25/10/2020

En Afrique de l'Ouest la démocratie est en crise

  C’est comme la marche de l’écrevisse : un pas en avant, deux pas en arrière, écrit cet éditorialiste guinéen. Après le coup d’Etat au Mali et les candidatures à un troisième mandat des président de Guinée et de Côte d’Ivoire, il y a de quoi s’inquiéter. 

À voir ce qui prévaut aujourd’hui au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire, difficile de se laisser porter par toutes les prévisions optimistes dont on pare l’avenir du continent africain dans certaines publications.

Avec la crise qui a débouché sur le coup d’État du 18 août 2020 à Bamako et le troisième mandat que briguent respectivement Alpha Condé en Guinée et Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, on serait au contraire enclin à accorder du crédit à ceux qui assimilent le progrès de l’Afrique à la marche de l’écrevisse. Un pas en avant, au moins deux pas en arrière.

Ces trois pays, au lieu de s’inspirer de leurs voisins sénégalais, ghanéen et même sierra-léonais, semblent davantage imiter le Cameroun, le Congo-Brazzaville ou encore le Burundi. Et c’est clairement un recul pour l’Afrique de l’Ouest, une région qui était citée en exemple il n’y a pas si longtemps. Une régression imputable en tout premier lieu aux dirigeants respectifs de ces trois pays. Mais aussi dont la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] et la société civile ouest-africaine doivent, avec humilité et en toute objectivité, tirer les enseignements.

Scandales, combines et luxe

Au Mali, même si le sort d’Ibrahim Boubacar Keïta a été réglé d’une certaine façon [il a été contraint à la démission par les militaires], on n’oublie pas qu’il est le premier responsable de tous les dangers qui guettent aujourd’hui son pays. C’est lui qui, d’obédience socialiste, devait incarner une certaine vertu dans la gestion de la chose publique mais qui aura révélé de lui-même un goût insoupçonné pour les scandales, les combines et le luxe. [Alors que l’ex-président malien et l’ensemble de l’élite dirigeante dont il s’était entouré vivaient dans l’opulence,] les citoyens ordinaires maliens étaient littéralement privés d’un droit aussi basique que celui à l’éducation. 

Quant à Alpha Condé en Guinée et Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, ils trahissent tous deux les immenses espoirs que le continent africain et au-delà le monde entier ont jadis placés en eux. Malheureusement, on découvre sans doute trop tard en chacun d’eux davantage un leader politique se préoccupant de ses intérêts politiciens qu’un homme d’État soucieux de l’image qu’il laissera à la postérité. Deux chefs qui conçoivent le pouvoir plus comme un refuge que comme une fonction à assumer au service des autres. Une conception des choses qui risque de ruiner leur crédit et qui, au-delà, met en péril la démocratie dans leur pays respectif. Hélas !

Mais il n’y a sans doute pas que la responsabilité des ces trois dirigeants et plus largement de l’élite politique dans chacun des pays. Les signaux négatifs qui partent aujourd’hui de l’Afrique de l’Ouest interpellent également sur la responsabilité de la Cedeao, l’organisation régionale [médiatrice au Mali].

Impulser un changement

Dans sa gestion de la crise malienne, se laissant porter par certains dirigeants dont l’approche n’était en rien objective, l’instance régionale a clairement manqué de discernement. Elle n’y était pas allée pour résoudre une crise, mais pour essayer de sauver le soldat IBK. Pour ce qui est de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, la Cedeao a révélé tout autant son impuissance que son manque de courage. Si elle avait réussi à hausser le ton et à taper du poing sur la table dans les cas gambien et bissau-guinéen, elle n’aura par contre rien pu contre Alpha Condé et Alassane Ouattara. Et si elle ne se remet pas vite en question, cette approche à géométrie variable risque de vider ses initiatives de leur efficacité.

Enfin, la société civile ouest-africaine doit pouvoir analyser les crises guinéenne et ivoirienne pour, elle aussi, en tirer toutes les leçons. Si Y en a marre et le Balai citoyen [respectivement au Sénégal en 2012 et au Burkina Faso en 2014, ces mouvements ont joué un rôle majeur dans le changement de pouvoir dans leur pays] avaient donné un bel exemple de la capacité d’une société civile à impulser un changement d’envergure dans une société, ce qui se profile en Guinée et en Côte d’Ivoire peut être perçu comme un contre-exemple.

Dans ces deux pays, la société civile a manqué à son devoir et à ses responsabilités. Et c’est au niveau régional qu’on devrait se retrouver pour diagnostiquer l’échec et espérer stopper la spirale antidémocratique en marche. Vu que c’est l’image et le destin de la région qui sont en jeu, tout le monde devrait se sentir concerné par les menaces qui pointent à l’horizon.

Source courrierinternational.com par Boubacar Sanso Barry

 


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