« Echec opérationnel » et « dérive des coûts » : la gestion de l'EPR, réacteur nucléaire de troisième génération, est décriée par la Cour de comptes. Selon les calculs des magistrats, le coût total du chantier du réacteur de Flamanville, s'élève à 19,1 milliards d'euros, et non 12,4 milliards, comme annoncé par EDF.
Source: Le Monde Par Nabil Wakim et Perrine Mouterde Publié le 9/7/2020 à 11h30, mis à jour à 12h14
« Un échec opérationnel, des dérives de coûts et des délais considérables. » Dans un rapport rendu public jeudi 9 juillet, la Cour des comptes ne mâche pas ses mots sur la filière EPR, le réacteur nucléaire de troisième génération. L'instruction approfondie des magistrats, qui a duré dix-huit mois, critique le chantier catastrophique de Flamanville (Manche), l'incapacité de la filière nucléaire et de l'Etat à assurer le suivi des opérations et le développement international hasardeux du réacteur. La Cour interroge également l'avenir de l'EPR – sans toutefois mettre en cause la technologie elle-même.
L'une des principales surprises du rapport concerne le coût total du chantier de Flamanville. Commencé en 2007, il devait initialement se terminer en 2012 et coûter 3,4 milliards d'euros. Après des années de déboires, EDF estime que le réacteur devrait démarrer en 2023, pour un budget de 12,4 milliards d'euros. Mais le chiffrage plus précis de la Cour ajoute des coûts complémentaires non intégrés par EDF, qui pourraient atteindre 6,7 milliards d'euros à la mise en service du réacteur. Soit un total de 19,1 milliards. Les magistrats ont en effet calculé le montant du « surcoût » de financement dû au retard de construction, ainsi que diverses dépenses intervenant avant la mise en service – pièces de rechange, procédures administratives, charges fiscales… Dans sa réponse au rapport, le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, ne conteste pas le montant de la Cour.
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Les conséquences de ces dérives pèsent évidemment sur les coûts et la rentabilité de l'EPR de Flamanville »
, soulignent les magistrats. Ces derniers ont aussi calculé le coût de l'électricité qui sera produite par l'EPR de Flamanville – un chiffre qu'EDF se refuse à rendre public depuis plus de dix ans – et estiment qu'il pourrait se situer entre 110 et 120 euros le mégawattheure. Un prix qui représente plus du double de celui de l'électricité produite aujourd'hui par les réacteurs nucléaires existants, et qui est également supérieur à celui de l'électricité fournie par les énergies renouvelables intermittentes, éoliennes et solaires – y compris en prenant en compte le coût du stockage de l'électricité.
A l'étranger, la Cour affirme que la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l'Angleterre, « pèse lourdement sur les finances d'EDF », la rentabilité de cet investissement ayant été plusieurs fois revue à la baisse, et que les deux réacteurs de Taishan, en Chine, qui ont été mis en service en 2018, « n'assurent pas encore une rentabilité suffisante ».
Les causes des déboires et la responsabilité de l'Etat
Les projets d'EPR sont partis, dès leurs prémices, sur de mauvais rails. La Cour rappelle que c'est la rivalité très forte entre les deux entreprises publiques EDF et Areva qui a conduit au « lancement précipité », au début des années 2000, des chantiers de construction des deux premiers réacteurs en France et en Finlande. Une précipitation synonyme d'impréparation – les principaux contrats de construction sont conclus alors que seulement 10 % à 40 % des études nécessaires ont été réalisées –, et qui a conduit à des estimations « irréalistes » : la durée moyenne de construction d'un réacteur dans le monde a été de cent vingt et un mois entre 1996 et 2000, mais la durée initiale retenue par EDF est de cinquante-quatre mois ; les besoins en ingénierie sont estimés à 5 millions d'heures de travail, il en faudra 22 millions.
En outre, EDF n'est pas organisée pour gérer ce projet, ni techniquement ni financièrement. Jusqu'en 2015, par exemple, il n'y a pas de véritable équipe dévolue à la gestion du chantier. Le conseil d'administration ne délibère quasiment jamais sur le sujet et ne se saisit pas des messages d'alerte envoyés par le comité d'audit. La communication de l'entreprise avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pose également question : EDF n'a informé celle-ci des difficultés liées à la réalisation des soudures de traversées qu'en 2017, alors qu'elle avait connaissance de ces éléments depuis 2013. Cette mauvaise gestion et cette perte de compétences avaient déjà été mises en lumière par le rapport de Jean-Martin Folz, rendu public en octobre 2019.
Le rapport Folz dresse un bilan sévère de l'« échec » de l'EPR de Flamanville
EDF n'est, toutefois, pas la seule à blâmer. Le rapport de la Cour souligne que les administrations concernées – telles que l'Agence des participations de l'Etat ou la direction générale chargée de l'énergie – n'ont « pas rempli leur rôle » d'évaluation et de suivi et qu'elles n'ont, en conséquence, pas alerté les ministres sur les différents aléas des chantiers. « Il n'est pas établi que les administrations de tutelle réalisent un travail d'instruction technique suffisamment approfondi pour éclairer les décideurs politiques » en matière de nucléaire civil et militaire, écrivent les magistrats.
Les inquiétudes de la Cour des comptes pour la suite
Tirant la leçon des déboires des chantiers de l'EPR, en France mais également en Finlande, EDF travaille à la conception d'un modèle dit « EPR2 », qu'il présente comme moins coûteux et capable d'assurer le même niveau de sûreté. C'est sur la base de ce projet que le gouvernement a demandé au PDG du groupe de réfléchir au scénario de construction de six réacteurs sur les quinze prochaines années. Dans leur rapport, les magistrats s'inquiètent d'un « gain financier incertain à ce stade » et soulignent que le coût prévisionnel envisagé par EDF – 46 milliards d'euros pour l'ensemble – repose sur « des données partielles ». « On ne peut pas établir avec un degré raisonnable de certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au coût de construction d'EPR de type Flamanville se matérialiseront », peut-on lire dans le rapport.
La Cour alerte sur la réflexion à avoir sur le futur du mix électrique français, qui doit s'appuyer sur une planification à long terme. « EDF ne peut financer seul la construction de nouveaux réacteurs. (…) Aucun nouveau projet ne saurait être lancé sans une forme de garantie publique », plaident les magistrats. Une réflexion déjà en cours au gouvernement et chez EDF. Le plan « Hercule » porté par Jean-Berard Lévy avait notamment pour objectif d'assurer un financement public aux activités nucléaires. Mais la Cour souligne que « la charge ainsi transférée au consommateur ou au contribuable ne trouverait sa justification que si l'électricité produite par les nouveaux réacteurs électronucléaires s'avérait suffisamment compétitive ». Une démonstration qui reste à produire.
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