Le Point : Votre famille politique a vécu une semaine de psychodrame avec l'alliance avortée entre Les Républicains (LR) et La République en marche (LREM) en Paca. La droite est-elle en train d'imploser ?
Bernard Accoyer : Le risque d'implosion lente est réel. Il est causé d'abord par le bilan médiocre d'une action politique qui aboutit, après trente années d'alternance, à plonger le pays dans une situation très difficile. Les partis et le personnel politique s'étant disqualifiés, Emmanuel Macron a profité de la défaillance de François Fillon pour faire exploser le système. La gauche dont il est issu a explosé tout de suite. Cela s'opère plus lentement pour la droite, mais cela s'opère. Un sursaut de courage, de travail de fond programmatique et d'unité est indispensable.
De 2004 à 2007, en tant que président du groupe UMP, vous avez dû gérer des conflits parfois violents entre sarkozystes et chiraco-villepinistes. Vous avez également été secrétaire général des Républicains. Auriez-vous exclu Renaud Muselier, qui a agi sans avertir personne, et contre la stratégie décidée par votre parti qui était : pas d'alliances au premier tour ?
Non. L'exclusion politique est un mécanisme où l'on perd davantage que l'exclu et les adversaires. Quant à monter une liste LR en quelques jours, cela posait d'innombrables problèmes avec un risque d'échec dès le premier tour. Je connais bien Renaud, qui est médecin comme moi. C'est un homme convivial qui a été soumis à une pression extrêmement forte, à la fois de Christian Estrosi (qui lui avait donné son fauteuil), d'Hubert Falco, de Jean-Claude Gaudin, mais aussi de Christophe Castaner auquel Christian Estrosi devait son élection à la présidence de région il y a six ans puisque le PS avait retiré sa liste pour faire barrage à Marion Maréchal. Ajoutez à cela tout l'appareil élyséen mobilisé pour le convaincre qu'une alliance était la meilleure solution... Quand un tel rouleau compresseur passe sur une personne seule, il est extrêmement difficile de lui résister. C'était une erreur. Si l'élection est risquée pour Les Républicains face à Thierry Mariani, un ancien du RPR et de l'UMP, l'alliance éventuelle devait attendre le second tour. Aujourd'hui, le risque de l'élection d'un président apparenté RN est toujours là.
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Chirac n'a pas vraiment conduit une politique de droite.
Au terme de cette semaine, la droite apparaît affaiblie, et plus que jamais divisée sur la stratégie qu'elle doit adopter face à Emmanuel Macron. Les chiraquiens que sont Christian Jacob ou François Baroin ont-ils l'autorité nécessaire pour imposer une ligne ?
J'ai toujours été un chiraquien fidèle, même si j'ai toujours pensé que Chirac ne conduisait pas vraiment une politique de droite, sauf de 1986 à 1988. Il a mené une politique sociale-démocrate qui n'a jamais eu le courage de revenir sur les excès de la gauche en matière d'alourdissement de la dépense publique et des prélèvements, d'affaiblissement de la valeur travail et de l'autorité et de l'immigration irrégulière. Tout le monde est responsable et le résultat est là. L'effritement des Républicains a été progressif. On sentait bien que le nombre de militants et de jeunes dans la famille politique allait en diminuant, et qu'il y avait un problème de recrutement. Secrétaires généraux et présidents se sont succédé, avec parfois l'utilisation du mouvement à des fins plus personnelles que collectives. Cela s'est fait au détriment d'un réel travail sur la ligne politique et le projet de fond. La Fondapol, qui est le plus brillant des think tanks français, créée par Jacques Chirac, a été coupée des Républicains, et c'est dommage.
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Christian Jacob multiplie pourtant les conventions et travaux sur le projet, et se vante d'avoir engagé un travail de fond.
C'est vrai, je salue ses efforts. Mais en raison du contexte politique et sanitaire, ses propositions restent peu audibles, et insuffisamment partagées même à la direction de LR, dont le numéro deux annonce ses propres projets de réforme en total décalage avec le travail que conduit Christian Jacob. Ce n'est pas fédérateur pour les militants ni convaincant pour les observateurs.
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La désignation d'un candidat pour la présidentielle devrait permettre de clarifier la ligne. Croyez-vous à une candidature capable de s'imposer naturellement à tous ?
Comme Gérard Larcher, j'ai toujours été favorable à un mécanisme de départage. LR dispose de personnalités de premier plan. Xavier Bertrand a le mérite d'être déterminé et de tout faire pour cela, c'est déjà beaucoup en politique. Valérie Pécresse a l'avantage d'un beau parcours. Elle est capable de combler la fracture entre la capitale et la province, la mégapole et la ruralité. Un autre est brillant et cultivé (même s'il s'en cache), c'est Laurent Wauquiez. Il connaît l'Histoire sur le bout des doigts, c'est important. En Auvergne-Rhône-Alpes, il a fait un travail intense. Il est difficile de prédire qui l'emportera, mais l'union sera la clé.
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Que vous inspire l'hypothèse d'un second tour Macron-Le Pen ?
C'est une hypothèse vraisemblable, mais incertaine. Emmanuel Macron fait tout pour que ce dangereux scénario se concrétise, bien qu'aucun président de la Ve République n'ait été réélu hors cohabitation. L'abstention risque malheureusement d'être déterminante, en raison du nombre de déçus à gauche et du manque d'adhésion suffisante à droite à la gouvernance d'Emmanuel Macron. Les socialistes trouvent qu'il fait trop de courbettes à la droite, et les gens de droite sont outrés par son absence de résultats sur le plan régalien, et par ses clins d'œil à la déconstruction de notre histoire. C'est inquiétant, car au-delà de l'hérédité de Mme Le Pen, elle s'inscrit dans une incohérence programmatique généralisée qu'elle renouvelle tous les cinq ans.
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Le bilan d'Emmanuel Macron, sur le plan économique justement, ne plaide-t-il pas pour lui ?Il n'a pas été à la hauteur des espérances. Certes, il y a eu la crise sanitaire, mais cela tient aussi aux conditions de son émergence rendue possible par la succession d'opportunités qu'il a su saisir. Celle d'accéder à l'intérieur du pouvoir en étant nommé conseiller à l'Élysée, puis celle d'être nommé à un poste ministériel important. Ministre, il a pu rencontrer des parlementaires de gauche et nouer avec certains des liens de travail et de séduction. Pour son projet, il a fallu en donner un petit peu à tout le monde, certaines réformes résultant d'accords de ralliements plus que d'une logique d'ensemble.
Pour le reste, sur tous les sujets régaliens, on constate l'impasse du “en même temps” : les actes sont trop rarement en cohérence avec le discours.
Vous pensez à la réforme des retraites, soufflée par François Bayrou ?
L'échec était écrit d'avance ! L'âge légal de départ à la retraite est une variable incontournable. Or Macron a posé d'emblée qu'il n'y toucherait pas ! À partir de ce moment-là, faire une grande réforme qui allait impacter tous les Français devenait un exercice impossible. Je présidais l'Assemblée quand, péniblement, nous avons réussi à porter l'âge légal de départ à 62 ans, avec tous les mécanismes de bonus-malus. Cela s'est terminé par une séance marathon et Jean-Marc Ayrault qui me courait après dans les couloirs pour me taper dessus ! Toucher aux retraites est une opération extrêmement difficile pour un gouvernement, et on ne peut y toucher qu'en ne changeant qu'une partie des variables qui aujourd'hui définissent notre système. Vouloir tout changer d'un seul coup en passant d'un régime par répartition et par annuités à un régime par point, c'était irréaliste. Des promesses d'Emmanuel Macron, il ne reste pas grand-chose. Il a fait une réforme de la fiscalité sur le patrimoine très critiquée à gauche, elle est la seule réforme courageuse et utile pour essayer de freiner le départ des investisseurs de France. Mais cela lui ramènera peu d'électeurs. Pour le reste, sur tous les sujets régaliens, on constate l'impasse du « en même temps » : les actes sont trop rarement en cohérence avec le discours.
De nombreux épidémiologistes critiquent le calendrier de déconfinement annoncé par le gouvernement, le jugeant prématuré. Le médecin que vous êtes redoute-t-il une quatrième vague ?
J'ai mon opinion concernant la gestion de la crise sanitaire, mais je ne l'exprime pas publiquement, car je considère que la critique publique et de façon dispersée est anxiogène pour les malades et pour la population. Trop de jugements différents se sont exprimés. Maintenant, on ne peut que constater notre retard sur la vaccination par rapport à la Grande-Bretagne, lié au fait que l'Europe, puissance uniquement commerciale, n'a pas eu le réflexe (comme Donald Trump l'a eu) de financer la recherche d'un vaccin, mais s'est contentée de négocier les meilleures conditions d'achat. Cela résume un peu ce qu'est devenue l'Europe : un marché dirigé par des gens davantage obsédés par le commerce et les affaires que par la création de biens, relever le défi du numérique, de l'espace, etc.
La gestion de l’énergie en France illustre le manque de courage, de vigilance, de vision à long terme de nos dirigeants de gauche comme de droite.
Vous avez récemment fondé une association rassemblant des personnalités de gauche comme de droite (avec Arnaud Montebourg, Jean-Pierre Chevènement, Hubert Védrine...), pour défendre le patrimoine industriel français, et notamment le patrimoine nucléaire (l'Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat, PNC-France). La gestion de l'énergie en France, pour vous, symbolise tous les errements des politiques ?
PNC-France est une ONG transpartisane. Toutes les opinions politiques républicaines sont présentes. Et c'est bien ainsi. Nous partageons ensemble le même constat et nous avons la même conviction : les choix énergétiques de la France sont utopiques, ruineux et dangereux. Leurs conséquences climatiques, économiques, sociales et politiques pourraient être incalculables. Or, la France dispose avec sa filière nucléaire du meilleur atout pour relever le défi climatique. C'est ce patrimoine qui est en danger. PNC compte parmi ses membres une multitude de personnalités scientifiques, de disciplines différentes de premier plan, dont deux Prix Nobel. Son conseil d'orientation est présidé par Louis Gallois, à qui l'industrie française doit tant, et son collège d'experts est dirigé par Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l'énergie atomique, scientifique reconnu.
La gestion de l'énergie en France illustre le manque de courage, de vigilance, de vision à long terme de nos dirigeants de gauche comme de droite. Depuis plus de vingt ans, ils ont laissé le ministère de l'Environnement, devenu compétent pour l'énergie en 2007, être infiltré par des militants anti-nucléaires, jusqu'à en arriver à cette aberration : nos choix stratégiques énergétiques salués dans le monde entier sont méthodiquement démolis par un entrisme militant.
Emmanuel Macron clame pourtant son « obsession » de réindustrialiser la France...
Comment expliquer alors que dans son discours du Creusot, quelques mois après la fermeture de la centrale de Fessenheim et l'arrêt de programmes de recherche essentiels pour la filière nucléaire (le programme Astrid, NDLR) Emmanuel Macron affirme à la fois que « notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire », mais qu'il ne prendra aucune décision, pourtant urgente, sur la construction de nouveaux réacteurs (les EPR2 devant remplacer le parc vieillissant, NDLR) avant 2023 ? C'est incompréhensible, dangereux pour répondre aux besoins de décarbonation, et complètement contradictoire avec la volonté qui est la sienne de réindustrialiser la France. Pour réindustrialiser un pays, il faut d'abord arrêter sa désindustrialisation. Or le nucléaire est menacé et c'est la troisième filière industrielle française. Il faut aussi disposer d'une électricité fiable et bon marché. C'était un des atouts de la France, quand l'électricité ne cesse d'augmenter en raison des subventions pharaoniques qui sont accordées aux investisseurs de l'éolien ! Avec le soutien d'un lobby rassemblant des idéologues, des industriels, des gaziers, des pétroliers, et des investisseurs puissants. Avec le soutien de l'Allemagne, l'Europe s'acharne à détruire ce dernier avantage compétitif de la France. Le réchauffement climatique est incompatible avec la domination d'une idéologie qui priorise la sortie du nucléaire sur la lutte contre les émissions de CO2 et pour le climat.
Ce sera l'un des enjeux de la campagne présidentielle ?
Nécessairement, car c'est l'une des clés du redressement du pays. Il n'est plus supportable que l'avenir de la France, que la préservation de son système social – qu'on ne financera pas par de la décroissance – dépende de calculs électoraux. En 2023, Emmanuel Macron sera-t-il au pouvoir ? De quelle majorité disposera-t-il s'il en a une ? Entre l'espoir de garder quelques voix de l'écologie politique et les intérêts de la nation, il faut avoir le courage de prendre les décisions urgentes. L'absence de courage est toujours préjudiciable.
Attendez-vous, sur ces sujets, un sursaut de la droite ?
Je
n'ai jamais renié mes convictions politiques. La démocratie, depuis la
Révolution française, c'est l'alternance entre la droite et la gauche.
C'est toute la classe politique qui doit regarder la France et le monde
tels qu'ils sont devenus. Quant à la droite, elle doit à la France un
sursaut qui mettra au cœur de ses priorités : l'éducation, la formation,
la recherche, le travail, le mérite, la réindustrialisation et le
respect de l'autorité, replaçant notre pays sur une voie qui lui a déjà
réussi plusieurs fois au cours de son histoire. Car c'est la production
qui finance l'indispensable solidarité nationale, ciment de la nation,
une solidarité qui ne pourra plus longtemps être financée, par la dette,
sur le dos des plus jeunes générations.
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