La vidéo fait le tour des réseaux sociaux depuis le mercredi 7 avril, raconte Le Vif-L’Express. Elle a été enregistrée la veille, lors de la rencontre entre les représentants de l’Union européenne et de la Turquie, à Ankara. “On y voit le président du Conseil européen, Charles Michel, se précipiter sur un des deux fauteuils installés côte à côte pour une rencontre au sommet avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.”

Les deux hommes s’installent confortablement tandis qu’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, reste un moment debout, circonspecte, se demandant où elle peut s’installer.”

“[Elle] murmure un ‘hem’ dubitatif, poursuit le magazine belge, avant de s’asseoir finalement sur un canapé, à distance des deux hommes.”

La scène peut sembler “triviale”, commente le quotidien De Morgen, “mais ce qui est arrivé à Ursula von der Leyen est particulièrement douloureux et humiliant. C’est une sensation que nombre de femmes connaissent : être traitée comme quantité négligeable par des hommes convaincus que tout tourne autour d’eux. Dans son cas : elle a été littéralement exclue et envoyée au coin.”

Comment l’Europe peut-elle se laisser humilier de la sorte ?

C’est donc un affront pour Ursula von der Leyen. Une gifle de la part d’Erdogan – qui a encore rappelé son grand conservatisme et sa misogynie en se retirant de la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes le 20 mars dernier. Et un fameux geste de “goujaterie” de la part de Charles Michel, comme le relèvent Le Vif et de nombreuses personnalités belges, devant l’empressement avec lequel l’ancien Premier ministre belge se précipite sur le siège, pour n’en plus bouger. Et il ne faudrait pas sous-estimer ce que cette attitude implique pour l’image de l’Europe. Comme l’écrit l’hebdomadaire :

Reflet d’un sexisme ordinaire, qui fait bondir les féministes au sens large, l’attitude protocolaire de Charles Michel est d’autant plus critiquée qu’il s’agit d’une rencontre visant à pacifier les relations avec un Turquie qui ne cesse de rétrograder la position de la femme.”

“L’Europe voudrait se caricaturer, elle ne pourrait mieux faire”, déplore L’Écho, toujours en Belgique. “Cet incident diplomatique en dit long sur les relations Europe-Turquie, mais surtout sur la grande naïveté de la politique étrangère de l’Union européenne, renchérit Het Belang van Limburg. Comment un bloc économique doté d’un tel pouvoir peut-il se laisser humilier aussi simplement par un leader autoritaire ?”

Difficile de voir autre chose dans cet incident qu’un “signal misogyne”, regrette le journal flamand. Celui d’Erdogan, qui “ne traite qu’avec des hommes”, et celui de Charles Michel, qui se laisse “docilement” avoir. L’ancien Premier ministre belge avait pourtant le choix, estime De Tijd : il aurait pu signaler l’absence d’une troisième chaise, envisager de céder sa place à sa collègue, ou “aller s’asseoir à ses côtés sur le canapé”. Autant d’options qui auraient un peu mieux convenu à “une Union qui se veut le porte-étendard de l’égalité des genres”. Mais si Michel n’a pas bougé de son siège, reprend Het Belang van Limburg, c’est qu’il “préfère se mettre à l’avant-plan pour tenter de se débarrasser de son image de président du Conseil un peu mou”.

Nous aurions pu “en sortir grandis en tant qu’Européens”

“On savait déjà qu’Erdogan était Erdogan. Maintenant, on sait aussi que Michel est Michel”, conclut Massimo Gramellini, dans son billet d’humeur en une du Corriere della Sera.

Il y a des moments, comme ça, qui définissent une personnalité et tout un continent. Si Michel avait cédé sa place à sa collègue, Erdogan aurait été d’un coup réduit à ce qu’il est : un autocrate misogyne convaincu que le pouvoir de chantage qu’il exerce sur l’Europe avec la question des migrants lui permet toutes les insolences. En tant qu’Européens, nous en serions sortis grandis, renforcés dans notre estime de nous-mêmes.”

Mais non, “au lieu de ça, Michel s’assied sans faire un pli, avec un mélange déprimant d’inconscience et de peur de se tromper. Ce même mélange qui a accompagné l’Europe dans sa gestion catastrophique des vaccins”, fulmine l’éditorialiste italien. Qui se réjouit malgré tout d’une chose : “pour la première fois, je ne suis pas en colère en tant qu’Italien, mais en tant qu’Européen.”