Au sortir de ce confinement historique, la société française semble perdre ses repères économiques. Une surenchère frénétique monte un peu partout, comme s’il était devenu soudain possible de résoudre toutes les impasses structurelles auxquelles se heurtent nos dirigeants depuis des décennies.
Il faut donner des primes à ceux qui se sont dévoués pendant la crise sanitaire ; il faut augmenter les salaires des personnels médicaux, il faut investir dans le domaine de la santé ; il faut augmenter les salaires en général pour stimuler la demande ; il faut sauver toutes les entreprises, nationaliser les très grandes, subventionner les petites ; il faut investir dans la transition énergétique et aussidans les activités d’aujourd’hui...
il faut moderniser l’éducation, les services publics, subventionner la culture, l’aide à la personne.Tout le monde veut dépenser - dépenser intelligemment bien sûr. Avec quel argent ? Avec celui que l’on crée pardi !
La liste n’est même pas exhaustive, elle est complétée chaque jour par les syndicats et par le patronat, par les élus et les citoyens, par les «gilets jaunes», par les extrémistes, par les jeunes et par les vieux. Tout le monde y va de son idée. Tout le monde veut dépenser - dépenser intelligemment bien sûr. Avec quel argent? Avec celui que l’on crée pardi!Le Covid-19 a démontré qu’il était possible de raser gratis et de financer le barbier. Quand il y a urgence, le «quoiqu’il en coûte»présidentiel se traduit par«plus de limite!».
Il est vrai qu’à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. L’arrêt total de la machine économique mondiale pouvait entraîner un effondrement généralisé. Il était impératif d’enrayer la spirale de la dépression. On aurait pu décréter la faillite interdite ; on a préféré fournir toute la liquidité nécessaire pour empêcher la destruction massive de l’outil de production. Tous les pays du monde, toutes les banques centrales ont pratiqué ce sauvetage du système en émettant de la monnaie, des dettes, dans des proportions jamais vues. Le sauvetage en question n’est cependant que juridique.
Le phénomène ne laisse aucune place au doute : il s’agit bien d’une création pure et simple ; de la fausse monnaie imprimée par la planche à billets internationale, certes pour la bonne cause.
Dans les faits, l’énorme gouffre creusé par l’absence de production pendant un trimestre est toujours là, doublé désormais d’une masse de dette folle, qui déséquilibre encore plus un modèle déjà mal en point. Depuis trente ans, l’émission de dette est de plus en plus décorrélée de la production de richesse ; cette fois, cependant, le moteur étant totalement paralysé, le phénomène ne laisse aucune place au doute: il s’agit bien d’une création pure et simple ; de la fausse monnaie imprimée par la planche à billets internationale, certes pour la bonne cause.
Si la dette ne peut plus être détruite, laissons-la flotter dans une sorte d’univers parallèle.
Et la petite musique de s’insinuer: «Donc c’est possible. Alors pourquoi ne pas continuer?» Théoriciens ou praticiens de la finance rivalisent de propositions vieilles comme le monde: on pourrait monétiser cette dette, créer des fonds de défaisance, faire racheter par les banques centrales tous les types d’actifs, depuis les bons du Trésor jusqu’aux actions de grandes compagnies ; en clair, ne plus jamais rembourser. Si la dette ne peut plus être détruite, laissons-la flotter dans une sorte d’univers parallèle.
Tout cela est magnifique, délicieusement euphorisant. Les marchés adorent, ils repartent à la hausse illico, puisque la baisse des indices est interdite, les pertes sont compensées, le licenciement est une pratique oubliée et aucune faillite ne se produira plus, juge-t-on. La seule compensation de ce programme idéal est l’interdiction des dividendes, ce qui est assez logique quand l’actionnaire n’a plus aucun rôle dans la mesure où l’aléa n’existe plus.
Créer de la dette, distribuer de la monnaie rend d’abord populaire mais conduit ensuite à la catastrophe.
À ce stade du conte de fées, il peut être utile de rappeler que la magie n’existe pas en finance. Dans l’histoire, elle a souvent tenté les gouvernants. Mais la réalité est simple et têtue: jamais un banquier central, ou un banquier tout court, n’a produit de la richesse. Créer de la dette, distribuer de la monnaie rend d’abord populaire mais conduit ensuite à la catastrophe. Comment? Par la perte de confiance qui s’insinue peu à peu en l’avenir. La perte de confiance dans la monnaie engendre la dévaluation de l’épargne. Les premières victimes de la création de fausse monnaie, de la dette excessive, sont toujours les épargnants. C’est pourquoi sans doute, la politique brûle de s’emparer du problème: certains pour les défendre, d’autres pour séduire les autres, ceux qui n’ont pas de patrimoine et s’imaginent les grands gagnants de la gabegie financière.
Plusieurs fois dans l’histoire, dans divers contextes géographiques, pareil scénario s’est répété ; avec à chaque fois, après quelques années, le même épilogue: une catastrophe monétaire, un effondrement de la croissance, d’abordla ruine des rentiers, ensuite la misère des plus vulnérables. Que ce soit au Venezuela ou en Argentine récemment, dans l’Allemagne de l’après Première Guerre mondiale, ou dans la France du débutdu XVIIIe siècle, le résultat est toujours le même. Les peuples comme leurs élites oublient vite et sont toujours tentés par les mêmes mirages.
Un plan d’investissement c’est austère, ce sont les richesses de demain et les emplois d’après-demain.
Ce médicament économique est donc à manier avec une infinie précaution.Il doit être circonscrit dans le temps, il oblige ensuite à une rigueur accrue. Le programme raisonnable serait de retrouver au plus vite les moyens de recréer de la valeur ; de préférence une valeur d’un type nouveau, si nous parvenions en même temps à relancer la machine et la faire fonctionner différemment. Il s’agirait par conséquent de convertir cette monnaie virtuelle en potentialités productives. Quand la France et l’Allemagne pensent plan de relance, il faut comprendre plan d’investissement. Un plan d’investissement c’est austère, ce sont les richesses de demain et les emplois d’après-demain.
Et si cette logique-là devait triompher de chaque côté du Rhin, y compris au sud où crissent volontiers les cigales à courte vue, une vraie question se pose: l’État est-il le meilleur vecteur pour lancer une opération de telle ampleur? S’il s’agissait de reconstituer la croissance d’avant, pourquoi pas ; la pente naturelle de la puissance publique est la continuitédu modèle ancien. S’il s’agit d’inventer des technologies nouvelles, de proposer des ruptures, d’innover dansle fonctionnement du quotidien comme dans celui de l’entreprise, revient alors le temps du risque.
Un risque comme il n’en a pas existé en économie depuis des décennies. Est-ce à ce lourd appareil d’Étatde le gérer, lui qui vient encore de faire la démonstration de sa pesanteur dans les périodes d’inconnu?
Sans doute serait-il opportun de créer l’environnement, les structures,la fiscalité, qui stimulent un gigantesque investissement privé ; et au passage,une utilisation intelligente, enfin!,de l’épargne jusqu’ici sacrifiée.
Source: lefigaro.fr par Philippe Dessertine *
* Professeur à l’Institut d’administration des entreprises de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, directeur de l’Institut de haute finance et ancien membre du Haut Conseil des finances publiques.
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