale, le degré d'adhésion à certaines idées sur le nombre d'immigrés en France ou sur leur rôle dans l'insécurité nous paraît en effet très symptomatique de ce que l'on appelle désormais - à tort ou à raison - la « zemmourisation des esprits ».
Aujourd'hui, la majorité des électeurs interrogés estiment que « l'immigration est la principale cause de l'insécurité ».
François Kraus
Globalement, le constat selon lequel « il y a trop d'immigrés » est partagé aujourd'hui par plus des deux tiers des électeurs (69%, + 10 points depuis 2010). Et si cette idée est massivement partagée par les électeurs des différentes droites, elle l'est aussi par les deux tiers des électeurs macronistes (66%) et la moitié des électeurs d'extrême gauche (50 % chez les électeurs proches de la France insoumise, 58 % chez les électeurs situés très à gauche). Sur ce thème, on observe d'ailleurs que la théorie du « grand remplacement » (Camus, 2014) s'est suffisamment diffusée pour qu'aujourd'hui, la moitié des électeurs (50%) aient l'impression de subir un processus de substitution des Français d'ascendance par une population étrangère. Et malgré sa radicalité, ce constat est partagé par les deux tiers des électeurs de droite (66%), près de la moitié des électeurs macronistes (44%) et un gros tiers des électeurs mélenchonistes (37%).
Autre sujet de moins en moins tabou alors qu'il est au cœur du discours zemourien : le lien de causalité entre l'insécurité et l'immigration. Aujourd'hui, la majorité des électeurs interrogés estiment que « l'immigration est la principale cause de l'insécurité » (62%) et ils sont presque autant (55%, +10 points depuis 2014) à adhérer aux propos qui avaient valu à Eric Zemmour une condamnation par la Justice, propos dans lesquels il justifiait les contrôles des jeunes d'origine immigrée au nom du fait « que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes » (Canal+, 2010).
Enfin, l'expression d'un discours ethnocentriste et identitaire n'est plus l'apanage des électeurs de la droite radicale.
Le rejet de l'Islam s'exprime ainsi à un niveau très élevé comme nous avons pu le constater avec le nombre d'électeurs qui perçoivent « l'Islam comme « une menace pour l'identité de la France » (68 %, +5 points depuis 2013) ou qui partagent l'assertion zemourienne selon laquelle « la pratique de l'Islam n'est pas comptable avec la France » (44%). Et on retrouve la même vision ethnocentriste dans le nombre élevé de personnes qui souhaitent que « la France doit rester un pays chrétien » (68%).
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Enfin, le taux d'adhésion élevé (57%) à l'énoncé de Zemmour selon lequel « nous sommes avant tout un peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine » (CNews, Face à l'info, 26 juin 2020) ne peut qu'inquiéter une association antiraciste comme la Licra qui lutte depuis toujours contre l'invocation banale de la notion de « race blanche ».
Force est donc de constater que sur le triptyque formé par l'immigration, l'insécurité et l'islam, la droite radicale semble avoir gagné la bataille des idées au pont d'inquiéter les associations antiracistes qui font régulièrement des procès à des personnalités comme Zemmour.
Vous expliquez que le «zemmourisme» se trouve pourtant dans une impasse électorale. Pourquoi ?
Cela peut paraître quelque peu paradoxal dans la mesure où les positions d'Éric Zemmour sur l'ordre public, les religions ou le contrôle des frontières ont un large écho au sein d'une population qui a placé la lutte contre la délinquance, le terrorisme et l'immigration dans le peloton de tête des enjeux déterminants du vote à l'élection présidentielle.
Mais cette « impasse » s'explique par le fait que sa victoire idéologique est en partie en trompe-l'œil.
D'abord parce que Zemmour n'a pas le monopole de ses sujets… L'hégémonie culturelle acquise par la droite sur les thématiques sécuritaire et identitaire est le fruit d'un travail collectif qui doit aussi aux Le Pen et à diverses figures de la droite classique. Dans le cas d'une compétition électorale aussi personnalisée que l'élection présidentielle, il est donc loin d'être le seul à pouvoir incarner une réponse à cette demande d'ordre et de sécurité.
La crispation identitaire et la demande de protection et d'autorité émise par les Français ne signifient pas pour autant un désir de conservatisme sociétal, de réformes ultra-radical ou de libéralisme sur le plan économique.
François Kraus
Ensuite parce qu'en tant que novice en politique, Zemmour souffre d'un déficit de crédibilité qui ne se réduira pas tant qu'il ne rompra pas son isolement politique - il n'est toujours pas parvenu à rallier des figures politiques de premier plan - et qu'il ne réussit pas sa transition de statut de « journaliste » et celui de « politique ». Or, ces déplacements à Drancy, au Bataclan et à Marseille n'ont fait que confirmer sa difficulté à passer de polémiste à celui de candidat. Tous ces épisodes - dont le doigt d'honneur à Marseille n'est que l'ultime illustration - n'ont pu qu'altérer sa présidentialité, notamment auprès d'un électorat de droite qui peut y voir une forme d'abaissement du débat public incompatible avec la prétention ou plus hautes fonctions. Dans notre enquête, il ressortait d'ailleurs que sa personnalité et sa stature présidentielle sont les dernières raisons pour lesquelles ses électeurs votaient pour lui.
Enfin, cette impasse tient au contenu même de son offre politique qui repose, selon moi, sur une profonde erreur d'analyse. La crispation identitaire et la demande de protection et d'autorité émise par les Français ne signifient pas pour autant un désir de conservatisme sociétal, de réformes ultra-radical ou de libéralisme sur le plan économique. La dernière vague de l'European Values Survey (2018) avait d'ailleurs déjà bien mis en valeur cette double tendance – apparemment contradictoire – au libéralisme sociétal d'un côté et à une demande de sécurité de l'autre. Or, avec ses combats d'arrière-garde sur les questions de mémoire (Vichy, loi Gayssot…) ou de société (homoparentalité, féminisme), il se met dans une situation « d'épouvantail » aux yeux d'un milieu intellectuel et médiatique qui ne peut que lui être hostile. Avec ses positions sur les questions de société qui sont extrêmement minoritaires, il apparaît complètement en porte-à-faux avec une société française qui, structurellement, est de plus en plus ouverte sur les enjeux sociétaux. Concrètement, l'impasse électorale du zemmourisme réside dans le fait qu'il se prive à la fois des électeurs RN par son programme économique libéral et des électeurs de la droite modérée par ses dérapages et son ultraconservatisme sur les questions de société. L'isolement politique, l'amateurisme de ses équipes et le caractère ultra-clivant de certaines de ses propositions (ex : prénoms…) font le reste.
Avec un spectre politique aussi étroit, ses chances de qualification au second tour sont donc tenues, et ceci d'autant plus s'il finit par perdre un électorat catholique conservateur échaudé par son manque de manières et les échos de la presse people sur sa vie privée.
Source Figaro Vox par Aziliz Le Corre
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