23/10/2020

Assassinat de Samuel Paty : le « oui, mais » du monde musulman - Le Point

La cérémonie visait à promouvoir la paix entre religions. Invité mardi à s'exprimer place du Capitole à Rome devant le pape François ainsi que des représentants du judaïsme et du bouddhisme, le cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam de l'université Al-Azhar du Caire, plus prestigieuse institution de l'islam sunnite en l'absence d'autorité tutélaire, n'avait pas pu faire personnellement le déplacement en raison de l'épidémie de Covid-19.

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Nommé par l'ancien président égyptien Hosni Moubarak en 2010 et désormais sous le contrôle étroit du président Abdel Fattah al-Sissi, cet ambassadeur de « l'islam du juste milieu », mélange de tradition et de modernité, a livré un message lu en son nom. Et c'est Mohamed Abdelsalam Abdellatif, secrétaire général du Haut Comité pour la fraternité humaine, dialogue interreligieux entamé entre le dignitaire musulman et le souverain pontife à Abu Dhabi en 2019, qui s'est chargé de le prononcer, devant un parterre de responsables religieux, dont le grand rabbin de France Haïm Korsia.

« Double standard intellectuel »

Quatre jours après l'effroyable décapitation du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine, Ahmed al-Tayeb a condamné un « acte criminel odieux » qui n'a « rien à voir avec l'islam, ses enseignements et son prophète ». Ce faisant, le grand imam, dont l'institution conservatrice est gangrenée par le salafisme (version ultra-rigoriste de l'islam sunnite, NDLR) et qui est parfois accusé de double discours, a dénoncé l'utilisation des caricatures de Mahomet publiées dans l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. « Dans le même temps, j'insiste sur le fait qu'insulter des religions et attaquer leurs symboles sacrés au nom de la liberté d'expression est un double standard intellectuel et un appel à la haine », a souligné le cheikh de 74 ans.

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Autre réaction équivoque de la part d'un dignitaire musulman, celle du secrétaire général de l'Union internationale des savants musulmans, Ali al-Qaradaghi. Le soir même de l'assassinat de Samuel Paty, le responsable de cette organisation liée aux Frères musulmans et basée au Qatar exprime sur Facebook sa « condamnation » des événements de Conflans-Sainte-Honorine. Et l'homme de s'interroger néanmoins : « Où est la sagesse du professeur lorsqu'il montre des dessins qui touchent aux croyances de ses étudiants adolescents ? » Le discours du secrétaire général de l'Union internationale des savants musulmans prend alors des accents complotistes en suggérant que les autorités françaises, en abattant le terroriste Abdoullakh Anzorov, ont pu ensuite « décrire l'incident comme elles le souhaitent ».

Embarras

Face à la polémique suscitée par ses propos, Ali al-Qaradaghi a finalement fait marche arrière. Sur le site de son organisation, il a condamné sans condition la décapitation de Samuel Paty, ajoutant qu'il n'avait nullement remis en question le meurtre mais qu'il souhaitait simplement que le terroriste soit arrêté pour « mieux connaître ses motivations ».

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« On constate à l'évidence un embarras chez ces personnalités religieuses qui sont choquées par ces caricatures, comme une majorité de musulmans, y compris non radicaux », analyse l'ancien diplomate Denis Bauchard, conseiller spécial Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI). « Mais ils sont tenus de prendre une position relativement nuancée car ils demeurent sous l'autorité de gouvernements qui ne veulent pas fâcher la France. »

« S'abstenir de susciter la haine »

Au lendemain du drame de Conflans-Sainte-Honorine, l'Égypte a ainsi condamné sans nuance « l'incident terroriste » commis en banlieue parisienne, le ministère égyptien des Affaires étrangères présentant ses condoléances à la famille de Samuel Paty et témoignant de sa « solidarité » à la France. En revanche, le Qatar n'avait toujours pas officiellement réagi* ce mercredi à l'attentat survenu cinq jours plus tôt.

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De son côté, l'Arabie saoudite a fermement condamné « l'agression à coups de couteau » qui a coûté la vie à l'enseignant français, sans pour autant parler d'un « acte terroriste ». Réaffirmant le rejet du royaume de « la violence, de l'extrémisme et du terrorisme sous toutes ses formes », le ministère saoudien des Affaires étrangères a toutefois « renouvelé son appel au respect des symboles religieux et à s'abstenir de susciter la haine en insultant les religions ».

Islam rigoriste

La réaction la plus tranchée est venue du secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, le cheikh Mohammed al-Issa. Condamnant « l'horrible attaque terroriste » de Conflans-Sainte-Honorine, cet homme politique saoudien, à la tête de l'organisation panislamiste créée en 1962 et basée à La Mecque, a souligné l'importance de « déployer tous les efforts possibles pour lutter contre le terrorisme et en déraciner le mal, notamment pour vaincre l'idéologie extrémiste qui encourage ces crimes ».

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Une déclaration qui s'inscrit dans la droite ligne de « l'islam modéré » promu par Mohammed ben Salmane, l'autoritaire prince héritier d'Arabie saoudite. Mais qui ne manque pas d'interroger de la part d'une organisation qui s'est employée depuis sa création, il y a 58 ans, à promouvoir un islam rigoriste dans le monde entier.

*Dans un communiqué publié mercredi après-midi, le Qatar a fini par « condamner fermement l'incident haineux au couteau » survenu vendredi soir en banlieue parisienne. Réaffirmant son « rejet de la violence et du terrorisme, quelles qu'en soient les causes », le ministère qatarien des Affaires étrangères a néanmoins mis en avant la « nécessité d'une solidarité mondiale dans le but de respecter les religions et combattre la haine ».

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