Il y a encore quelques mois, il y avait des bases américaines dans tout l’Afghanistan où l’on pouvait s’offrir une immersion dans l’Amérique moderne, acheter du Coca-Cola et des Snickers aux distributeurs automatiques et regarder le sport en direct à la télé.
Aujourd’hui, tout ce qui reste des Américains se trouve à l’aéroport de Kaboul, vestige chaotique d’un séjour de vingt ans et où les derniers soldats tentaient [jusqu’au 31 août, date du retrait définitif] de préserver les ultimes bribes de dignité et d’honneur de leur pays, dont les dirigeants à Washington n’ont apparemment plus rien à faire, en essayant d’évacuer les derniers Américains et les alliés afghans.
Le “gendarme du monde” tire sa révérence
La rapidité et l’ampleur de la défaite avec laquelle la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis a pris fin soulèvent inévitablement des questions quant à sa place dans l’histoire contemporaine, et la plus grande question est peut-être de savoir si ces scènes marquent les derniers soubresauts du “siècle de l’Amérique”.
C’était une époque où les États-Unis étaient censés être le gendarme du monde, en maintenant l’ordre mondial selon un ensemble de règles définies et en intervenant lorsque cela était nécessaire pour mettre un terme aux pires crimes contre l’humanité. Si la réalité s’est souvent révélée très éloignée de cet idéal, peut-on dire que l’ensemble du projet, en théorie et en pratique, touche aujourd’hui à sa fin ?
L’expression “siècle américain” a été forgée en 1941 par le magnat de l’édition Henry Luce, dans un essai où il suggérait ce qui suit : “Nous pouvons créer un internationalisme véritablement américain et en faire quelque chose d’aussi naturel pour nous que l’avion ou la radio.”
Cette ambition s’est concrétisée dans les années qui ont suivi. La libération de l’Europe du joug nazi a été suivie de politiques étonnamment réussies de construction nationale en Allemagne de l’Ouest et au Japon, des pays qui sont devenus des démocraties prospères et des alliés fiables.
Une nation indispensable
D’autres populations dans le monde ont des raisons de ne pas craindre le gendarme du monde. Les Bosniaques et les Kosovars, par exemple, pour lesquels l’Amérique est intervenue lorsque l’Europe ne parvenait pas à agir seule.
C’est d’ailleurs à la suite de l’intervention menée par les États-Unis en Bosnie et des accords de paix de Dayton qui ont suivi que la secrétaire d’État américaine de l’époque, Madeleine Albright, a déclaré : “Si nous devons avoir recours à la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique ; nous sommes la nation indispensable.”
Rares sont les responsables américains à encore oser parler en ces termes aujourd’hui, et les derniers Américains restés en Afghanistan ne se sentent plus guère indispensables.
Dans d’autres parties du monde, l’interventionnisme militaire américain avait des objectifs très différents. Le gendarme du monde était là pour permettre au pétrole de couler à flots et aux pétroliers de naviguer librement, faisant appliquer un ensemble de règles qui avaient été conçues dès le départ pour profiter aux États-Unis et à une poignée de grandes puissances.
En Amérique latine, son action était encore moins discrète : le gendarme agissait comme une société de sécurité privée pour les intérêts des multinationales choisies.
Une superpuissance hégémonique
Le siècle américain a atteint son apogée après la chute du mur de Berlin, et on a assisté à l’émergence d’une unique superpuissance mondiale sans rival, les États-Unis. L’Union soviétique a disparu en 1991, un demi-siècle après la publication de l’essai de Henry Luce.
Ce triomphe allait durer dix ans, jusqu’au 11 septembre 2001. Près de 3 000 personnes ont été tuées dans les attentats à New York et à Washington, et finalement c’est la réaction viscérale de l’Amérique qui a causé le plus de tort à la réputation américaine dans le monde.
Le 11 Septembre a entraîné des “guerres interminables” en Afghanistan et en Irak, qui, si elles se terminent pour les États-Unis, vont continuer à être la réalité
[...]
Source: Le plus ancien des journaux du dimanche (1791) est aussi l’un des fleurons de la “qualité britannique”. Il appartient au même groupe que le quotidien The Guardian mais est d’obédience libérale.
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