C’est bien une économie plus carbonée qu’aujourd’hui qui se profile
De
surcroît, ces objectifs au rabais paraissent déjà hors de portée. Ils
demandent une inflexion de tendance tellement violente en matière
d’émission ici qu’on ne voit pas comment ils pourraient être atteints à
un horizon de 10 ou 30 ans.
Il suffit de regarder la
trajectoire programmée en France, pays parmi les plus vertueux de la
planète, dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone de 2020
pour saisir qu’une telle inflexion ne se décrète pas sans mobilisation
et consensus à tous les niveaux de la société. Réduire de 40% les
émissions de gaz à effet de serre issues de la combustion d’énergie en
2028, par rapport à 1990, suppose une énorme accélération de l’effort.
Sur le papier, la France annonce vouloir baisser de 35% sa consommation
d’énergies fossiles par rapport à 2012 et de 20% dès 2023. Mais comment y
croire ? 2023 nous y sommes presque. Et en matière de pétrole comme de
gaz, nous sommes bloqués sur un palier depuis 10 ans.
Penchons-nous
sur le reste du monde maintenant. Et l’on saisit à quel point la
bifurcation nécessaire est totalement hors de portée au regard des
tendances les plus récentes. Nous espérons que le Paquebot-monde opérera
un virage serré, quand il continue plein gaz à foncer sur l’iceberg.
Or, c’est bien une économie plus carbonée qu’aujourd’hui qui se profile
en 2050. Nous faisons mine d’ignorer la dépendance des économies à leur
sentier de croissance, aux habitus de consommation, l’inertie des
organisations, des intérêts, la force des lobbies, l’asymétrie des
rapports de force entre les grandes entreprises et les États.
Nous devrons tout accomplir de front
Les
projections énergétiques de neutralité carbone de l’AIE à échelle
mondiale, pourtant contestées pour leur minimalisme, nous donnent une
idée de la mission impossible à accomplir. Baisser de 7% de consommation
d’énergie à échelle mondiale, avec une population qui s’accroîtra de 2
milliards et un PIB qui doublera a minima. Ce qui signifie :
- multiplier par 4 notre efficacité énergétique ;
- multiplier par 2 la capacité électrique ;
- par 9 la capacité du renouvelable ;
- par 2 celle du nucléaire ;
- diminuer de 90% la production de charbon et de 75 % celle de pétrole ;
- augmenter de 4000% nos volumes de capture de CO2 ;
- et fin des moteurs atmosphériques dès 2035,
- etc.
Un
véritable bouleversement, nécessitant des investissements dès à
présent, le plus souvent sous-estimés. La France, elle, prétend
augmenter de 50% sa capacité renouvelable d’ici 2023 et la doubler d’ici
2028 (par rapport à 2017). Les agendas sont là et nous disent une chose
claire : nous n’avons pas le choix entre le plan A ou B. Nous devrons
tout accomplir de front. Y compris du nucléaire, non pour atteindre nos
objectifs, mais au moins s’en rapprocher.
Taxe et permis fonctionnent à la marge
Face
à cela, l’arme fatale des économistes – la taxe carbone et des permis —
comporte des dangers. Elle n’est pas dosée pour cette urgence. À
l’échelle mondiale, seules 12 à 15% des émissions sont couvertes par ce
type de dispositif et moins de 50% en Europe. Ces dispositifs
fonctionnent certes. Mais à la marge, sur les sources les plus
émettrices permettant de basculer du charbon sur le gaz. Pour aller
au-delà, il faudrait un prix du carbone bien plus élevé qu’aujourd’hui
de 250 euros/tonne de CO2 en 2030 et de 600 à 900 euros en 2050. Or,
nous restons bloqués très en deçà. Le prix de 65 euros franchi en
octobre sur les marchés européens affole déjà les milieux d’affaires. La
taxe laisse supposer de surcroît que la transition se pilote par la
demande. Et que le reste suivra, tout comme les plans de subvention à
l’isolation thermique ou au véhicule électrique. Tous polarisés sur la
demande.
Or, prendre le tournant climatique, c’est aussi
investir les technologies vertes, c’est participer à l’effort
d’innovation sans lequel rien ne se fera, c’est bâtir des filières bois,
batterie, éolien, photovoltaïque, hydrogène sur le territoire, sans
quoi la transition creusera des déficits et butera sur son
insoutenabilité financière. Et c’est aussi se prémunir dès à présent,
dans nos choix d’investissements, des perturbations irréversibles liées
au réchauffement et notamment la montée des eaux.
Agir de
front sur les prix, la demande, les structures productives,
l’aménagement du territoire, dans un délai incroyablement court. Et
mettre en mouvement tous les étages de la société. Difficile d’imaginer,
disons-le, qu’un tel mouvement soit possible autrement que dans le
cadre d’une planification impérative.
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