C'est le dernier avertissement. « Il reste très peu de temps à la France, et aux Français, pour éviter le déclin, la guerre civile, la plongée dans une période sombre, dont la pandémie actuelle n'est qu'une des dimensions. » Il est signé Jacques Attali.
L'essayiste prolifique, multicasquette, président de la commission pour la libération de la croissance sous Nicolas Sarkozy en 2008 après avoir été conseiller spécial de François Mitterrand, propose, avec l'avocate Julie Martinez, un nouveau livre-programme pour la présidentielle, présenté comme celui de la dernière chance. Ce Faire réussir la France ambitionne de remettre les idées au centre de débats qui « se focalisent sur les rivalités entre les éventuels candidates ou candidats à la candidature ». « Si nous continuons comme cela […] le prochain président et la prochaine majorité parlementaire (si elle existe) arriveront aux affaires sans vision claire de la situation mondiale […] sans projet à long terme, sans programme minutieusement préparé, cohérent et financièrement crédible, sans volonté d'agir vite et fort ». Et, quelles que soient les qualités personnelles du prochain président, le pays devra se préparer à cinq années de « déceptions grandissantes, de colères et de révoltes ».« Plan Enfance ». Devant cette sombre perspective, Jacques Attali et Julie Martinez ont réuni « quelques citoyens de bonne volonté » aux « expériences diverses ». Ensemble, ils ont auditionné 400 personnalités pour dégager « 250 décisions urgentes » et « 30 réformes majeures ». Le tout donne un ensemble assez singulier, difficile à classer sur le spectre droite-gauche traditionnel, cherchant à inventer « une société positive » qui se focalise « sur l'économie de la vie ». Des termes qui peuvent sonner un peu creux, mais que l'ouvrage s'emploie, bon an mal an, à incarner concrètement. L'objectif est de développer les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'hygiène, de l'agriculture durable, de l'alimentation saine, de l'énergie propre, etc., appelés à prendre une place de plus en plus prépondérante dans l'économie future. Une priorité absolue ? Celle de « bien accueillir les générations à venir ». Du Jacques Attali dans le texte. Avec, à la clé, subodore-t-on, même si ce n'est pas revendiqué - au contraire -, beaucoup de dépenses publiques supplémentaires…
L'ouvrage s'ouvre sur un plaidoyer - inattendu, il faut bien l'avouer - pour un grand « plan Enfance » destiné à « protéger les enfants » (comme il faut protéger les femmes). Protection économique, mais aussi juridique, avec un droit de l'enfant contre les violences familiales, plus répandues qu'on ne le croit, ou contre les dangers d'Internet. Est défendue l'idée d'un véritable « service public de la petite enfance » qui garantisse des places en crèche ou à la halte-garderie pour les familles défavorisées et monoparentales. Ou encore une prise en charge des 150 000 jeunes issus de l'Aide sociale à l'enfance jusqu'à leur premier travail ou leurs 25 ans, alors qu'ils sont trop souvent abandonnés à leur sort à 18 ans. Jacques Attali et son équipe veulent par ailleurs garantir un « revenu unique d'insertion » de 1 000 euros par personne par la fusion de tous les minima sociaux et des allocations familiales et logement, au versement automatisé. Conditionné à un « devoir d'insertion » (plus facile à dire qu'à mettre en place), il serait ouvert aux 18-25 ans. Les hommes auraient droit à un véritable congé parental, égal à celui des femmes, obligatoire à terme.
• Limiter la progression des dépenses publiques à 0,5 % par an.
• Adapter le frein à la dette de l’Allemagne en France.
• Maîtriser l’évolution des dépenses de soins de ville et celles des collectivités locales.
• Organiser une conférence nationale sur les bas salaires.
• Plan national d’investissement dans les services publics dans les zones urbaines et rurales défavorisées.
• Promouvoir trente minutes de sport quotidiennes dans la vie de chaque Français.
• Imposer aux écoles publiques et privées un minimum de mixité sociale.
• Supprimer l’argent liquide en cinq ans.
• Augmenter les moyens de la justice.
• Rétablir le septennat, légaliser le vote électronique, renforcer l’usage du référendum.
« Faire réussir la France », France positive sous la direction de Jacques Attali, avec la collaboration de Julie Martinez (Fayard, 384 p., 19 €).
« Grande Sécu ». Jacques Attali défend une réforme des retraites qui permette à chacun d'arbitrer entre un âge de départ plus précoce et une pension plus élevée. Elle serait adoptée par référendum en 2023. L'objectif est clairement de faire des économies pour financer d'autres politiques. Beaucoup plus iconoclaste, dans le contexte politique actuel, est la proposition de laisser les immigrés travailler, indépendamment de leur régularisation éventuelle, afin de favoriser leur intégration et de faire entrer des cotisations pour le système social. Pour permettre à l'industrie française de renaître de ses cendres, le groupe propose un grand ministère spécifique, libéré de la tutelle des Finances, avec la main sur l'énergie. Des critères de distance de la production seraient intégrés dans les marchés publics accessibles aux seuls pays qui ouvrent les leurs. Les impôts de production seraient encore diminués. L'ouvrage défend la nécessité de recourir à une augmentation des prix du carbone pour réaliser la transition énergétique. Celle-ci devra s'appuyer sur le nucléaire, indispensable alors que la consommation électrique est amenée à exploser. Pour la rendre socialement acceptable, une baisse de la TVA est proposée sur les produits moins polluants ainsi qu'un chèque énergie XXL.
En matière de santé, Jacques Attali retient la piste d'une « Grande Sécu » qui rembourserait, à elle seule, tous les soins pour éviter les doubles frais de gestion dans les mutuelles et gagner en efficacité. Un virage décisif serait opéré vers la prévention, notamment par une promotion de la pratique d'un sport, qui pourrait être remboursée par la Sécu pendant deux ou trois mois. Un virage vers « l'économie de la vie », très compatible avec le Pacte du pouvoir de vivre de la CFDT, qui peut parfois ressembler à un catalogue de mesures sympathiques, mais peut-être un peu gadgets, comme cet appel à faire parrainer des écoles par des artistes voisins pour « co-inventer de nouveaux points d'accès à la culture générale ».
Sébastien Leban pour « Le Point »
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