Nous sommes tous issus de la classe moyenne. Du moins, c’est ce que l’on aimerait croire. Et les hommes politiques flattent régulièrement cette propension des Français à se moyenniser. Dernier exemple en date, les déclarations de François Bayrou dimanche sur RTL n’ont pas manqué de créer une énième polémique : « 4 000 euros par mois, pour moi c’est la classe moyenne », a estimé le président du MoDem.
Disons-le d’emblée : une personne qui gagne 4 000 euros nets par mois fait bel et bien partie de la petite minorité des riches. Ce que n’ont pas manqué de faire remarquer l’avalanche de commentaires qui ont immédiatement suivi sur les réseaux sociaux. A tel point que François Bayrou a jugé nécessaire de s’expliquer après coup, dans une vidéo sur son compte Facebook, jouant sur l’ambiguïté : parle-t-on des revenus d’une personne seule ou d’un couple ? Citant les cas-types « d’un couple d’infirmiers à l’hôpital », « d’un couple d’enseignants à la retraite » et « d’un cadre dans une des entreprises de la région », qui tous perçoivent plus que cette somme, le maire de Pau conclut : « Je ne vais pas prétendre qu’ils sont riches. »
Habille pirouette. Mais ce seuil de 4 000 euros ne sort pas de nulle part : c’est une référence à la polémique que François Hollande avait essuyée en son temps, après avoir déclaré sur un plateau télé en 2007 qu’il n’aimait pas les riches. Et de fixer le seuil d’entrée dans la richesse au-delà de ces fameux 4 000 euros. Le futur président de la République de l’époque parlait bien d’un revenu individuel. Et si François Bayrou a fait cette déclaration sur RTL dimanche, c’est en réaction à une question du journaliste qui lui demandait s’il était d’accord avec son ancien rival pour dire qu’on était riche à partir de 4 000 euros.
Cela pourrait n’être qu’un buzz médiatique de plus, dont sont friands les réseaux sociaux. Sauf qu’il en dit long sur notre société, sur la façon dont les individus perçoivent leur niveau de vie et se situent dans la hiérarchie sociale (voir notre quiz « Etes-vous riche ? »). Avec en arrière-plan, l’épineuse question du consentement à l’impôt.
Un seuil de pauvreté mais pas de richesse
Alors où se place une personne qui gagne 4 000 euros par mois sur l’échelle des revenus ? Plutôt sur les barreaux du haut ? Ou ceux du milieu ?
Il n’existe pas de seuil officiel de richesse en France. L’Insee calcule chaque année celui de la pauvreté, qui par convention est fixé à 60 % du niveau de vie médian, c’est-à-dire celui qui sépare la population en deux, une moitié gagne plus, l’autre moitié gagne moins. Ce niveau de vie médian s’élevait à 1 771 euros par mois pour une personne seule en 2018. On est loin des 4 000 euros avancés par François Bayrou…
L’Observatoire des inégalités a proposé de fixer le seuil de richesse à 3 470 euros par mois après impôts pour une personne seule, car c’est le double du niveau de vie médian
Le seuil de pauvreté lui, s’élevait à la même date à 1 063 euros par mois pour une personne seule. On sait donc à partir de quand on est pauvre, où se situe le milieu de la distribution, mais il n’y a pas de seuil officiel pour les strates supérieures. Une lacune comblée l’année dernière par l’Observatoire des inégalités, qui a proposé de fixer le seuil de richesse à 3 470 euros par mois après impôts pour une personne seule.
Pourquoi 3 470 euros ? Car c’est le double du niveau de vie médian. Calculé avec les données de 2018, les plus récentes à ce jour, cela donne un ticket d’entrée dans le club des riches à 3 542 euros. Un club qui rassemble un peu plus de 5 millions de personnes, soit 8,2 % de la population française.
Des deux François, c’est donc Hollande qui était le plus proche de la réalité statistique. Evidemment, fixer le seuil de richesse au double du niveau de vie médian est une convention arbitraire. Pourquoi pas le triple, ou le quadruple ? Cela peut se discuter, mais quand on sait que seuls 8 % des Français empochent un salaire net mensuel1 supérieur à 4 000 euros, cela paraît quand même difficile de dire qu’ils font partie de la classe moyenne…
Justement, où commence et où finit cette fameuse classe moyenne, dont tout le monde se réclame ? Là encore, il n’y a pas vraiment de consensus. Ou plutôt différentes définitions coexistent. La façon la plus évidente d’aborder les choses est de s’intéresser au niveau de revenus, comme on le fait depuis le début de cet article.
Toujours selon l’Observatoire des inégalités, les classes moyennes se situeraient dans l’échelle des revenus entre les 30 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches. Autrement dit, on fait partie de la classe moyenne avec un revenu qui oscille entre 1 270 euros et 2 297 euros par mois pour une personne seule.
Il s’agit ici de revenu disponible, pas uniquement de salaire, donc on raisonne après impôts et prestations sociales et cela prend aussi en compte les revenus du patrimoine ou ceux des indépendants. Pour un couple sans enfant, la classe moyenne commence à partir de 2 513 euros par mois et finit à 4 468 euros. Pour un couple avec deux enfants, cette fourchette passe de 3 388 euros à 5 518 euros. On le voit, quand on raisonne à l’échelle d’un ménage, et non plus d’une personne seule, l’estimation de François Bayrou sonne plus juste.
L’Observatoire des inégalités n’est pas le seul à avoir proposé sa définition « économique » des classes moyennes. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), par exemple, a retenu une définition proche de celle de l’Observatoire, mais un peu plus large : sont considérés comme faisant partie des classes moyennes les Français dont les revenus se concentrent entre les 20 % des Français les plus pauvres et les 20 % les plus riches. Soit pour une personne seule entre 1 096 euros et 2 297 euros par mois en 2017, après impôts et prestations sociales.
L’OCDE propose une autre caractérisation, elle aussi plus ample. Elle considère que les classes moyennes ont un revenu compris entre 75 % et 200 % du niveau de vie médian, c’est-à-dire entre 1 328 euros mensuels et 3 545 euros en 2018, pour ce qui concerne la France. Une définition sans doute un peu trop ample puisqu’elle englobe 67,5 % de la population, toujours selon l’OCDE.
Une définition sociologique
Reste que se cantonner à l’aspect monétaire est réducteur pour parler des classes moyennes. Une autre manière de les définir est de s’intéresser aux catégories socioprofessionnelles.
Cette définition « sociologique » réunit les catégories situées aux étages intermédiaires du système de production, c’est-à-dire entre le salariat d’exécution (ouvriers et employés) et le salariat d’encadrement et de direction, ce qui correspond à ce que l’Insee appelle les « professions intermédiaires ». Auxquelles on ajoute généralement les indépendants, artisans, commerçants et petits patrons.
Ainsi définies, les classes moyennes représentent environ 30 % de la population active. Or, si l’on s’en tient aux professions intermédiaires, elles touchaient en moyenne un salaire mensuel net de 2 311 euros en 2017, selon l’Insee.
Tous ces ordres de grandeurs ont leurs limites. Mais ils constituent autant de repères utiles pour se situer dans la hiérarchie des niveaux de vie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la plupart des Français ont une vision tronquée de leur positionnement sur cette échelle des revenus. C’est ce que montre la troisième façon d’aborder les classes moyennes : la définition subjective.
Selon cette approche, sont considérés comme appartenant aux classes moyennes tous ceux qui ont le sentiment d’y appartenir. Et la plupart des enquêtes le montrent : c’est le cas d’une écrasante majorité de Français. Selon l’OCDE, 74 % des Français disent faire partie des classes moyennes. On comprend mieux que les hommes politiques cherchent à s’attirer les faveurs de cette « France moyenne ». Défendre les classes moyennes, c’est rechercher les suffrages de la majorité des Français, puisque quasiment tout le monde s’identifie à ce groupe. Y compris les riches.
Se tromper de classe
C’est ce que pointe notamment une intéressante étude de l’Insee, publiée en 2014, dont les conclusions restent pertinentes. En 2011, l’Institut a demandé aux membres des ménages âgés d’au moins 16 ans de se positionner sur l’échelle des niveaux de vie découpée en tiers. Concrètement, pensez-vous faire partie du tiers des Français les plus modestes ? Du tiers intermédiaire ? Ou du tiers des Français les plus aisés ?
Résultat, 66 % des Français se classent dans le groupe intermédiaire. Et seulement 11 % d’entre eux se placent dans le tiers supérieur, le groupe des plus riches. Là où l’étude est plus originale que la plupart des sondages sur ce sujet est qu’elle compare les déclarations des Français avec leur situation sociale objective.
« Trois fois sur cinq, les plus modestes surestiment leur niveau de vie, se positionnant dans le tiers intermédiaire, voire dans le tiers des plus aisés, et quatre fois sur cinq, les plus aisés le sous-estiment. Chez ces derniers, seule une personne sur cinq considère que son niveau de vie fait partie des plus élevés en France », précisent les auteurs de l’étude.
A partir de quel niveau de revenu est-il légitime de taxer plus fortement les plus riches ?
Pourquoi un tel hiatus chez les plus riches entre leur situation objective et la façon dont ils la perçoivent ? Sans doute parce qu’au sein du groupe des plus fortunés, les écarts de revenu peuvent être très importants.
Ainsi, comme le rappelle l’Observatoire des inégalités, les personnes situées entre les 10 % et le 1 % les plus riches ont en moyenne un niveau de vie équivalent à 5 000 euros par mois avant impôts. Le 1 % le plus riche reçoit près de 15 000 euros en moyenne. Quant au club ultra-select des 0,01 % les plus riches, il faut avoir au minimum un niveau de vie mensuel supérieur à 38 500 euros pour en faire partie.
Maintenant que vous y voyez un peu plus clair sur l’échelle des
niveaux de vie, lançons un autre débat qui fâche : à partir de quel
niveau de revenu est-il légitime de taxer plus fortement les plus
riches ? Dès le seuil de richesse fixé à 3 500 euros ? Ou à partir du
seuil des 10 % ? Voire du 0,1 % ? Car c’est bien de cela dont il
s’agit : avant de faire sa petite phrase sur les classes moyennes à
4 000 euros, François Bayrou était interrogé sur l’opportunité de créer
une taxe Covid pour mettre à contribution les plus aisés. Le
haut-commissaire au Plan n’était pas contre le principe d’un tel
prélèvement. Reste à se mettre d’accord sur qui sont les riches...
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