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Ceux qui aiment la bande dessinée française connaissent bien Christophe Blain. Auteur des géniaux Quai d'Orsay, En cuisine avec Alain Passardou encore Gus, ce dernier a décidé de mettre ses talents de conteur et de dessinateur au service de la diffusion de la pensée de Jean-Marc Jancovici, probablement l’ingénieur le plus connu de France, qui a atteint la notoriété qu’on lui connaît grâce à ses efforts de vulgarisation sur des sujets qui ne sont ni faciles, ni spécialement légers. Mais pourquoi Jancovici ? « C’est la personne la mieux placée pour parler du sujet. C'est lui qui fait la synthèse la plus complète des enjeux ; pour le pousser dans ses retranchements, il faut un peu de mauvaise foi », dit-il sans détour. Si le sujet est vaste et complexe, Blain nous explique, « sans mauvais jeu de mots » (mais ça tombe bien, il est bon !) qu’ils en ont mis « l’essence » dans le livre. Un travail colossal, étalé sur deux ans, dont le dessinateur commence seulement à se remettre.
Mais quel travail ! Fruit d’une profonde estime entre les deux auteurs, l’ouvrage est une perle de vulgarisation scientifique et permet de comprendre relativement facilement des sujets parfois très complexes. On découvre ainsi la différence entre les centrales nucléaires de Tchernobyl ou de Fukushima et celles que nous avons en France ; ou encore les différents ordres de grandeur entre l’énergie développée par un cycliste et celle que produit un moteur à explosion. Les deux auteurs présentent l’utilisation des énergies fossiles à la fois comme un superpouvoir, une sorte d’armure d’Iron Man, mais aussi comme une addiction dont il est difficile (et pourtant nécessaire) de se défaire.
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D’ailleurs, et c’est peut-être une conséquence inattendue (et paradoxale) de la lecture de cette bande dessinée, l’enthousiasme de Blain pour l’esthétique des machines industrielles est communicatif. Artistiquement, il y en a vraiment pour tous les goûts, des amateurs de grosses cylindrées et de plateformes offshore à ceux qui préfèrent les métaphores visuelles et l’onirisme. Voilà pour la forme : cette bande dessinée est un petit chef-d’œuvre. Et sur le fond ? Jean-Marc Jancovici a accepté de répondre pour Le Point à quelques questions sur les problématiques évoquées dans le livre. Entretien.
Le Point : Qu’est-ce que ça fait de se voir en héros de BD ?
Jean-Marc Jancovici : Ce n’est pas la première fois que l’on me dessine ou que l’on me caricature. Je l’ai toujours pris comme quelque chose de très flatteur, et, en même temps, c’est le job du dessinateur de souligner vos défauts ou vos tics. Je n’ai pas été plus ému que ça de me voir sur les dessins, car c’était le parti pris de Christophe que de nous mettre en scène tous les deux en dialogue. Ce qui m’a ému, c’est qu’une star de la BD comme lui me dise qu’il voulait qu’on travaille ensemble, qu’il m’estimait à son niveau : c’est un honneur.
Quel est l’intérêt particulier de diffuser vos idées sous forme de bandes dessinées ? Que vous apporte ce média ?
Deux choses : d’abord, un dessin vaut parfois mieux qu’un long discours. Il y a deux siècles, un être humain pouvait comprendre la façon dont fonctionnait le monde, pour l’essentiel, en se contentant de regarder les choses. Vous pouviez comprendre comment fonctionne un moulin à vent en l’observant, et en reproduire le processus. Idem, dans une certaine mesure, pour les engrenages, les bateaux à voile… Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dans lequel tout est compliqué. Vous n’êtes pas capable de décrire le fonctionnement d’un réseau de télécoms, dont nous sommes pourtant en train de nous servir pour parler. Vous utilisez un ordinateur sans comprendre son fonctionnement non plus.
On vit dans un monde où on est entouré de processus qu’on ne comprend pas. Ce qu’on voulait faire avec cet album, c’était d'en expliquer une partie en rappelant, que derrière eux, il y avait des machines et de l’énergie, ce qui est beaucoup plus simple à faire avec des dessins, des exemples et des parallèles qu’avec une publication académique. Il y a une force dans l’image qui n’existe pas dans les textes. Ça faisait très longtemps que j’avais envie de passer par l’image pour expliquer des choses qui sont difficilement accessibles au commun des mortels.
Par ailleurs, la fiction et la bande dessinée me permettent de donner accès à mes idées à un public plus jeune, qui n’est pas vraiment celui qui achète mes livres. Accessoirement, on s’est bien marrés en la faisant, cette bande dessinée !
Vous nous expliquez que notre modèle de société est aujourd’hui dans l’impasse, mais en même temps que ce modèle a permis la prospérité du plus grand nombre. Comment préserver au mieux ces acquis tout en limitant nos dépenses d’énergie ?
Ce que nous avons essayé de faire, c’est de donner envie à la société de se pencher sur la question. Nous n’apportons pas de réponse parce que nous avons considéré que ce n’est pas notre rôle. L’idée de Christophe était de reprendre une partie de mon enseignement aux Mines, où je donne des outils à mes étudiants pour qu’ils comprennent le problème à traiter. Les actions à entreprendre dépendent de la situation dans laquelle on se trouve ; il n’y a pas de martingale ! Si je m’adresse au patron de votre journal, je ne lui dirai pas la même chose qu’à un maire ou qu’à un fabricant de pantoufles. En revanche, il y a un constat que tout le monde doit partager sur la nature du problème à traiter.
En vous lisant, on a le sentiment que bon nombre des activités utilisant des énergies fossiles aujourd’hui pourraient être électrifiées, en développant massivement énergie nucléaire et batteries de stockage…
C’est une question d’ordre de grandeur. On en traite avec l’équation de Kaya, qui est une règle de trois permettant de comprendre que, même en s’appuyant sur les avancées techniques sur lesquelles on peut compter, dont le développement du nucléaire et l’électrification, la vitesse à laquelle il faudrait aller pour conserver tout ce que nous avons aujourd’hui tout en nous débarrassant totalement des combustibles fossiles est trop grande pour qu’on puisse espérer l’atteindre.
La baisse des émissions de gaz à effet de serre doit en effet être plus rapide encore si on veut éviter un réchauffement climatique trop délétère. Un exemple : il est plus difficile de remplacer chaque voiture thermique de 1,5 tonne par une voiture électrique du même poids que par un vélo électrique de 20 kilos.
Quels pays sont à la fois relativement vertueux du point de vue écologique, tout en ayant un IDH élevé ?
Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont réussi à se désintoxiquer de la drogue des énergies fossiles après y avoir largement goûté. En revanche, il y a des pays plus ou moins sérieux dans leurs efforts pour se sevrer. On peut compter parmi eux le Royaume-Uni, la Suède ou encore la Finlande.
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Nous ne faisons pas partie des bons élèves ?
Non. Nous faisons l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour les transports, en augmentant et en alourdissant notre parc de véhicules, et pour l’urbanisme, en étalant les villes. Nous avons allongé nos chaînes de valeur, ce qui nous rend plus dépendants de l’aviation et de la marine marchande. Nous avons décidé d’installer des antennes 5G, ce qui va à l’encontre de ce qui est pertinent. Notre plus gros investissement – plus de 100 milliards d’euros – est hors climat, puisqu’il consiste à remplacer du nucléaire par des éoliennes et des panneaux solaires qui émettront un peu plus de dioxyde de carbone que nos centrales.
Comment convaincre les Français ou les Européens de faire des efforts importants si les autres ne le font pas ?
L’humain est un animal mimétique. Mon pari, c’est que, si des efforts intelligents sont faits en Europe et en France sans être imités par les autres régions du monde, je veux bien qu’on me fasse pape. L’émulation est une réalité génétique de notre espèce. Il faut que nous trouvions notre intérêt propre, à l’échelle individuelle, dans le fait de se montrer vertueux d’un point de vue environnemental.
Prochaine étape : faire un dessin animé ?
Figurez-vous que j’y ai déjà pensé !
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