Taxé de "complotiste" par les uns, il est salué pour sa clairvoyance par les autres. Depuis sa sortie mercredi 11 novembre, le documentaire "Hold-Up", coréalisé par Pierre Barnerias et Christophe Cossé, fait le tour des réseaux sociaux. Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Université Panthéon-Assas, nous dévoile les mécanismes adoptés pour amener les spectateurs à douter, voire à adhérer à une théorie mondiale du complot.
La Dépêche du Midi : Que pensez-vous de "Hold-Up" sur la forme ?
Arnaud Mercier : C'est construit comme un documentaire habituel, avec des interviews de gens titrés, qui ont l'air crédibles. Mais quand on gratte un peu, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas aussi légitimes qu'il n'y paraît, y compris parfois dans leur propre domaine. Ce qui ne va pas, c'est la longueur. C'est beaucoup trop long. Mais le reste est formellement en respect avec les formes du genre, c'est même un gage de crédibilité. C'est ce qu'on observe en général avec les "fake news", c'est un hommage du vice à la vertu. Les auteurs complotistes disent le pire mal des "merdias" et de la presse, et en parallèle, ils fabriquent et diffusent des "fake news" modelées sur le format journalistique.
Pourquoi, selon vous, ce documentaire a-t-il reçu autant de soutien ?
Je crois que la force de ce documentaire, c'est d'être une agrégation de toutes une série de thèses plus ou moins complotistes qui ont circulé, avec une sorte de crescendo du complot. Il y a un amalgame de plusieurs théories alternatives, ce qui permet de plaire à tout un tas de gens, aussi bien ceux qui doutent de l'efficacité des masques, que ceux qui dénoncent les "Big pharma", les vaccins ou la 5G. Il y a un côté œcuménique très fédérateur.
Pourtant, certaines informations ont été démenties et prouvées fausses...
J'ai une définition peu orthodoxe de la "fake news" : pour moi, c'est une vérité idéologisée. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui sont disposés à croire à une "fake news" parce qu'elle correspond au fond de leur idéologie, de leur mentalité. Le fait ne pas étayer la factualité ne pose pas de problème : c'est à ça qu'ils ont envie de croire. Ça tombe dans l'oreille d'un sourd et d'un aveugle. Et plus le système, que ce soit le monde politique, les scientifiques ou les médias, cherche à s'opposer à la factualité, plus certains vont y voir la preuve que ce que dit le documentaire est digne d'intérêt ou digne de foi.
Est-ce que cette "foi" peut s'avérer dangereuse et convaincre des personnes qui ne sont pas nécessairement complotistes ?
Le complotisme, la rumeur, et la bêtise humaine d'une manière générale, deviennent plus numériques aujourd'hui, mais ils correspondent à un fond de l'humanité. Le problème, c'est qu'ils prennent une ampleur plus grande, il y a un changement d'échelle. Avant, une rumeur mettait plusieurs mois avant de se propager. Aujourd'hui, elle met seulement quelques heures. C'est plus rapide, plus mondialisé, mais on l'a toujours vu. Je ne sais pas si c'est plus dangereux aujourd'hui. Pour les gens de bonne foi qui sont dans le doute, il y a dans le documentaire des figures d'autorité apparente mobilisées qui peuvent être convaincantes. Mais si ces gens se questionnent sincèrement, ils iront probablement se confronter à d'autres discours et trouver d'autres moyens de s'informer.
Est-ce que les médias participent à l'embrasement de ce phénomène, en cherchant à le combattre?
C'est l'éternelle question. C'est déjà le cas de la rumeur. Est-ce que démentir la rumeur, c'est lui donner une visibilité et amener davantage de gens à la connaître ? En parler, c'est lui donner de la publicité et ne pas en parler, c'est donner l'impression qu'on ne dément pas, donc "c'est bien la preuve que c'est vrai". Je crois cependant qu'à partir du moment où on décide de contester, il faut le faire de façon professionnelle et carrée, sans tomber dans le mépris.
Source la Dépêche Publié le 17/11/2020 à 07:01 , Propos recueillis par Capucine Moulas mis à jour à 07:29
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