“Si nous devons avoir recours à la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique ; nous sommes la nation indispensable.” Les États-Unis sont-ils toujours cette nation-là, vantée par Madeleine Albright après l’intervention en Bosnie et les accords de Dayton de 1995 ? C’est la question que pose The Observer en ouverture du dossier de cette semaine en citant l’ex-secrétaire d’État américaine. Et qui traverse l’ensemble des articles que nous avons sélectionnés et traduits à l’occasion des commémorations du 11 Septembre. Vingt ans après les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, aux États-Unis, qui firent près de 3 000 morts, les images de la défaite américaine en Afghanistan et de la chute de Kaboul semblent dire tout le contraire.
Est-ce pour autant la fin d’une ère ? “La plus grande question est peut-être de savoir si ces scènes [à l’aéroport de Kaboul] marquent les derniers soubresauts du ‘siècle de l’Amérique’, écrit The Observer. L’expression ‘siècle américain’, explique encore l’hebdomadaire britannique, a été forgée en 1941 par le magnat de l’édition Henry Luce, dans un essai où il suggérait : ‘Nous pouvons créer un internationalisme véritablement américain et en faire quelque chose d’aussi naturel pour nous que l’avion ou la radio.’” C’est sciemment que nous avons emprunté cette formule pour la une. Car elle résume à elle seule une époque qui semble aujourd’hui s’achever.
Le tournant du 11 septembre
Après la libération de l’Europe, les États-Unis sont devenus peu à peu le gendarme du monde, guidés par des objectifs très différents suivant leurs zones d’intervention. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, “on a assisté à l’émergence d’une unique superpuissance mondiale sans rival”, souligne The Observer. Jusqu’au 11 septembre 2001, qui allait bouleverser durablement le monde et engager Washington et ses alliés dans deux guerres interminables, en Afghanistan et en Irak.
Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone ont été le signe annonciateur que le XXIe siècle serait une ère de troubles et de désastres, écrit George Packer dans un très beau texte paru dans The Atlantic. Le journaliste américain était à New York en septembre 2001 et à travers son récit, du lendemain des attentats au retour des talibans, on comprend bien ce qui a profondément changé dans le rapport des États-Unis au monde. Et en quoi la riposte des différents dirigeants américains aux attaques d’Al-Qaida fut une erreur qui se paie encore aujourd’hui.
“Le 11 Septembre a donné naissance à l’idée que la sécurité sur le sol américain dépendait de la mise en place des valeurs démocratiques dans le monde musulman. C’était le point de vue des interventionnistes de gauche (dont je faisais partie avant un reportage en Irak en 2003), et il souffrait de l’illusion que la guerre et le pouvoir pouvaient se plier à des fins humanitaires”, reconnaît George Packer. Il n’est pas le seul à s’être trompé. “De toutes les innombrables séquelles du terrorisme, la plus importante est celle qui est la moins prise en compte : c’est ce que la lutte contre le terrorisme a coûté à notre démocratie”, estime l’ancien journaliste du Guardian Spencer Ackerman, cité par The Observer.
Un nouveau combat
Qu’en est-il réellement de la puissance américaine aujourd’hui ? “L’Amérique est de retour”, avait annoncé Joe Biden en février. Avant de promettre en avril le retrait de toutes les troupes américaines d’Afghanistan d’ici au 11 septembre. Avec les conséquences que l’on sait. “‘L’Amérique est de retour’, mais la question se pose désormais : pour faire quoi ? Le sommet pour la démocratie convié [par Biden] en décembre perd singulièrement de sa crédibilité alors que les écoles d’Afghanistan vont sans doute de nouveau se fermer aux filles et que les Afghans qui ont cru à la liberté cherchent désespérément à fuir leur pays”, analyse Roger Cohen dans le New York Times.
Aujourd’hui, une autre menace pèse sur les États-Unis, estime George Packer. “Vingt ans après le 11 Septembre, écrit-il, nous
ne sommes plus ces Américains qui pensaient que rien ne pouvait leur
arriver, et qui, quand ils furent détrompés, traversèrent l’océan pour
débarrasser le monde des ‘monstres’. Les experts considèrent désormais
le suprémacisme blanc comme un péril plus dangereux sur notre sol que le
terrorisme islamiste. Le nouveau combat qui se joue est celui pour
sauver notre démocratie.”
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