08/05/2021

Elections régionales: mais à quoi servent les régions dans le mille feuilles prédateur de notre pays?

Alors que les élections régionales se profilent, les 20 et 27 juin, ce journaliste suisse s’interroge sur la pertinence du découpage territorial en France. Il décrit un pays tiraillé entre sa volonté de décentralisation et son traditionnel jacobinisme.  Suite...

Et ceci lu sur Atlantico par Patrick le Lidec
Quelles sont les marges de manœuvres budgétaires des régions ?

Les marges de manœuvres budgétaires sont d'autant plus contraintes que la majorité de leur budget est alloué à des dépenses obligatoires comme la construction et l'entretien des lycées, le développement économique, la formation professionnelle, les transports régionaux, etc. Dans les années à venir, beaucoup de dépenses vont devoir être faites dans le domaine ferroviaire parce que la SNCF ferme les petites lignes moins fréquentées et donne la possibilité aux régions de maintenir ces lignes, mais avec des ressources régionales.

Du côté des recettes, les régions ont été confrontées avec le Covid à des dépenses supplémentaires. On a vu un jeu de surenchère dans la distribution des masques, particulièrement dans les régions présidées par des candidats à la présidentielle. La Cour des comptes a rappelé ce phénomène. Il faut aussi s'attendre à des contraintes financières dans la mesure où les régions sont désormais dépourvues de leviers fiscaux. A la différence des communes, elles n'ont pas la capacité de se procurer des ressources supplémentaires pour financer de nouvelles priorités d'action publique. Elles reçoivent une enveloppe dont elles ne décident pas le montant. La seule chose qu'elles puissent faire c'est décider à quel poste de dépense elles affectent cette enveloppe. Mais sous réserve d'abord de financer leurs compétences obligatoires.

A l'intérieur d'un budget (les transports par exemple), on peut avoir un redéploiement de priorités d'affectation territoriale d'un même montant. Par exemple, on aura un peu plus d'argent alloué aux vélos si la mairie est verte. C'est là que se loge la politique. Ces éléments ne sont pas visibles du point de vue de la variation du volume de dépense alloué à un secteur d'action publique.

Les régions peuvent toujours à la marge investir d'autres champs d'action mais ceux-ci vont représenter une part de plus en plus faible de leurs dépenses. Si elles veulent développer de nouvelles priorités, il faut qu'elles diminuent d'autres postes de dépenses, sauf à ce qu'elles bénéficient de ressources supplémentaires. Il faut savoir que dans le financement des régions entre en considération une part croissante de la TVA. Si la crise Covid s'éteint et que la consommation repart, les régions en tireront les dividendes. A la différence des communes dont les recettes sont moins dépendantes de l'évolution de la consommation. Dans un sens positif comme négatif d'ailleurs.

Sinon, on peut effectivement observer des changements au niveau des politiques territoriales. C'est-à-dire les politiques qui s'adressent à des fractions du territoire régional. Par exemple, si on prend le cas de la Bretagne, les politiques de subventionnement lorsque la droite est au pouvoir vont davantage dans le périurbain et dans le rural. Quand la gauche est au pouvoir, on a un effet de réallocation des ressources vers les métropoles. Lors des campagnes électorales, il faut bien savoir que beaucoup de candidats se projettent à l'échelle de micro territoires dont ils sont les représentants et généralement sur lesquels ils cumulent d'autres mandats. Ce sont ces territoires qui pourraient recevoir davantage de subsides si ces candidats venaient à être élus.

Hormis les questions budgétaires, quels mécanismes favorisent l'inertie des régions ?

Les politiques publiques dans beaucoup de domaines font intervenir de manière conjointe l'Europe, l'Etat, les départements, les communes... Ce sont souvent des politiques cofinancées. Si vous avez un partenaire qui veut partir dans une direction différente, il sera retenu par les autres. Il y a un phénomène d'interdépendance très fort dans les politiques menées qui limitent les effets d'essuie-glace.

La continuité des actions publiques est due au fait qu'elles s'inscrivent dans la durée. Si la région est engagée à construire une ligne de tramway, c'est compliqué pour elle qui s'est engagée en tant qu'institution de se dédire au moindre changement de présidence alors qu'entre temps, des entreprises ou des promoteurs se sont engagés sur le projet. De fait, les grosses institutions publiques qui ont des budgets importants se pilotent plutôt comme un port-container que comme un hors-bord.

Pour le savoir, il faut regarder dans le passé. Par exemple, si on prend le cas des premières municipalités frontistes élues en 1995, on voit que les changements avaient lieu dans quelques domaines emblématiques. L'un des domaines qui manifestent le plus un changement de présidence, c'est le domaine de la culture. Quelles sont les associations, les spectacles, les politiques culturelles qui vont être mis en avant. Ça ne veut pas dire que cela représente des montants importants de la dépense régionale, mais par contre ça sera particulièrement visible parce que certains acteurs ne recevront plus rien et d'autres qui ne recevaient rien seront d'un coup très fortement subventionnés.

Mais là encore, l'effet d'alternance risque d'être limité. Dans la vie politique locale, les formations politiques extrêmes ont tendance à se recentrer. On observe une certaine notabilisation des élus frontistes. Une municipalité RN comme celle d'Orange par exemple cherche à se fondre dans le paysage de la droite locale et abandonne certains éléments plus extrêmes de son discours. Car s'ils prenaient le risque de rester très clivants, ils auraient une probabilité élevée de subir une défaite à l'élection suivante. Et si vous menez une politique publique avec des orientations idéologiques très marquées, vous risquez aussi de subir des sanctions de la part des autres échelons de l'action publique.

Enfin, l'un des points faibles des extrêmes est qu'ils sont souvent dépourvus de cadres dirigeants qui partagent leur orientation politique et qui soient capables de les mettre en pratique. Un des effets observés dans les municipalités frontistes, c'est que tous les cadres de ces villes s'étaient enfuis. Donc vous aviez une administration municipale qui était comme décapitée, ce qui représente un énorme frein pour l'action publique. Ça peut être la même chose pour le monde économique. Une politique trop extrême peut faire fuir les entreprises. Par ailleurs, les préfets, qui étaient plus enclins à fermer les yeux sur des actions juridiquement à la marge quand il s'agissait de présidents de régions potentiellement présidentiables, auront peut-être plus de scrupules avec un président frontiste.

Face à cette apparente impuissance à changer le réel des régions, les attentes suscitées par des annonces de campagnes ne risquent-elles pas d'être déçues ?

S'il faut remplacer la chaudière d'un lycée, ce ne sera pas une chaudière estampillée RN ou LR, ce sera une chaudière. Le jeu des partis politiques est de mettre en scène une rupture possible dont on constate généralement ex post qu'elle est d'ampleur plus limitée. C'est notamment dû au fait que les régions n'ont aucune compétence exclusive. Elles n'ont pas la priorité d'un seul domaine mais interviennent de manière conjointe avec d'autres institutions territoriales. Ça limite leur capacité d'opérer des changements radicaux. Bien évidemment, ce n'est pas le genre de chose qu'on entend dans une campagne. Les discours de campagne sont toujours plus radicaux que les politiques mises en œuvre. En effet, il est difficile de traduire une idéologie dans des politiques publiques concrètes vu toutes les contraintes et tous les paramètres juridiques, budgétaires, territoriaux… Il est d'autant plus difficile de changer les choses dans un monde mondialisé fait d'innombrables interdépendances. Qu'on parle de la région ou du pays d'ailleurs. Certaines majorités vont mettre en place des politiques symboliques (les menus à la cantine par exemple) qui vont permettre d'afficher une identité et qui font oublier que dans d'autres domaines, c'est plutôt une continuité qui s'exerce. C'est générateur de déception et c'est aussi de ça que se nourrissent les populistes. Cela alimente aussi l'abstention lors des scrutins. L'échelon régional change trop peu de chose pour qu'on puisse s'y attacher.

 Source Atlantico par 

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