Faudra-t-il à chaque fois une « bonne » catastrophe pour se remettre à penser ? Pour le philosophe slovène Zlavoj Zizek il ne fait aucun doute que c’est là ce que la crise de la Covid-19 a mis en évidence : seul un bouleversement de l’ordre du monde nous incite à en repenser l’organisation et les buts.
C’est d’autant plus triste à relever qu’il n’est pas certain nous dit-il que, lorsque l’épidémie aura cessé si jamais cela arrive un jour, nous ayons assez de force pour en célébrer dignement la disparition. Car prédit Zizek, l’un des intellectuels européens les plus influents du moment, « les effets de la pandémie sur notre équilibre psychique seront pour le moins sévères : une étude réalisée par le Well Being Trust, une fondation dédiée aux enjeux de la santé publique, a évalué pour les Etats-Unis à 75 000 le nombre à venir de morts par overdose ou alcoolisme, mais aussi par suicide, directement liés à la pandémie de coronavirus » (p. 140).
Tout
se passe comme si finalement nos sociétés ressemblaient de plus en plus
aux personnes qui se savent condamnées, et qui suivent à ce titre un
processus en cinq phases telles que décrites dans les travaux
d’Elizabeth Kübler-Ross auxquels notre auteur se réfère ici : le déni,
la colère, la négociation, la dépression, et enfin l’acceptation.
Du reste, si nous prenons le cas français, il faut reconnaître que cette grille d’analyse fonctionne assez bien :
-le déni nous l’avons connu lorsqu’il était de bon ton de ne pas porter de masque.
-la colère a été ressentie lorsque nous nous sommes aperçus que ces masques étaient finalement introuvables.
-la
négociation ensuite, lorsqu’il a fallu imposer un confinement moyennant
différentes formes de compensation, notamment financières.
-la
dépression s’est produite quand le déconfinement eut lieu, et que nous
avions nous-mêmes un peu changé mais pas le monde autour de nous. « Le
désastre ruine tout en laissant tout en l’état » écrivait déjà au siècle
dernier le romancier Maurice Blanchot.
-enfin le temps de l’acceptation sans doute, celui d’un second confinement pas tellement mieux préparé que le premier.
Certes non, dans cet essai intitulé Dans la tempête virale
publié aux Editions Actes Sud, la thèse principale ne fait guère montre
d’un grand optimisme. Mais il faut aussi dire que l’optimisme n’a
jamais été le point fort de cet esprit original et révolté, embastillé
depuis le début du confinement dans sa maison de Lubljana, mais jamais à
court de plaisanteries et de jeux de mots proférés à la manière de
Jacques Lacan, l’un de ses maîtres à penser. Et c’est peut-être cela qui
permet paradoxalement d’échapper au désespoir, comme celui, manifeste,
de ce gouverneur adjoint du Texas, Dan Patrick que cite Zizek, évoquant
sur Fox News le fait qu’il « préférait mourir plutôt que de voir des
mesures de santé publique porter atteinte à l’économie américaine » (p.
87).
Car la crise en
effet aura eu au moins le mérite de nous faire entrevoir le bon côté de
la contagion : celui de mettre en valeur le rôle des métiers «
essentiels » dans le fonctionnement de nos sociétés prétendument
digitalisées : les éboueurs, les infirmiers, les travailleurs sociaux,
entre autres. Des métiers pourvus de sens, tournés vers le seul intérêt
général, pétris de valeurs qui ne se mesurent pas. C’est là le sens
ultime, et éthique, de cet essai qui se conclut (p. 151) sur la
correspondance que l’un de ses amis journalistes lui adresse durant la
bourrasque causée par l’apparition de la pandémie :
«
Tout le monde travaille de chez soi, jour et nuit, en participant aux
visioconférences, en prenant soin des enfants, en leur faisant faire
leurs devoirs, sans se demander pourquoi faire cela, pourquoi agir ainsi
: parce qu’il n’est plus du tout question de « faire de l’argent pour
pouvoir partir en vacances » etc… puisque personne ne sait s’il y aura
de nouveau des vacances, s’il y aura à nouveau de l’argent. (…) L’idée
qu’il faudrait « plus » semble désormais irréelle. »
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