Eric Zemmour se définit comme le fils spirituel du RPR. Est-ce vraiment ce qu'il incarne ? Vouloir résumer la droite au RPR et se rapprocher de la figure tutélaire du général de Gaulle est, pour le moment, le programme de l'essayiste. Est-ce réellement l'état et la définition de la droite ?
Source Atlantico Guillaume Bernard
Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).
Éric Zemmour = le RPR ? Et si le trublion de la présidentielle 2022 se trompait dans son équation politique
Atlantico: En tant que candidat, Eric Zemmour se définit comme le digne fils spirituel du RPR. Est-ce vraiment ce qu'il incarne ?
Guillaume Bernard: Eric Zemmour considère que la fusion du RPR et de l'UDF en 2002 pour donner naissance à l'UMP) a dénaturé de manière plus importante le RPR que l'UDF. Selon lui, le RPR serait devenu centriste, libéral, européiste sous l'influence de l'UDF et que sa matrice idéologique aurait disparu. Réactiver l'image du RPR pour lui, c'est réactiver une droite qui s'assume, autrement dit le RPR des origines, celui de la fin de la décennie 1970 (en particulier celui de l'appel de Cochin en 1978).
Il se dit, sans doute, que dans l'électorat LR actuel subsiste des personnes qui ont des positions de l'ancien RPR et que, par ailleurs, de nombreux électeurs RPR à partir du milieu des années 80 ont basculé vers le FN devenu le RN. En revendiquant l'héritage du RPR, c'est une tentative de réunifier des électeurs qui sont restés à LR et d'autres qui sont allés au RN, ces deux électorats convergeant sur un très grand nombre de points. L'adhésion des Français aux partis politiques étant très faible, il tente de réaliser un décloisonnement et une recomposition partisane comme l'avait préconisé et expliqué, au printemps 2018, l' « Appel d'Angers ».
Il y a cependant un risque s'il apparaît trop comme cherchant à attirer successivement différents segments électoraux pour tenter de les additionner. Car, un segment électoral peut en chasser un autre (l'un pouvant être un repoussoir pour l'autre) si un candidat est trop assimilé à l'un deux. Pour qu'une dynamique prenne et surtout dure (or, pour l'heure, tous les Français, en particulier ceux des catégories populaires, ne sont pas encore entrés dans la campagne), il faut qu'elle attire, de concert, plusieurs segments électoraux pouvant avoir des comportements quelque peu divergents: les jeunes et les vieux, les citadins et les ruraux, les diplômés et les moins diplômés, les citoyens participant régulièrement aux élections et les abstentionnistes… Pour l'heure, les sondages semblent dire qu'il réussit à le faire. Réussir un dosage entre apparaître « hors système » tout en étant crédible pour exercer le pouvoir est, naturellement, quelque chose de compliqué.
Le RPR se synthétise-t-il simplement par ce qu'en palabre Eric Zemmour ?
Bien évidemment non. Zemmour a un positionnement politique spécifique qui n'est pas celui d'un candidat du RPR. Il faut voir l'aspect doctrinal du « candidat » et l'aspect sociologique. Le fait de revendiquer le positionnement du RPR, c'est d'une certaine manière dire: j'incarne une force politique de gouvernement (et pas simplement de contestation) se situant sur le centre de gravité du spectre politique de la droite. En faisant cela, il souhaite puiser des deux côtés. Il permet aux électeurs RN qui désespèrent de voir son candidat accéder à l'Élysée de retrouver l'espoir de voir une grande partie de leurs idées accéder au pouvoir (c'est ainsi que François Mitterrand a siphonné le parti communiste dans les années 70 ou Nicolas Sarkozy le FN en 2007) et aux électeurs LR qui ne veulent pas passer le pas du vote RN (car psychologiquement ou socialement trop dur pour eux) d'assumer leurs idées sans honte.
D'ailleurs, le logiciel idéologique du RPR est très difficilement identifiable. Avec à sa tête une personnalité comme Jacques Chirac dont les convictions ne semblent pas avoir été très fixes, le RPR était, dans le fond, une auberge espagnole. Cela s'est explicitement révélé au cours de la décennie 1990 avec, notamment, la rupture d'un Charles Pasqua s'alliant à Philippe de Villiers pour défendre des positions souverainistes. Eric Zemmour choisit de privilégier ce qu'il considère avoir été le RPR authentique. Dans un sens, il n'a pas tort: l'électorat RPR était resté plus à droite que nombre de ses dirigeants, un peu comme l'électorat PS était, dans les années 80 resté socialiste tandis que tous ses mandarins étaient sociaux-démocrates voire sociaux-libéraux.
Eric Zemmour fait souvent référence au bonapartisme et au mythe de l'homme providentiel, n'est-il pas alors au mieux alors un candidat du RPF ?
Il se revendique d'abord du bonapartisme car il a une attirance intellectuelle pour la figure de Napoléon Ier. En outre, il considère que la puissance étatique peut, en retrouvant ses fonctions régaliennes, assurer la survie de la nation. Enfin, il semble considérer que ce courant est susceptible de réunir les différentes sensibilités classées à droite, qu'il peut être le pivot de l'union des droites en ne satisfaisant sans doute pas toutes les idées (pouvant être contradictoires) de ce qui est sur la droite de l'échiquier politique mais en trouvant un modus vivendi entre elles.
J'ignore s'il y a pensé, mais il veut peut-être tenter de réaliser à nouveau un rassemblement comme a pu le faire Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 élu président de la République avec 75% des suffrages exprimés et 55% des inscrits. Le futur Napoléon III faisait la synthèse de l'autorité de l'Etat et de l'attachement à la question sociale.
En tout cas, pour revenir à votre question, il est vrai que le dernier grand mouvement de masse de droite, ce fut le RPF avec, à sa tête, la figure de Charles De Gaulle. Et comme le RPF était le parti le plus à droite, il était taxé de fascisme par la gauche… Savoureux… Mais, le RPF, en termes électoraux, c'est tout de même assez lointain (de 1947 à 1956) et il n'est jamais arrivé au pouvoir. Du gaullisme, Zemmour récupère le point commun sur lequel tous ceux qui s'en revendiquent s'entendent: le souverainisme et une politique internationale la plus indépendante possible des blocs. Or, le gaullisme, c'était évidemment bien plus que cela. Mais, les autres aspects du gaullisme sont, d'une part, très largement oubliés et, d'autre part, assez souvent facteurs de division. Par conséquent, plus personne n'en parle. Pas plus Eric Zemmour que les autres.
Parce qu'il couvrait quasiment tout l'espace politique de la droite, le RPF est sans doute plus proche de l'ambition profonde de Zemmour que le RPR. Mais, il a sans doute fait référence à ce dernier parce qu'il parle encore à un certain nombre d'électeurs tandis que le premier a été oublié par quasiment tout le monde.
Vouloir résumer la droite au RPR et se rapprocher de la figure tutélaire du général de Gaulle tel est pour le moment le programme de l'ancien polémiste. La droite n'est-elle pas quelque chose de plus large que ces deux références ?
C'est évident. Il y a différentes familles politiques sur la droite de l'échiquier politique. Ce qui est véritablement de droite de façon indiscutable, c'est la droite catholique sociale, d'une certaine manière réactionnaire et le plus souvent légitimiste. Les rapports de force doctrinaux et électoraux ont fait glisser sur la droite du spectre politique soit des idées et des mouvements qui étaient de gauche, c'est le cas du libéralisme, soit du centre, ce qui est le cas du bonapartisme. Ce glissement a été qualifié par Albert Thibaudet de mouvement sinistrogyre.
Cependant, la pression venue de la gauche s'est épuisée avec la chute du mur de Berlin (le collectivisme a été décrédibilisé) tandis que les nouveaux enjeux politiques (la mondialisation financière et identitaire), la perte de repères dans la construction européenne, les concurrences voire les guerres de civilisations…) ont remis sur le devant de la scène les idées de droite. C'est ce que j'ai proposé d'appeler le « mouvement dextrogyre ». Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus de force des idées venues de la gauche (multiculturalisme, indifférentisme moral et culturel…) dans certains milieux ou sur certaines questions, mais que désormais la pression vient par la droite (ce qui explique sans doute l'exacerbation des tensions idéologiques, la gauche étant désormais sur la défensive). En tout cas, cela a deux conséquences: d'une part, l'espace politique de ce qui est de droite (avec une sorte de syncrétisme doctrinal) s'élargit et, d'autre part, les idées glissent à nouveau sur le spectre politique mais, cette fois-ci, de droite vers la gauche (le collectivisme a disparu, le libéralisme économique passé à droite au XXe siècle se réunifie avec le libéralisme culturel resté à gauche).
C'est dans ce contexte qui favorise sa démarche qu'Eric Zemmour peut tenter (il semble vouloir le faire), contre les partis en place, la coalition des conservateurs et des populistes, ce que l'on peut aussi traduire d'une manière quelque peu caricaturale, de LMPT et des gilets jaunes des ronds-points, de la moyenne bourgeoisie et de la « France périphérique ». Encore faut-il, s'il se déclare candidat, qu'il y ait, dans toutes les strates de l'organisation de sa campagne des représentants des diverses sensibilités, catégories socioprofessionnelles et enracinements territoriaux. Et, ce, d'autant plus qu'après la présidentielle il y a les législatives et que des candidats à ces élections doivent avoir des profils adaptés aux différents terrains.
N'y-a-t-il pas quelque chose de paradoxal à se rétrécir alors que sa base électorale voit en lui un candidat rassembleur ?
Étant un Ovni politique, Eric Zemmour a sans doute besoin d'envoyer des signaux, de poser quelques repères pour être clairement identifié. Il est possible qu'il ait cherché à éviter d'être catalogué plus extrême que Marine Le Pen, ce que les lieutenants de cette dernière ont essayé de faire au cours des derniers mois. Il me paraît assez clair qu'il cherche à se positionner doublement, à la fois quant aux idées et quant à sa place dans l'espace électoral: iconoclaste quant aux idées (et donc au risque d'être jugé radical) mais au centre de la droite quant à sa position sur le spectre politique. Car la vie politique est toujours un jeu d'interactions. Mais, c'est évidemment un jeu d'équilibre toujours délicat.
Lors d'une interview Éric Zemmour assure que le Maréchal a protégé les juifs français tentant ainsi de réhabiliter Pétain. N'est-ce pas un problème dans son équation politique ?
Je ne crois pas que cela soit un positionnement politique, mais plus un goût profond pour le débat historique. Il a évoqué cette question qui l'intéresse intellectuellement et même le meurtrit dans sa propre chair, mais comme il aurait pu évoquer d'autres enjeux historiographiques qui, eux, sont sans doute moins brûlants. Car, les questions relatives à la seconde guerre mondiale sont encore très sensibles dans la société. Or, une vision manichéenne des choses peut conduire à des non-dits. Qui se souvient que l'un des plus farouche opposant à Charles De Gaulle dans la crise algérienne fut Georges Bidault, l'un des patrons du MRP (le pari démocrate-chrétien sous la IVe République) qui avait été le successeur de Jean Moulin à la tête du CNR (Conseil National de la Résistance) ?
Vous savez, des querelles historiques qui font débat, il y en a un certain nombre. Oserai-je évoquer, ici, le « populicide » vendéen ? je crois savoir qu'Eric Zemmour approuve les thèses de Reynald Secher sur la génocide commis en Vendée par les armées révolutionnaires sur l'ordre de la Convention et de son bras exécutif le Comité de Salut Public. Mais, ce sujet fait peut-être moins polémique que d'autres. Et, de toute façon, il est probable qu'Eric Zemmour, s'il est candidat, ne fera pas campagne ni sur Vichy, ni sur la Vendée. Il n'en demeure pas moins que c'est un intellectuel et que, forcément, il détonne par rapport aux autres politiques.
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