10/04/2021

Patrick Artus – La mort du low cost ?

Depuis trente ans, les économies des pays de l'OCDE ont développé ce que l'on peut appeler l'économie du low cost, qui consiste à offrir les prix les plus bas possible aux consommateurs. Cette évolution est très claire dans la distribution, le tourisme, le transport aérien, l'alimentation ou l'automobile.

Passer à l'économie du low cost implique de réduire autant que possible les coûts de production et d'approvisionnement : constitution de centrales d'achat puissantes dans la grande distribution ; délocalisation des productions vers les pays émergents (en vingt ans, les importations hors énergie depuis les pays émergents sont passées de 15 à 60 % de la valeur ajoutée de l'industrie) ; dégradation du partage des revenus au détriment des salariés ; déréglementation des marchés du travail ; concurrence fiscale entre les pays (sur les cotisations sociales, sur la taxation des profits) ; diminution de la qualité du service. 

 Perte de compétitivité

Si ce modèle économique s'est montré favorable aux consommateurs en permettant une baisse des prix, nous pensons aujourd'hui qu'il va disparaître progressivement, pour deux types de raison.

La première est que les conséquences de ce choix stratégique sont de moins en moins acceptées par les consommateurs. Les opinions comprennent qu'il a conduit au recul de l'emploi industriel avec les délocalisations, à la transformation des emplois industriels en emplois de services peu sophistiqués, à la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles peu coûteuses, à la destruction des commerces de centre-ville et des circuits courts. Elles souhaitent aujourd'hui améliorer la qualité des emplois, relocaliser, accélérer la transition énergétique, revenir aux commerces et aux producteurs locaux.

Ces évolutions conduiront à une augmentation inévitable des prix. Les coûts de production sont, aujourd'hui encore, deux fois plus élevés dans les pays de l'OCDE que dans les pays émergents ; la transition énergétique va mener à un triplement des prix de l'énergie d'ici à 2050, avec la nécessité de construire une très importante capacité de production excédentaire et des capacités de stockage de l'électricité en raison de l'intermittence de la production des énergies renouvelables ; les commerces de centre-ville et les circuits courts sont plus chers que la grande distribution.

Inflation

Il existe un second argument, plus sophistiqué. Les entreprises des pays de l'OCDE vont subir, à moyen terme, à la fois une hausse du coût du travail et une hausse du coût du capital. On voit en effet dans tous les pays une revendication croissante, exacerbée en Europe par la crise du Covid-19, de hausse des bas salaires dans les secteurs qui les pratiquent (construction, distribution, restauration, santé, services à la personne, services simples aux entreprises). Pour l'instant, Joe Biden n'a pas pu augmenter le salaire minimum fédéral aux États-Unis, mais il le fera dans le futur. Ces hausses probables accroîtront nécessairement le coût du travail.

Par ailleurs, il faut s'attendre à une remontée nette, à moyen terme, des taux d'intérêt, avec la réapparition de l'inflation pour les raisons énoncées plus haut : relocalisation, transition énergétique, retour à une distribution plus coûteuse. De plus, le vieillissement démographique devrait également contribuer à la remontée des taux d'intérêt en faisant reculer le taux d'épargne mondial. Si les taux d'intérêt augmentent, le coût du capital des entreprises suivra le même chemin.

C'est une mauvaise nouvelle pour les consommateurs, mais une bonne nouvelle pour l'emploi.

On voit donc que les entreprises, particulièrement celles qui emploient de la main-d'œuvre qualifiée et celles qui sont fortement capitalistiques, vont être confrontées à la hausse à la fois du coût du travail et du coût du capital. Pour pouvoir augmenter leurs prix et leurs marges bénéficiaires, et pouvoir rémunérer leur capital à un niveau plus élevé, l'abandon du low cost conduira à un repositionnement plus haut en gamme des entreprises. C'est une mauvaise nouvelle pour les consommateurs, mais une bonne nouvelle pour l'emploi et son niveau de sophistication, ainsi que pour la qualité des biens et des services.

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