10/01/2021

Covid : avec le vaccin, pourra-t-on atteindre l'immunité collective dans les prochains mois ?

LA VÉRIFICATION
- Cette semaine, Olivier Véran, le ministre de la Santé, s'est déclaré optimiste pour atteindre ce seuil à partir duquel le virus ne parvient plus à circuler. Est-ce crédible ?

LA QUESTION. Avec le vaccin, la tentation est grande de croire que le retour à la vie normale sera pour bientôt. Comme l'a reconnu le premier ministre Jean Castex, la vaccination contre le Covid est la principale source d'«espérance» en 2021.

Cette espérance est en fait double : d'une part, nous pourrions espérer que le vaccin réduira la gravité de la maladie Covid-19, notamment pour les personnes vulnérables ; d'autre part, nous pourrions espérer que le vaccin empêchera le virus Sars-CoV-2 (porteur de la maladie Covid-19) de circuler. C'est relativement à ce second effet que l'on emploie depuis le début de l'épidémie le terme d'«immunité collective».

Or, en début de semaine, Olivier Véran, le ministre de la Santé, a déclaré qu'il était «convaincu qu'on atteindra(it) un bon taux d'immunité collective sans passer par l'obligation vaccinale». Mais quelle part de la population doit être immunisée pour y parvenir ? Et, partant, combien de personnes faudrait-il vacciner ? Et à quelle échéance ? L'optimisme d'Olivier Véran est-il fondé ?

VÉRIFIONS. Et partons du plus simple. Le principe veut que lorsque l'on est contaminé, notre corps crée pour se défendre des anticorps, lesquels resteront ensuite dans notre organisme et nous protégerons d'une nouvelle contamination. L'on comprend ainsi qu'à partir d'un certain seuil, quand le virus a trop circulé, il est voué à s'éteindre. C'est sur ce principe que fonctionnent notamment les vaccins. Avec une particularité néanmoins, le vaccin pouvant agir de deux façons différentes : soit il réduit la gravité de la maladie Covid-19 ; soit il protège du virus Sars-CoV-2 lui-même. L'idéal est évidemment que ces deux effets se combinent.

Pourquoi deux effets distincts ? Ceci s'explique par l'existence de deux types d'anticorps : les premiers, dits systémiques, passent dans le sang et parviennent rapidement aux poumons, qu'ils protègent ainsi de la maladie ; les seconds, dits muqueux, se nichent dans les muqueuses, notamment respiratoires, et bloquent l'accès au virus. Or, les vaccins contre le Covid actuellement autorisés produisent des anticorps systémiques, qui accèdent moins facilement aux muqueuses respiratoires. Bien qu'immunisée de la maladie, une personne peut y conserver un peu de charge virale et donc rester plus ou moins contagieuse.

60%, vraiment ?

À ce jour, le fameux taux d'efficacité, qui varie de 70% à 90% selon les différents vaccins testés, concerne le premier objectif, celui qui consiste à réduire les formes graves de Covid, et non le second, qui vise à empêcher l'accès du virus lui-même à l'organisme. Selon de nombreuses sources médicales, les vaccins seraient également efficaces pour réduire la contagion mais aucune étude scientifique aboutie ne l'a encore démontré. «Il y a des données de Moderna (le deuxième vaccin qui vient d'être autorisé, NDLR), certes parcellaires, qui montrent qu'(il) empêche la circulation du virus», expliquait par exemple le Dr Gilles Pialoux sur RTL cette semaine. On peut donc l'espérer, mais, si c'est bien le cas, on ne sait pas encore quelle sera l'ampleur de cet effet.

Partons néanmoins du principe qu'un tel effet existe bel et bien. Comment estimer le taux d'immunité collective ? Le ministère de la Santé indique régulièrement la valeur de 60%. Comprendre : le taux d'immunité collective est atteint lorsque 60% de la population est immunisée. À cet égard, on pourrait croire un peu hâtivement qu'il suffirait de vacciner 60% de la population pour l'atteindre. Mais, en réalité, il n'y a pas de valeur absolue de ce taux d'immunité collective car il dépend de nombreux facteurs. De même, le taux de vaccination nécessaire pour l'atteindre n'a pas forcément la même valeur et dépend lui aussi de plusieurs facteurs.

La première règle de base est la suivante : le taux d'immunité collective dépend d'abord du taux de reproduction du virus, le fameux R0, qui représente le nombre de personnes non immunisées qu'une personne contaminée va contaminer à son tour. C'est en réalité assez intuitif : plus un virus circule avec facilité, plus le taux d'immunité collective qui l'empêche de circuler est élevé. Pour un R0 égal à 2,5, le taux d'immunité théorique est de 60%. On retrouve cette valeur qui est la plus régulièrement citée. Mais le R0 dépend lui-même de nombreux facteurs ! Ainsi, depuis le début de la seconde vague, le R0 est largement inférieur à 2,5 : il est monté à plus de 1,5 au début de celle-ci, est même passé en dessous de 1 lors de la décrue et fluctue actuellement en moyenne entre 1 et 1,5, avec des différences selon les régions plus ou moins affectées par l'épidémie. Donc, avec un R0 de 1 ou 1,5, le taux d'immunité collective est inférieur à 60% et pourrait même n'être que de 30 ou 40%.

Inversement, l'apparition d'un «mutant» au Royaume-Uni, plus contagieux que le virus jusque-là en circulation, fait courir le risque d'un R0 supérieur. Lors, le taux d'immunité collective serait alors lui aussi supérieur. On comprend aussi pourquoi l'apparition du vaccin n'est pas un miracle qui permettra d'abandonner immédiatement les mesures sanitaires en vigueur. La vaccination sera en effet d'autant plus efficace que le R0 sera bas. Or, les gestes barrières, la distanciation sociale et toutes les mesures en vigueur participent de la réduction de ce R0. Dans l'autre sens, la météo semble jouer un rôle dans la propagation de l'épidémie : quand il fait froid et humide, le R0 augmente et donc également le taux d'immunité collective, qui donc, schématiquement, est plus élevé en hiver qu'en été.

Quid de la durée de l'immunité ?

Mais ce n'est pas tout. Supposons que le taux d'immunité collective soit bien de 60%. Pourquoi la part de vaccination pour l'atteindre n'est-elle pas forcément de 60% ? Premièrement car une partie de la population a déjà attrapé le Covid et est donc immunisée. Celle-ci est estimée à 10% de la population. Pour atteindre l'immunité collective, cela fait mécaniquement diminuer la part nécessaire de personnes vaccinées, qui est donc inférieure à 60%. Mais, inversement, rien ne dit qu'en matière de réduction de la contagiosité, le vaccin soit efficace à 100% (il est même sûr que ce n'est pas le cas). Pour atteindre l'immunité collective, cela fait mécaniquement diminuer la part nécessaire de personnes vaccinées. Or, jusqu'à présent, on ne connaît pas la valeur de cette efficacité, encore supposée (rien ne dit d'ailleurs qu'elle sera la même pour chaque vaccin).

Et ce n'est pas terminé. Une autre interrogation concerne la durée de l'immunité que l'on acquiert en étant vaccinée ou en étant contaminée. C'est là encore assez intuitif : le taux d'immunité collective ne sera pas le même si les anticorps nous protègent deux mois, six mois, un an, cinq ans ou ad vitam aeternam. Et, là aussi, cette donnée n'est pas encore connue. En l'occurrence, le taux de 60% de la population immunisé pour atteindre l'immunité collective correspond a priori aux données suivantes : le R0 est d'environ 2,5 ; l'immunité individuelle est longue (de l'ordre de 2 ou 3 ans). Avec un tel taux, le taux nécessaire de vaccination est aussi de 60% si le vaccin immunise la personne vaccinée dans 90% des cas et qu'environ 10% de la population a été immunisée en étant directement contaminée. Néanmoins, si le R0 se maintient à un niveau beaucoup plus faible (de l'ordre de 1 ou de 1,5), ces deux taux pourraient chuter à 30% ou 40%. Inversement, si le R0 augmente (par exemple à cause du mutant), si le vaccin est beaucoup moins efficace ou si l'immunité individuelle est de très courte durée, ces deux taux pourraient bondir.

On comprend intuitivement qu'en termes de stratégie vaccinale, vacciner 30%, 60% ou 90% de la population n'est pas la même chose du tout. Pour le cas de la France, il s'agirait de vacciner 20 millions, 40 millions ou 60 millions de personnes. Jusqu'à présent, le gouvernement a souvent évoqué avec un certain flou les objectifs suivants (flou en partie légitime car on ignore le nombre de doses dont on disposera à moyen terme, lequel dépend notamment de l'autorisation de certains vaccins) : 1 million de personnes vaccinées à la fin du mois de janvier ; 10 ou 15 millions à la fin du printemps ou au cours de l'été. Olivier Véran, cette semaine, a même évoqué le chiffre maximum de 27 millions de personnes vaccinées d'ici la fin du mois de juin. Par où l'on voit que l'immunité collective ne sera probablement pas atteinte dans les six mois prochains même si le taux de celle-ci n'est que de 30%, ce qui représenterait pourtant l'hypothèse la plus optimiste. Si l'on choisit l'hypothèse médiane (60%, ou 40 millions de personnes vaccinées), il paraît encore plus difficile de s'en approcher pour une raison assez simple : au départ, l'on peut commencer par les personnes désireuses de se faire vacciner. C'est relativement facile puisqu'il suffit alors d'organiser l'offre adéquate, sans avoir à convaincre la demande.

À partir d'un certain moment, si l'on veut que le nombre de personnes vaccinées continue d'augmenter, il faut réussir à convaincre les personnes qui, actuellement, ne désirent pas se faire vacciner. Et, par construction, plus le taux d'immunité collective sera élevé, plus il faudra aller convaincre des personnes rétives. À moyen terme, il s'agit d'une gageure pour le gouvernement. Le temps jouera-t-il en sa faveur ? Certaines personnes, légitimement inquiètes, souhaitent ne pas se faire vacciner au début et attendre d'en savoir un peu plus avant de franchir le pas. D'ailleurs, en un mois, les sondages indiquent que le taux de personnes qui souhaitent se faire vacciner est passé de 45 à 56%, ce qui indique une marge de progression. D'ores et déjà, la «demande» se rapproche de l'hypothèse médiane, celle d'un taux d'immunité collective de 60% et d'un taux de vaccination nécessaire identique.

Qui cibler ?

Reste enfin un dernier paramètre à prendre en compte, qui n'est pas anecdotique au regard de la stratégie vaccinale. Quand on dit que le R0 est égal à 1, 1,5 ou 2,5, on réfléchit en moyenne, ce qui a le mérite d'être parlant, mais ce qui a en même temps le tort de cacher la forte disparité de ce R0. Or, une épidémie comme celle du Covid-19 obéit à une loi de progression qui n'a rien d'homogène : de nombreuses études confirment qu'une grande majorité des cas sont causés par un faible nombre de personnes ou de groupes de personnes. Lors, si la stratégie vaccinale parvient à cibler le petit nombre de personnes responsables du plus grand nombre de contaminations, il n'est pas forcément nécessaire d'atteindre le chiffre médian de 60%. Inversement, si l'on cible les mauvaises personnes, vacciner 60% de la population ne sera pas suffisant. Or, rien ne dit que les personnes vulnérables soient aussi les principaux vecteurs de l'épidémie dans la mesure où les personnes âgées sont rarement celles qui réalisent quotidiennement le plus grand nombre d'interactions sociales.

Là est une nouvelle gageure en termes de stratégie selon que l'on veut privilégier l'effet protecteur du vaccin contre la maladie ou l'effet neutralisant du vaccin contre le virus lui-même. Dans un précédent article du Figaro, le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef de service à l'hôpital Henri Mondor, donnait l'exemple du vaccin contre la grippe. En France, la stratégie vaccinale consiste à vacciner en priorité les personnes âgées, les plus susceptibles de complications dues à la maladie ; au Royaume-Uni, c'est l'inverse, la vaccination des enfants est prioritaire, alors qu'ils ne risquent quasiment rien, mais ce choix s'explique en raison de la contagiosité de la grippe, dont ils sont les premiers vecteurs.

En résumé, le taux de 60% de personnes vaccinées pour atteindre l'immunité collective ne peut en aucun cas être pris pour une valeur sûre et définitive. Il s'agit tout au plus d'un repère indicatif. Un grand nombre de facteurs influent sur cette valeur encore mystère à partir de laquelle le virus ne parviendra plus à circuler. Certains de ces facteurs sont liés à l'épidémie elle-même (à commencer par le R0 qui dépend lui-même d'un grand nombre de facteurs comme les mesures sanitaires, la météo, des mutations, etc.), à l'immunité du groupe (combien de personnes sont déjà immunisées et pour combien de temps ?), aux vaccins (quelle est leur efficacité ?) et à la stratégie vaccinale (qui vacciner en priorité ? qui accepte de se faire vacciner ?). Et tous ces facteurs peuvent se combiner de sorte que l'on peut in fine être très proche ou très éloigné de cette valeur de 60%, dans un sens comme dans l'autre. Si l'on retient néanmoins ce chiffre, il faudra a priori attendre largement plus de 6 mois pour parvenir à vacciner 40 millions de Français, en tout cas si l'on en juge par les objectifs actuels du gouvernement.

À voir aussi - Agnès Pannier-Runacher: «1,1 millions de doses de vaccin ont été livrées en France»

 

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