02/05/2020

Serait-ce vraiment utile de taxer encore plus l'épargne des Français ?


LA QUESTION. Jusqu'à la semaine dernière, l'économie française tournait seulement aux deux tiers de ses capacités de production selon l'Insee. Avec cet étrange paradoxe, l'État est devenu le bon Samaritain des Français et de leurs entreprises, et ses comptes sont dans le rouge alors que les ménages regorgent d'argent. "Il y a 55 ou 60 milliards d'euros de sur-épargne (...) parce qu'on est chez nous, on consomme moins, alors que les retraites sont payées, les fonctionnaires sont payés et les salariés sont soit au travail, soit en chômage partiel", faisait remarquer le 26 avril lors d'un débat parlementaire le député LR Éric Woerth, président de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale.
Du coup, l'épargnant est pointé du doigt : l'argent qu'il thésaurise ne circule pas, et c'est un obstacle de taille pour «faire marcher le commerce», selon la formule populaire. Est-il possible d'empêcher d'une façon ou une autre ces surplus d'épargne ? Le sujet est très clivant à en juger par les solutions proposées par la classe politique.
VÉRIFIONS. Il est hélas assez facile de dresser le bilan économique des huit semaines de confinement. La production du pays, son produit intérieur brut, est en temps normal de 200 milliards d'euros par mois et il aura chuté de 35% selon l'Insee. Une évaluation confirmée peu ou prou par tous les instituts de conjoncture privés. Or, si les finances publiques ont été sous les projecteurs du fait de l'activisme de l'État pour aider les entreprises, leurs salariés et la plupart des professions indépendantes (pas toutes cependant), on a beaucoup moins regardé les comptes des ménages.
L'OFCE, l'observatoire des conjonctures économiques, organisme dépendant de la Fondation des Sciences Politiques de Paris, est le premier à avoir mis sur la sellette les 55 milliards d'épargne supplémentaire générés pendant les deux mois de confinement. C'est ce chiffre, contesté par personne, que reprend Éric Woerth et il faut savoir gré à l'ex-ministre du quinquennat de Nicolas Sarkozy d'en offrir une explication simple et directe. Effectivement, un certain nombre de Français n'ont pas vu leurs revenus diminuer, parce qu'ils travaillent comme avant, qu'ils sont fonctionnaires ou retraités. Et même ceux qui ont dû arrêter leur activité ou se mettre en «chômage partiel» ne dépensent pas tout leur argent faute d'en avoir la possibilité physique. Certes, il ne faut pas oublier les personnes en très grande difficulté matérielle du fait du confinement et pour qui la fin de mois est difficile. Mais au total l'épargne est surabondante.
Il convient toutefois de replacer en perspective les 55 milliards mis en exergue par l'OFCE, soit 30 milliards d'euros par mois. Ce chiffre se compare tout d'abord aux 130 milliards de dépenses mensuelles des ménages français, qui vont des achats d'alimentation au paiement de leur loyer et entre les deux des dépenses moins contraintes mais aujourd'hui devenues impossibles, comme les voyages. Par ailleurs, en période «normale», les Français épargnent des sommes considérables. En 2019, ils ont ainsi «mis de côté» quelque 143 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année selon la Banque de France. Et avant de stigmatiser les épargnants, on ne saurait non plus oublier qu'ils financent les investissements productifs des entreprises, l'immobilier et également les déficits publics.

«Euthanasie des rentiers»

Il n'en est pas moins vrai qu'en période de conjoncture déprimée, l'argent qui dort contribue à accentuer le marasme. Durant la grande dépression des années 1930, John Maynard Keynes allait haranguer les ménagères dans les grands magasins pour les exhorter à acheter, «sinon votre mari perdra son emploi», expliquait l'économiste emblématique du XXe siècle. Keynes est également resté célèbre en parlant de «l'euthanasie des rentiers», formule choc signifiant qu'il faudrait que le capital soit suffisamment abondant pour que les entrepreneurs puissent lancer des projets sans avoir à s'en soucier. Et c'est précisément ce qui s'est passé durant les années d'après-guerre, les «trente glorieuses» : la forte croissance économique - 5% l'an en moyenne - s'est accompagnée d'une épargne abondante et mal rémunérées (les taux du Livret A ont constamment été inférieurs à l'inflation).
Une certitude, à l'instar de la campagne publicitaire de la BNP dans les années 1980, «Votre argent m'intéresse», l'épargne des Français passionne aujourd'hui les dirigeants politiques. Et au premier chef Bruno Le Maire, qui s'est exprimé récemment devant les députés de la Nation : «Les encours du Livret A et du Livret de développement dura le et solidaire ont augmenté de 50% entre mars 2019 et mars 2020. Quand on prend les encours bruts , ils ont doublé entre février et mars 2020. En février 2020 le montant total des dépôts sur le Livret A le Livret de développement durable était de 1, 5 milliards d'euros. Ils sont passés en mars à 3,8 milliards d'euros. Or, ce n'est pas d'épargne dont nous avons besoin aujourd'hui pour notre économie, c'est d'investissement» (sic). Il semble que notre ministre de l'Économie et des Finances était fatigué ce jour-là, car il a confondu allègrement les flux d'épargne mensuels et les encours du Livret A qui sont de 250 milliards d'euros environ et qui n'ont évidemment pas progressé de moitié mais de l'ordre de 13% sur un an ce qui n'est pas la même chose !
Si le gouvernement ne cesse de répéter qu'il n'entend pas financer les besoins gigantesques des finances publiques par de nouveaux impôts, par souci de ne pas pénaliser la reprise, l'opposition de gauche s'en donne à cœur joie. La France Insoumise en appelle au retour de l'ISF, alors que des dépités du PS ont déposé, en vain, un amendement à la récente Loi de Finances rectificative pour taxer de 0,5% les encours d'assurance vie supérieurs à 30 000 euros.
Éric Woerth a quant à lui suggéré d'instaurer un Livret C (C comme Covid-19), rémunéré à 0,5% comme le Livret A. Ces fonds seraient canalisés pour financer les investissements, notamment dans l'industrie, dont le pays aura autant besoin sinon plus que de consommation pour sa relance.
» À voir aussi - Le coronavirus va-t-il faire augmenter nos impôts ?

«Epargne de précaution»

Alors que l'épargne à taux fixe (Livrets, obligations, assurance vie) rapporte moins que le taux d'inflation, et depuis des années, le débat politique ne porte pas tellement sur la relance économique en elle-même que sur «l'imposition des riches», thème éternel du paysage français.
Forcée ou pas, l'épargne supplémentaire apparue ces dernières semaines est en réalité également «une épargne de précaution», phénomène classique quand les ménages ont peur de l'avenir. L'enquête réalisée en avril par l'Insee, juste après le début du confinement, sur le moral des ménages fait apparaître une chute sans précédent de la confiance dans l'avenir depuis un demi-siècle que cette enquête existe. On constate notamment un écoulement des intentions de «faire des achats importants» (de 59% en un seul mois). «Les ménages estiment que les prochains mois seront difficiles, ce qui les privera de toute capacité d'épargne», commente Philippe Crevel, le directeur du Cercle de l'Épargne. Alors que 10,2 millions de salariés sont en «activité partielle», le nom officiel du «chômage partiel», la meilleure façon de relancer la consommation est d'offrir des perspectives d'emploi un peu plus rassurantes. Un besoin urgent, comme l'achat de masques et de gel hydroalcoolique.


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