31/10/2020

Les loups solitaires n'existent pas. Une étude révèle un taux élevé de récidive chez les djihadistes

Les fous de Dieu ne sont pas des détenus tout à fait comme les autres. Alors que les libérations d’islamistes, à l’issue de leur peine, se poursuivent et que le Parlement débat de mesures de sûreté contre les terroristes recouvrant la liberté, le Centre d’analyse du terrorisme (CAT) a communiqué au Sénat une étude inédite et éclairante sur le taux de récidive des djihadistes des années 1988-2006 (et non sur les djihadistes ayant rejoint Daech, toujours incarcérés pour la plupart). En matière de terrorisme islamiste, la connaissance du passé est essentielle pour une bonne analyse de la menace. Or, selon l’étude du CAT, le taux de récidive de ces «anciens» djihadistes est très élevé. 60 % des 166 ressortissants ou résidents français étant partis combattre en Afghanistan (de 1986 à 2011), en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) ou en Irak (de 2003 à 2006) ont ensuite été condamnés en France ou à l’étranger, postérieurement à leur retour du djihad et pour des infractions terroristes distinctes de leur seul séjour en zone de guerre.

La statistique française est plus inquiétante encore. Car il s’agit des individus les plus dangereux par leur engagement idéologique, par leur formation au maniement des armes et des explosifs et par leur capacité à recruter

Jean-Charles Brisard, président du CAT et signataire de l’étude avec Manon Chemel et Sacha Belissa

Qu’il s’agisse d’attentats ou de projets d’attentats, de soutien logistique ou financier à un réseau terroriste ou encore d’un séjour dans une autre terre de djihad. Encore faut-il souligner que le «réengagement» de ces islamistes peut survenir à tout moment, que ce soit un an ou dix ans après leur premier engagement de djihadiste. «Jusqu’à présent, note Jean-Charles Brisard, président du CAT et signataire de l’étude avec Manon Chemel et Sacha Belissa, les études internationales portant sur l’ensemble des djihadistes identifiés dans le monde concluait à un taux de réengagement de 11 %. La statistique française est plus inquiétante encore. Car il s’agit des individus les plus dangereux par leur engagement idéologique, par leur formation au maniement des armes et des explosifs et par leur capacité à recruter.» Sur ce plan, il faut souligner qu’une bonne partie des 40 % de djihadistes n’ayant pas récidivé n’ont pas pour autant abandonné la cause et constituent des référents religieux ou idéologiques pour les jeunes générations. S’il n’existe pas encore d’études en la matière, le nombre de djihadistes «repentis» semble en tout cas être très limité.

Facteurs inquiétants

L’étude du CAT montre que le taux de récidive varie selon les terres de djihad. Sur les 90 individus ayant séjourné en Afghanistan entre 1986 et 2011, 7 sont morts sur place. Sur les 83 «revenants», 60 ont «replongé» sur des infractions terroristes distinctes. Pour la Bosnie-Herzégovine, 60 Français ou résidents français sont partis entre 1992 et 1995, un est mort et, sur les 59 «revenants», 23 ont récidivé, soit un taux de 39 %. Le taux le plus élevé de récidive est enregistré pour la poignée d’islamistes (16 au total) partis pour le premier djihad irakien (contre les troupes américaines et de la coalition de 2003 à 2006): 100 % des «revenants» ont ensuite renoué avec l’action terroriste. Un pourcentage particulièrement inquiétant puisque les djihadistes des années 2010 sont partis pour ce même théâtre d’opérations.

L’étude du CAT documente une vérité bien connue des spécialistes du terrorisme: un islamiste engagé dans l’action violente a toutes les chances de rester dans la mouvance et de récidiver. Elle pose aussi la question cruciale pour les années à venir: qu’en sera-t-il pour les djihadistes partis dans les filières syro-irakiennes dans les années 2010? Il est encore trop tôt pour en avoir une idée car, sur les quelque 600 personnes jugées et condamnées depuis 2014, la majorité est toujours en prison. Une chose est certaine: l’engagement idéologique de ces «jeunes» djihadistes n’a rien eu à envier à leurs anciens. Ils ont par ailleurs acquis une formation au maniement d’armes et d’explosifs dans une ambiance marquée par une folie et une sauvagerie au moins aussi élevées dans le califat des années 2010 que dans l’Irak d’al-Qaida des années 2000. Deux facteurs inquiétants qui laissent augurer un «réengagement» futur…

Entre 2018 et 2022, 2540 islamistes auront été libérés

Le débat sur les mesures de sûreté pour les terroristes à l’issue de leur peine, avec les craintes de récidive (lire ci-dessus), est d’autant plus sensible que les libérations se poursuivent. Les chiffres de l’Administration pénitentiaire repris par la Cour des comptes, dans son récent rapport sur «les moyens de la lutte contre le terrorisme» sont édifiants. En 2018 et 2019, 1 895 détenus gagnés aux thèses de l’islam radical ont recouvré la liberté à la fin de leur peine. Sur ce total, 181 étaient des détenus «TIS» (pour des faits liés au terrorisme islamiste), essentiellement, note la Cour, des «individus partis ou ayant cherché à partir sur la zone syro-irakienne en 2015, avant la criminalisation de cette infraction, et condamnés à des peines de 5 à 9 ans de prison». S’y ajoutent 1714 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR). Cette catégorie englobe des délinquants «ordinaires» (trafic de stupéfiants, violences diverses, braquages…) ayant basculé dans l’islamisme en prison ou avant leur incarcération. Et qui ont été repérés par les personnels de l’Administration pénitentiaire ainsi que par un service national du renseignement pénitentiaire très actif, et en lien étroit avec les autres services de renseignement. Pour les prévisions de la période 2020-2022, la Cour des comptes cite le chiffre de 645 libérations dont 147 TIS et 498 DCSR.

Ces dernières années, les prisons françaises, où ces condamnés attendent leur libération, ont pris parfois des airs de petite « terre de djihad »

Au total, 2540 islamistes auront été libérés entre 2018 et 2022, la très grande majorité (2 212) étant des droits communs. Des individus aux profils complexes qui ne peuvent pas être considérés comme «moins dangereux» que des terroristes condamnés comme tels. Particulièrement dans une période où les attentats sont perpétrés par des terroristes isolés, comme ceux de Villejuif ou de Romans-sur-Isère, à la personnalité de plus en plus trouble.

Droits communs radicalisés

En un léger coup de griffe, dont elle est coutumière, la Cour des comptes note au passage que «l’Administration pénitentiaire n’est pas en mesure de fournir le nombre de détenus pour terrorisme islamiste (TIS) ou radicalisés (RAD) sortis de prison avant novembre 2017», à une époque où la France était pourtant en alerte rouge antiterroriste depuis 35 mois… Les sages de la rue Cambon soulignent que le suivi de ces libérations de 2018-2022 «constituera un défi pour les administrations qui en sont chargées». Mais prend aussitôt en compte le fait que «la sortie de prison des détenus pour faits de terrorisme islamiste s’effectue selon des modalités plus strictes depuis 2019», chaque personne libérée étant notamment prise en charge par un service de renseignement.

Quant aux droits communs radicalisés qui ne font pas l’objet d’une mesure judiciaire à leur sortie de prison, leur cas est signalé et suivi au niveau des préfectures. Des précautions d’autant plus importantes que, ces dernières années, les prisons françaises, où ces condamnés attendent leur libération, ont pris parfois des airs de petite «terre de djihad». De 2018 à 2020, 10 surveillants ont été blessés dans six attentats ou tentatives d’attentats islamistes en prison. Dans le même temps, deux projets d’attentat, dont l’un visant le personnel pénitentiaire, étaient fomentés par des détenus depuis leurs cellules…

 
 

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