28/01/2021

Tout va très bien, Madame la Marquise, il faut que je vous dise… | Bouillaud's Weblog - bloc-notes d'un politiste

Le lecteur de ce blog aura facilement constaté que mes interventions s’y font bien rare. Désolé pour celles et ceux qui en apprécient le contenu. Il se trouve que le semestre dernier, presque entièrement « en distanciel », fut plutôt épuisant . J’en suis sorti bien rincé, étonné moi-même d’être rincé à ce point, et je me remets à peine que, déjà, il faut ré-attaquer pour un autre semestre tout aussi folklorique visiblement. Le « démerdentiel«  (inspiré par le bon vieux « système D » à la française) va continuer de plus belle.

De fait, les annonces en date du 21 janvier du Président de la République sur la réouverture des universités « à 20% de la jauge » et « un jour par semaine pour tous les étudiants » m’ont mis en rogne. Dans une rogne noire. Je n’attends certes bien sûr plus rien, et cela depuis fort longtemps, de cette équipe de gouvernants à l’amateurisme hautement revendiqué, mais leur capacité à se montrer en dessous de tout me parait de plus en plus hors concours – enfin passons… Boris Johnson n’est évidemment pas mal non plus dans le genre.

J’avais déjà trouvé que la mauvaise préparation de l’arrivée des vaccins – pourtant attendue par eux comme l’arme fatale contre la pandémie – était presque incroyable, hallucinante, bien digne d’une blague à la Gorafi. Comment peut-on ne pas avoir réfléchi, dès la fin du printemps dernier, à cette vaccination de masse, ne pas l’avoir organisée dès l’automne dans les moindres détails, et arriver au pied du mur apparemment bien peu préparé à ce qu’on annonce soi-même depuis des mois comme la solution? Il est vrai qu’on a payé à cet effet des consultants pour réfléchir sur le dit sujet, avec le beau résultat que l’on sait. Cela mériterait remboursement des sommes payées, tant les conseils de ces derniers ont dû être visiblement d’une bien haute tenue. On n’a pas non plus pensé à la production du dit vaccin qui a été laissée aux bons soins de braves capitalistes à l’efficience évidente, et nous voilà d’un bout à l’autre de l’Europe face à des pénuries de doses de vaccins.

Mais, là, annoncer une mesure aussi vague et prometteuse aux étudiants qu’un droit pour tous les étudiants à avoir partout un jour de cours « en présentiel » par semaine, sans dépasser toutefois la jauge de 20% de présence globale dans les locaux par rapport aux effectifs normaux des établissements concernés, et cela à la toute dernière minute, au moment même de la rentrée scolaire du second semestre universitaire, c’est vraiment le pompon. Le tout bien sûr, noblesse oblige (« Nous sommes la France! »), sans annoncer le moindre début de commencement de moyens conséquents de quelque nature que ce soit (locaux, enseignants, administratifs, matériel informatique, etc.) pour faire face à cette nouvelle contrainte de toute dernière minute (déjà l’organisation des TD en demi-jauge pour les premières années, annoncé in extremis le 19 décembre, n’était pas des plus facile à mettre en place).

A ce stade, je me demande si Emmanuel Macron ne veut pas simplement tester la servilité des dirigeants des universités et s’assurer de leur loyauté jusqu’au bout à sa personne. On leur demande quelque chose qui s’annonce comme du grand n’importe quoi pédagogique, et on observe ensuite avec le plaisir sadique d’un dirigeant nord-coréen s’ils obtempèrent. On vérifie ainsi sur pièces jusqu’à quel point ils feront preuve de courtisanerie pour ne pas dire plus, prêts à faire bon marché de cette piétaille que représentent les responsables de diplômes et autres enseignants de base – dont il est vrai que bien peu se reconnaissent encore dans le macronisme en l’an 2021. (Un universitaire de base qui serait encore macroniste en 2021 après la loi scélérate sur l’avenir de la recherche votée en pleine pandémie, c’est en effet devenu une rareté à sortir seulement un jour de visite ministérielle dans les locaux, une fois éloignés tous les autres à grand renfort de forces de l’ordre.) Il semble que, déjà, à l’heure où j’écris, certains présidents d’Université parmi les plus obséquieux ont signifié à sa Majesté qu’ils étaient prêts à travailler en direction du Roi Ubu jusqu’à ce que mort des universitaires (consciencieux) de tous rangs et conditions s’en suive par épuisement, exaspération ou Covid-19 au choix.

Je ne nie certes pas que les étudiants souffrent (comme leurs enseignants d’ailleurs, moi y compris) de la situation d’un enseignement dégradé à distance, qu’ils se sentent bien isolés, etc., mais j’aimerais constater aussi un peu de cohérence dans la stratégie du pouvoir face à la pandémie.

D’une part, l’ensemble de la population française est actuellement soumise en métropole à un « couvre-feu » à 18h00, les discothèques, bars, restaurants, lieux de spectacle, salles de sport, etc. sont fermés sine die depuis quelques mois, les stations de ski sont priées de ne pas ouvrir leurs remontées mécaniques pour la meilleure partie de la saison hivernale, les conseils sur les masques à porter se font plus contraignants, les frontières sont de plus en plus fermées, etc., et, d’autre part, on en vient par ce genre de mesure de dernière minute à permettre à tous les étudiants de revenir en cours au moins une fois par semaine. Du point de vue de la maîtrise de l’épidémie par limitation des contacts sociaux, le gouvernement appuie donc en même temps sur le frein et l’accélérateur. C’est parfaitement incohérent. C’est surtout destiné à rendre fous les gens comme moi qui suivent d’un peu de près l’actualité de l’épidémie sans avoir basculé du côté complotiste – c’est sûr que, face à tant d’incohérence, d’absence de stratégie, il serait vraiment plus simple, plus rassurant pour sa propre santé mentale, d’interpréter tout cela comme un complot.

Pour un habitant de la région Auvergne-Rhône-Alpes comme je le suis, je doute fort qu’il y ait du coup plus de risques de contagion ajoutée dans la fréquentation des pistes d’une station de ski alpin avec application de protocoles sanitaires que dans la multiplication de possibilités pour les étudiants de revenir en cours en intérieur, avec application de nos bien médiocres protocoles sanitaires. Qui peut croire par ailleurs que les étudiants ne vont pas en profiter pour socialiser de nouveau en dehors des locaux universitaires (sur le trajet par exemple) si l’on rouvre tout, ne serait-ce qu’un jour par semaine pour tout le monde par roulement? J’ai bien vu en octobre, lorsque nous avons maintenu les conférences de méthode et certains cours à faibles effectifs dans mon établissement, que les étudiants ne rentraient pas mécaniquement chez eux en rang par deux après mes enseignements, ils socialisaient, fumaient une cigarette ensemble, voire mangeaient leur déjeuner tiré de leur sac les uns à côté des autres en parlant sur un banc de fortune. C’est humain, ordinaire, inévitable, sauf à mettre un robocop ou un drone derrière chaque étudiant.

Certes c’est toute l’Europe qui souffre de son incohérence stratégique face à la pandémie, mais, avec cette décision venue de Jupiter (ou de Héra?), pour se concilier la jeunesse étudiante, la France semble vouloir battre des records d’incohérence. En effet, pour l’instant, à l’échelle mondiale, face à la pandémie, la seule stratégie gagnante, c’est celle de la « suppression ». Elle suppose des mesures drastiques, très liberticides certes, mais pour un temps court. Ensuite, pour maintenir le gain obtenu, il faut filtrer avec soin les entrées dans le territoire ainsi « libéré » du virus (quarantaines longues et réelles). Cette stratégie est bien sûr plus facile à mettre en place pour un État autoritaire bien organisé (République populaire de Chine, Vietnam) ou pour une démocratie insulaire (Nouvelle-Zélande, Australie, Taïwan) ou quasi-insulaire (Corée du sud). Aucun pays européen n’a osé pour l’instant se lancer dans cette stratégie-là. On préfère donc vivre avec le virus, ou plutôt mourir avec.

Pourtant, avec la preuve montante de semaines en semaines du fait que, plus ce virus du Covid-19 circule dans la population humaine, plus il trouve des occasions de muter pour devenir plus contagieux et/ou dangereux, toute stratégie visant à vivre avec le virus devient elle-même de plus en plus illusoire. On peut certes espérer que la vaccination de la plus grande partie de la population française permettra à terme de limiter le poids de cette infection nouvelle sur notre système de santé, mais, en cette fin du mois de janvier, nous n’en sommes pas là. Sauf à croire à un miracle sauvant du pire les zélés défenseurs d’une République laïque, la France, pas plus que l’Irlande ou le Portugal, ne pourra pas éviter une troisième (grosse) vague, liée à la conjonction de l’arrivée de plusieurs variants (anglais, sud-africains, brésiliens) sur son territoire. Alors pourquoi charger encore la barque des contagions en se mettant totalement à contre-temps à rouvrir les universités? Et pourquoi pas alors les bars, les restaurants, les musées, les théâtres, les salles de sport, etc.? Veut-on se retrouver à devoir annuler aussi toute la vie sociale de cet été 2021?

Au contraire, vu les preuves de plus en plus nombreuses qu’il est impossible de cohabiter avec ce virus (Manaus docet) , il faudrait plutôt commencer à penser à une vraie stratégie de suppression. Or, pour l’instant, aucun pays n’a réussi cette stratégie sans bloquer toute la vie sociale de manière drastique, au moins en certains points du territoire national concerné. Je comprends fort bien que Macron et son gouvernement ne disposent plus guère de la légitimité pour se lancer dans un confinement renforcé au point d’annihiler la circulation du virus, et, ensuite, pour rendre ensuite le territoire ainsi libéré du virus étanche à toute nouvelle introduction de ce dernier (ce qui supposerait de renoncer, pour un temps au moins, à toute circulation entre pays en Europe), mais, avec un virus qui change aussi vite, peut-être faudra-t-il finalement se résoudre à cette solution, le plus tôt ne sera-t-il pas le mieux.

Ou alors, si l’on considère en haut lieu que la suppression du virus est devenue désormais impossible, ne faut-il pas créer d’ores et déjà les conditions d’une nouvelle normalité, celle où la mortalité serait beaucoup plus élevée qu’elle ne l’était en moyenne jusqu’à l’arrivée du Covid-19, et de tout rouvrir alors au plus vite en prévenant tout le monde de ce que cela signifie. Cela supposerait alors de dimensionner bien autrement les services hospitaliers, et surtout de redéfinir tout le parcours qui précède et suit le décès d’une personne humaine dans notre société. C’est théoriquement possible, même si, en pratique, cela ne sera pas facile de changer les mœurs des soignants trop habitués à sauver des vies par les progrès de la médecine depuis des décennie : après tout, le Covid-19 ne tue pas tant que cela, diront les Corona-sceptiques, surtout des vieux (plus de 65 ans) en plus . Il faudrait donc ajuster l’organisation sanitaire du pays à une jauge de mortalité durablement (définitivement?) plus élevée. Cela résoudrait d’ailleurs en passant le problème de l’allongement de l’espérance de vie qui met en danger nos systèmes de retraite. Cela aurait même un aspect plutôt féministe, puisque ce sont surtout des hommes âgés (à partir de 50/55 ans) qui meurent – ironie suprême de ce discours des Corona-sceptiques quand on constate que la plupart de ceux d’entre eux qui le tiennent dans les médias ou sur les réseaux sociaux sont des vieux mâles de plus de 60 ans (avec peu de femmes parmi eux, étrange non?). Après tout, pourrait-on dire, nos sociétés humaines ont bien vécu avec la syphilis et la tuberculose, elles vivent depuis les années 1980 avec le VIH, et certaines vivent encore avec le paludisme et autres maladies endémiques. Tout cette nouvelle mort qui rôde nous redonnera goût à la vie, ajouteront les plus festifs, et les plus cyniques y verront même une occasion d’épurer la population de tous ces éléments dégénérés qui s’y sont accumulés depuis des siècles. (Après « la guerre, hygiène du monde », la pandémie? )

On remarquera que, pour l’instant, aucun gouvernement, sauf peut-être celui de Bolsonaro au Brésil, n’a sciemment choisi cette option souvent qualifiée de « libertarienne ». Trump a visiblement été tenté par cette option. Cela ne lui a pas trop réussi.

En fait, cette option de l’acceptation d’une mortalité plus élevée de manière permanente à cause de la pandémie de Covid-19 apparait comme bien peu crédible. Je vois mal en tout cas les Français accepter cette nouvelle norme éventuelle. Un petit rhume, et hop hop, trois ou quatre semaines après le cimetière avec parcours express dûment organisé par les autorités, cela risque de pourrir quelque peu l’ambiance. Surtout, plus sérieusement, pour un pays touristique comme la France (première destination touristique mondiale avant la pandémie de Covid-19), cela voudrait donc renoncer à l’être pour les ressortissants de tous les pays qui auraient choisi de leur côté la « suppression » du virus sur leur sol. Adieu donc définitif aux touristes chinois, néo-zélandais, ou autres à haut pouvoir d’achat. Impossible. Donc, logiquement, il ne reste donc que la « suppression ». Or, Madame la Marquise, cela suppose de sortir de la routine dans laquelle le gouvernement semble désormais installée avec sa gestion de l’épidémie qui consiste simplement à « écraser la courbe des hospitalisations », en le faisant juste au tout dernier moment bien sûr. Sans compter qu’en plus, il n’aura échappé à personne qu’avec leur répétition depuis l’an dernier, les mesures dites de confinement sont de moins en moins respectées, et que la courbe redescend de plus en plus lentement. Le télétravail, supposément privilégié par exemple, est devenu d’après les échos que je peux en avoir et d’après ce que je peux constater dans les rues de Lyon une vaste fumisterie. Mais je le répète, je comprends bien aussi qu’une équipe de dirigeants qui ont été aussi souvent pris en faute depuis le début de la pandémie se trouve sans doute très mal placée pour changer totalement de braquet. Puisque c’est une guerre, il faudrait déjà changer les généraux en chef pour la gagner. Mais là il n’en est pas question. Le général en chef ne va pas se limoger lui-même.

En tout cas, comme universitaire, je n’ai guère envie de donner de faux espoirs aux étudiants. Une reprise d’un ou deux semaines suivie d’un retour à un confinement, ou suivi d’une explosion des clusters dans les Universités que les ARS devront cacher sous le tapis à la façon soviétique, serait la pire des choses. Mais, grâce au sens de la situation de notre excellent Président de la République, ce si grand stratège, nous fonçons droit vers cela. Iceberg en vue. En avant toute. Hourra, hourra, hourra, vive la France!

Oui, je suis en rogne. (Et que le lecteur sache que j’ai fait tous mes efforts pour rester poli.)

 
 

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