Face à ces devantures fermées qui créent la désolation dans le quartier, les autres commerçants, submergés par la colère et l’incompréhension, tentent de survivre et de passer sans trop de casse cette nouvelle épreuve. Une de plus. Après les «gilets jaunes» qui, durant des semaines, avaient perturbé leurs activités, le Covid impose cette fois aux commerces non essentiels de ne pas ouvrir. La plupart d’entre eux se sont mis au «click and collect», comme Marc Desgranges qui, depuis vingt-six ans, chausse la ville.
Le «click and collect»
«Mais c’est bien compliqué quand on vend de la chaussure!», fait-il observer. Ce service qui permet de commander des produits en ligne avant de les retirer directement en boutique, ne lui permet d’ailleurs de dégager que de faibles revenus. «Cela paie à peine mes factures d’électricité», raconte ce gérant de 53 ans aux abois. Car l’épidémie, qui a mis un coup d’arrêt à son travail, n’a pas effacé ses obligations financières.
«La marchandise achetée représente une charge d’environ 100.000 euros. Sans rentrée d’argent, je vais devoir la payer en fin d’année». Et l’horizon est assombri par d’autres remboursements à honorer, comme les 60.000 euros de prêt garanti par l’État (PGE) obtenus lors du premier confinement. «Je ne peux plus m’endetter davantage. Je crains pour la survie du magasin», dit-il en proie à un véritable malaise lié à ces mesures de fermeture. Il les supporte d’autant moins qu’il ne les comprend pas. «Tout montre que le virus ne circule pas dans nos commerces. On voit les gens dans les parcs, dans les grandes surfaces, et cela nous humilie. Le terme “non essentiel” est en lui-même choquant. Quelle image on nous donne dans cette société?», interroge-t-il.
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Un peu plus loin, sa voisine Catherine Chanove se désole également. À la tête de deux magasins de jouets indépendants à Lyon et sa région, elle venait d’ouvrir le troisième à Oullins le 15 octobre dernier. Un bien mauvais timing pour ce chef d’entreprise qui regarde désormais avec effroi ses stocks de jouets. «Un stock de Noël pour des magasins de jouets comme les miens, cela coûte entre 80.000 et 120.000 euros, dit-elle en se souciant aussi de ses fournisseurs. J’ai 30 % de petits fournisseurs. Je ne peux pas leur jouer le sale tour de ne pas payer tout de suite. Je ne crains pas encore le dépôt de bilan. Mais si je ne rouvre pas le 1er décembre, je serai dans le rouge».
Alors, si l’ouverture se fait plus tôt, le vendredi 27 novembre, comme le souhaiterait le ministre de l’Économie, ce sera forcément une bonne nouvelle. «C’est un week-end de plus avant les fêtes et c’est en plus le week-end du Black Friday. Cela éviterait que les clients n’aillent profiter des promotions qu’en ligne. Je ne fais pas le Black Friday d’habitude, mais je le ferai cette année», indique ainsi Marc Desgranges.
Charges fixes
Possédant une boutique de vêtements pour enfants dans une zone commerciale de Chinon et un autre à Joué-les-Tours, Marie Poupin, qui est franchisée Du Pareil au Même depuis six ans, espère aussi un redémarrage le 27 novembre. «Le Black Friday est une très bonne journée, un moment commercial qui est plus porteur que les soldes», souligne-t-elle. Pouvoir ouvrir très vite ses boutiques lui permettrait alors de mieux se battre pour tenter de redresser la situation. «Lorsque le deuxième confinement est arrivé, je n’avais pas encore récupéré tout le chiffre d’affaires perdu au printemps. Celui-ci est en recul de 30 % par rapport à l’année dernière», explique-t-elle en redoutant les mois à venir. «Nous avons des charges fixes à assumer, un total de 5000 euros par mois sur les deux boutiques et le loyer pèse 3000 euros», énumère-t-elle. Le prêt garanti par l’État obtenu lors du premier confinement, de 35.000 euros, lui a permis de faire face à une partie de ces dépenses. «Heureusement, il m’en reste un peu», dit-elle, en saluant le cadeau fait par l’un de ses deux bailleurs. Trois mois de loyer offerts pendant le premier confinement.
Murielle Bourreau, esthéticienne de 42 ans, à Bagnolet, n’a pas eu droit, quant à elle, à cette main tendue. «J’ai un loyer de 1050 euros par mois. Je l’ai payé, jusqu’à présent, avec ma trésorerie. Mon propriétaire n’a pas voulu faire un geste lors du premier confinement, et cela semble mal engagé cette fois-ci», regrette-t-elle en faisant face à une situation bien critique. Car, avant de fermer boutique, les travaux dans le centre-ville avaient déjà plombé son activité. «Et aujourd’hui je paie aussi deux appareils en leasing pour les soins, ce qui représente une charge de 900 euros par mois. Plus l’électricité et l’assurance. Au total, je suis à 2300 euros par mois de frais fixes. Cela fait un an que je ne me verse plus de salaire», décrit-elle. Entre des soins qu’elle ne peut plus prodiguer et un «click and collect» peu efficace, Murielle Boureau compte elle aussi sur les aides de l’État. «J’ai perçu 1 500 euros lors du premier confinement au titre du fonds de solidarité. Cette fois-ci je pourrai prétendre à une aide plus importante», espère-t-elle.
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Tous ces métiers de service sont d’ailleurs durement affectés. Coiffeuse avenue Félix-Faure à Paris, Paola Calado, responsable du salon de coiffure, Styles et Coupes ne se paiera pas en novembre. «Cela pour ne pas trop creuser dans la trésorerie», dit-elle, en redoutant que son établissement soit visité comme lors du premier confinement. Alors, à l’adresse des cambrioleurs, elle a placardé un petit mot sur sa devanture: «Rien à voler.»
À Garches, dans les Hauts-de-Seine, les commerçants se battent pour passer le moins mal possible cette nouvelle épreuve. Le «click and collect» est ainsi généralisé, un site soutenu par la Ville a été mis en place pour passer les commandes à distance et des livraisons groupées sont organisées. «Quand on m’achète des fleurs, je rapporte le pain, et le fromage en même temps», raconte Gilles Fretz, l’un des fleuristes de la ville. Ses voisins Franck et Olivia, qui tiennent une boutique de décoration, restent sans relâche à disposition de la clientèle. «Elle peut prendre les commandes sur une plage horaire élargie et six jours sur sept», indique Franck, qui avoue avoir passé des nuits blanches. Quelques semaines avant le premier confinement, le couple venait d’acheter un local plus vaste et d’engager des travaux, soit une très lourde dépense. «Pour tenir, on travaille sans relâche et on ne se verse pas de salaire», poursuit le responsable.
«Le moral au plus bas»
Mais pour les restaurateurs, la situation est bien plus sombre. Aucun n’envisage une ouverture avant janvier prochain. «Le moral des troupes est au plus bas», reconnaît Laurent Frechet, président de la branche restauration au GNI, lui-même propriétaire de six restaurants, dont Baltar et Pirouette, à Paris. «En fait, nous aurons passé près de la moitié de l’année fermés, avec des aides insuffisantes, dit-il en relayant le sentiment d’injustice partagé par toute la profession. Cette dernière est stigmatisée comme vecteur du virus, alors qu’aucune étude ne le prouve.»
Décidé à se battre jusqu’au bout, Laurent Frechet espère sauver ses six restaurants. «Mais je sortirai de cette crise très endetté et je suis terriblement inquiet»,
dit-il en brandissant des chiffres qui expliquent son désarroi. Ainsi,
chaque mois de fermeture, il continue à payer 25.000 euros par
établissement car les factures continuent à dégringoler. Loyers, congés
payés, gaz ou encore prestations du comptable doivent être payés. Bien
loin de Paris, un autre restaurateur fait part, lui aussi, de sa
détresse. À la tête de l’auberge du Cheval Blanc, Philippe Lhomme qui
est depuis vingt-huit ans le seul restaurateur dans son village de 600
âmes en Charente est même désespéré. «Si je ne reçois pas 10 000 euros du fonds de solidarité, j’ai de quoi tenir deux mois. C’est terrible», dit-il en ravalant ses larmes.
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