08/07/2021

«Xavier Bertrand a-t-il raison de faire l'impasse sur la primaire ?»

FIGAROVOX/ENTRETIEN -
Xavier Bertrand a exprimé son refus de participer à une primaire ouverte de la droite. Une stratégie compréhensible, estime Arnaud Benedetti, car le cadre exclusif de cette primaire ne lui serait pas forcément favorable.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a notamment publié Le coup de com' permanent (éd. du Cerf, 2018) dans lequel il détaille les stratégies de communication d'Emmanuel Macron. 

FIGAROVOX. - Alors que Les Républicains viennent d'entériner une primaire à droite, Xavier Bertrand a annoncé qu'il se présenterait à l'élection présidentielle, sans passer par la primaire. Est-ce une stratégie qui peut s'avérer gagnante, selon vous ?

Arnaud BENEDETTI. - Au regard de l'esprit des institutions, sa logique est compréhensible. Ce ne sont pas les partis qui font l'élection présidentielle, mais le peuple. Le problème vient aujourd'hui du fait que le champ politique ne génère plus, comme par le passé , des candidats «naturels». C'est vrai tant à droite qu'à gauche. La politique ne délivre plus spontanément des profils spontanément exceptionnels, ce qu'exigeait de facto l'élection présidentielle au suffrage universel direct telle que l'avait pensé le Général de Gaulle. Comment dès lors se fabrique l'exceptionnalité ? De deux manières : soit en étant sur une offre fortement différenciée, c'est le cas pour les offres de Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, mais avec les limites que ce positionnement suscite en capacité à rassembler ; soit en s'affranchissant du cadre des partis , ce qu'Emmanuel Macron est parvenu à faire et réussir en 2017, circonstances très favorables aidant... Xavier Bertrand choisit cette voie, lui aussi. Il acte en outre cette idée que la primaire a constitué un échec, voire un trauma pour l'électorat de la droite et du centre car elle a rendu visible les divisions et que la compétition interne à laquelle elle a donné lieu a créé des failles insurmontables entre les entourages des différents compétiteurs. Tout le monde ou presque se souvient entre autres du mot de François Fillon à l'encontre de Nicolas Sarkozy : «Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?» ; formule dont on considère, à tort ou à raison, qu'elle aurait enclenché une mécanique mortifère au sein de la droite.

Xavier Bertrand enfin souhaite élargir sa zone d'attractivité au-delà des seuls sympathisants des Républicains. Il estime aussi sans doute que le cadre exclusif de ces derniers ne lui est pas forcément favorable, mais que sa force tient de son aptitude à aller au-delà en ouvrant plus largement à d'autres segments électoraux, de gauche notamment. Enfermé dans le huis clos de la seule droite , il n'est pas le meilleur candidat ; s'en émancipant , il s'appuie sur les projections sondagières pour imposer un match qui à ce stade lui confère un avantage comparatif par rapport à ses concurrents. Seul bémol : à 10 mois de l'échéance à venir les sondages restent aléatoires, l'expérience passée nous le démontre, et d'autant plus que les toutes dernières régionales ont instillé le sentiment de leur grande fragilité. De ce point de vue la démonétisation relative de l'instrument sondagier est un élément mis en avant par ses adversaires pour contester la dimension préemptrice de la démarche de Xavier Bertrand.

À partir du moment où Macron, malgré la cuisante défaite des siens aux régionales, apparaît moins sous pression du RN, il retrouve pour une partie de son socle électoral une certaine efficience

Arnaud Benedetti


Actuellement en troisième position dans les sondages, comment pourrait-il parvenir à se hisser jusqu'au second tour ?

Son pari est de faire dévisser le président sortant. Pour autant la nouvelle donne, relative certes, induite par les régionales, complexifie un peu sa stratégie. Le reflux du RN, dont on ne peut dire s'il est simplement conjoncturel ou plutôt structurel, affaiblit pour un temps tout au moins l'argument du meilleur barrage au RN. À partir du moment où Macron, malgré la cuisante défaite des siens aux régionales, apparaît moins sous pression du RN, il retrouve pour une partie de son socle électoral une certaine efficience.

L'effet d'éviction sur lequel mise implicitement Xavier Bertrand peut en être amoindri, voire fortement handicapé. D'où vraisemblablement la question qui se pose pour lui de savoir s'il ne doit pas infléchir, voire réorienter une partie de sa stratégie. Il entend combattre frontalement par le ton et le comportement le RN . Or, c'est peut-être là que réside sa marge de progression, son potentiel électoral à venir. Même s'il a durci son programme en matière de sécurité, de rétablissement de l'autorité de l'État, la tonalité générale très anti-RN qu'il fait sienne brouille la qualité de son message en cette matière , sachant qu'il existe un fort degré d'identification de l'électorat de Marine le Pen à cette dernière. Pour trianguler de ce côté-là , il faut sans doute opérer avec une très grande retenue psychologique. Ce qu'à ce stade ne semble pas disposer à faire Xavier Bertrand. Pour l'instant, l'électorat populaire, celui qui vote RN, reste l'arme au pied ; il a exercé un droit de retrait citoyen à l'occasion des régionales. Le président des Hauts-de-France a comme tous les sortants bénéficiaient d'abord du vote de celles et ceux des insiders de la démocratie représentative, de celles et de ceux qui y croient et estiment qu'ils ont intérêt à y croire. L'électorat de la colère et du mécontentement, du «bruit et de la fureur» reste pour lui et pour ses adversaires aussi cet Himalaya à gravir !

Le segment de la droite populaire, gaulliste, dont Philippe Séguin constitua en son temps l'une des incarnations, est à reconquérir.

Arnaud Benedetti

Face à Emmanuel Macron, il semble jouer la carte sociale. Cette communication sera-t-elle suffisante pour déstabiliser le président de la République ?

Le social avait été le grand absent , ou presque , de la présidentielle de 2017 , tant chez Emmanuel Macron que chez François Fillon. La crise des Gilets jaunes, spectaculaire, profonde, a fait réémerger la question dans l'agenda politique. Le segment de la droite populair, gaulliste, dont Philippe Séguin constitua en son temps l'une des incarnations, est à reconquérir. De ce point de vue Xavier Bertrand dispose d'atouts : Il est enraciné dans un territoire qui a subi des décennies de déclassement économique ; il n'appartient pas au cercle , par sa socialisation, des aristocraties d'État, a contrario d'Emmanuel Macron ; il peut enfin exciper le fait d'avoir voté non au Traité de Maastricht en 1992, moment, on ne le dira jamais assez, de grand basculement politique.

Pour parvenir à capter cet électorat, les qualités requises , par-delà le contenu programmatique, exige une communication politique particulièrement adaptée : soit vous êtes apte à adopter la fonction tribunitienne et le profil qui va avec, celui de tribun (or ce dernier tend à disparaître de la scène politique) ; soit vous devez développer une hyperempathie, quasi religieuse, qui crédibilise votre sincérité. Sur ce registre-là et au regard de cet objectif, Xavier Bertrand n'a sans doute pas encore stabilisé son style ; il demeure encore dans une forme d’indétermination dont la campagne qui commence nous dira si elle trouve ou non son chemin.


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