France: la dette publique a dépassé les 100% du PIB en sept 2019. LIEN.
Le monde est-il surendetté?
Les
chiffres donnent le vertige. Il faut être anglo-saxon pour disposer du
vocabulaire qui manie la bonne échelle, celle du millier de milliards
(«trillion» en anglais). À ce jour, la dette globale, contractée par
tous les agents économiques de la planète - ménages, entreprises, États -
s’élève à plus de 250.000 milliards de dollars, 250 «trillions» donc.
Ce qui représente 320 % du PIB mondial (240 % hors secteur financier).
Et cette dette enfle, apparemment sans retenue. Au seul premier semestre
2019, elle s’est accrue de 7500 milliards de dollars! C’est un comble.
«Nous venons de connaître la pire crise depuis celle des années 1929-1930 au siècle dernier», rappelle Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), en référence à la crise de 2008, «c’était largement une crise de surendettement, et pourtant, le monde continue de s’endetter!». Onze ans après la faillite de Lehman Brothers, le monde est-il toujours aussi inconscient?
● Derrière les chiffres
«Les chiffres agrégés ne veulent rien dire»,
affirme Olivier Blanchard, l’ancien chef économiste du FMI. Les
montants cumulés, effrayants, sont de fait souvent brandis par des
Philippulus qui ont tout intérêt à ce que les banques centrales
prolongent leur politique de taux bas, et que se poursuive le cycle de
croissance de la valeur des actifs qu’elle favorise. Mais les dettes
additionnées par centaines de «trillions» recouvrent en fait plusieurs
réalités. L’explosion de la dette planétaire depuis dix ans est d’abord
celle de la Chine, aujourd’hui endettée à hauteur de 320 % de son PIB,
principalement du fait des entreprises. Les emprunts des pays émergents
se sont aussi envolés. La dette a été multipliée par dix en dix ans en
Éthiopie, par cinq au Ghana, par six en Zambie… «Les pays émergents, la Chine en tête, ont découvert les délices de la dette», soupire Jean-Claude Trichet.
À
l’inverse, dans les pays développés, la dette privée s’est stabilisée,
quand elle n’a pas décru. Bonne nouvelle, car, comme le relève Éric
Chaney, économiste, conseiller à l’Institut Montaigne, «les crises financières viennent en général de la dette privée».
La situation des ménages américains, premiers «coupables» de la crise
des subprimes de 2008, s’est assainie. Leur dette a baissé de 25 points
en douze ans, selon le FMI.
L’Américain
moyen ne sera donc vraisemblablement pas responsable de la prochaine
crise. Le Chinois non plus, dans la mesure où d’une part, le système
financier chinois reste essentiellement fermé sur lui-même, et où
d’autre part, les marges de manœuvre budgétaire de Pékin restent
immenses.
Et les entreprises? Aucun doute, celles-ci empruntent comme jamais. «La
dette des entreprises a atteint un niveau qui devrait leur donner,
ainsi qu’aux investisseurs, des raisons de faire une pause et de
réfléchir», a souligné le patron de la Fed, Jay Powell, en mai 2019. «Elles profitent de la baisse des taux pour lever de la dette. Je n’y vois rien d’alarmant», relativise l’économiste Thomas Philippon. Comme le dit Olivier Blanchard dans le cas des sociétés américaines, «le rapport entre leur niveau de dette et leur valeur en Bourse est au plus bas depuis les années 1960».
Le FMI a pourtant lancé une alerte dans la dernière édition de son
rapport de stabilité financière. Globalement, la dette des entreprises
pèse 91,4 % du PIB mondial ; c’est désormais plus que la dette des États
(87,2 %), et c’est 20 points de plus en vingt ans. Selon le FMI, en cas
de choc, 40 % de cet encours, soit 19 000 milliards de dollars, serait à
risque. La France mérite une mention spéciale. La dette des entreprises
(143,2 % du PIB contre une moyenne mondiale à 91,4 %), tirée par les
multinationales qui pèsent lourd dans le paysage tricolore, y galope
plus vite encore que partout ailleurs en Europe, attirant l’attention
des autorités financières qui demandent plus de discipline.
● Où est la limite?
«Les barils de poudre sont là. On ne sait pas quel pourrait être le détonateur mais il y en a toujours un»,
avertit Jean-Claude Trichet qui appelle le G20 à se saisir de la
question. L’emballement de la dette mondiale semble sans limite, y
compris pour celle contractée par les États qui représente aujourd’hui
72,6 % du PIB mondial, contre 49,5 % en 2007. «Le monde est shooté à la dette»,
affirme Anne-Laure Kiechel, fondatrice de Global Sovereign Advisory
(GSA). Cette addiction pose en particulier question concernant les
emprunts souverains. Certes, un État n’est pas un ménage. Son horizon de
temps est théoriquement infini et sa capacité de remboursement n’est
pas encadrée par son espérance de vie. Il peut donc faire «rouler» sa
dette sans la rembourser.
La science
économique est incapable de définir une borne absolue au-delà de
laquelle la dette deviendrait insoutenable. Carmen Reinhart et Kenneth
Rogoff l’avaient estimée à 90 % du PIB en 2009, mais leurs calculs ont
été désavoués quelques années plus tard. «Le seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques est impossible à déterminer»,
note François Ecalle, sur son site Fipeco. Les contraintes
institutionnelles ne semblent pas davantage capables de dompter la soif
d’emprunts des États. La cible de 60 % du PIB inscrite dans le traité de
Maastricht pour les États de la zone euro est ainsi restée un vœu pieux
pour la plupart.
La mémoire n’est pas
non plus un frein. L’histoire des défauts souverains est aussi vieille
que celle de la dette publique, inventée par les cités italiennes de
Gênes, Venise et bien sûr Florence dès le XIIe siècle. Les
faillites des États sont légion, comme en Amérique latine, de la crise
de 1826 jusqu’à la dernière crise argentine en passant par le défaut du
Mexique et le plan Brady de 1989. Idem en Europe, où les pays du «Club
Med» de la crise de 2012 avaient tous fait défaut en 1826, et où toutes
les grandes nations ont imposé des moratoires à leurs créanciers dans
les années 1930. Des emprunts russes à ceux contractés par la première
République de Chine, en passant par les dettes de guerre finalement
effacées (Allemagne en 1953), les dettes d’État ne sont pas toujours
honorées. «Il faut le dire, on ne remboursera pas toute la dette. Il y aura, comme il y a toujours eu dans l’histoire, des faillites»,
a lancé Anne-Laure Kiechel à la tribune de Sciences Po fin novembre
pour le lancement de la chaire «dette souveraine» dont sa société est
partenaire. Invité vedette, l’ancien premier ministre grec Alexis
Tsipras a confirmé: «Le défi de la dette souveraine demeure. Pas seulement pour la Grèce, mais pour toute l’Europe.»
Mais
qui s’en soucie aujourd’hui? Les investisseurs ont acheté en 2017 de la
dette à 100 ans émise par la multirécidiviste du défaut qu’est
l’Argentine! Et la Grèce, à peine sortie du purgatoire de la
restructuration mais toujours endettée à 175 % de son PIB c’est-à-dire
plus qu’en 2010, a pu émettre cet automne - certes à court terme - à
taux négatifs!
● Le temps de l’argent gratuit
À l’assemblée annuelle du FMI, mi-octobre, «tout le monde ne parlait que de cette émission grecque!»,
raconte un participant. La boulimie de dette de la planète n’a
évidemment pas le même sens dans un monde de taux bas voire négatifs.
Aujourd’hui, 15.000 milliards de dollars d’obligations se traitent à
taux négatifs. La France a pu émettre sous la barre de zéro de rendement
depuis le mois de juin. Le service de sa dette (38,6 milliards en 2019)
lui coûte 17 milliards de moins qu’en 2011, et le niveau de celle-ci
plafonne juste en dessous de la barre des 100 % du PIB malgré la
persistance du déficit budgétaire.
Ce
monde de taux bas voire négatifs doit-il changer notre regard sur la
dette, et donc sur les déficits? Le débat est intense dans tous les pays
développés. En France, alors qu’Emmanuel Macron a jugé «dépassée» la limite de 3 % au déficit budgétaire, son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’affiche dans une posture de «dernier des Mohicans», «toujours préoccupé par le niveau de la dette publique».
En
début d’année, Olivier Blanchard a jeté un pavé dans la mare.
L’économiste a fait plusieurs constats. Un, les taux d’intérêt réels
sont inférieurs au taux de croissance. Deux, «on a à peu près épuisé tout ce qu’il y avait dans la besace de la politique monétaire». Dans ces circonstances, affirme-t-il, «il faut envisager le recours à la politique budgétaire sans être obsédé par le niveau de la dette».
Mais combien de temps ces circonstances, contraires aux présomptions de la théorie économique classique, dureront-elles? «Les taux ne remonteront pas par magie»,
affirme Thomas Philippon. S’ils le font, c’est que la croissance et
l’inflation repartiront aussi à la hausse: en termes réels, ils
resteraient donc faibles voire négatifs. Deux économistes du FMI, Paolo
Mauro et Jing Zhou, ont mené l’enquête sur deux siècles et constaté que
les pays avancés ont de fait vécu à taux réels négatifs pendant la
moitié du temps. Cette situation a notamment permis le désendettement
vertigineux des années 1950 à 1970, après le record absolu d’endettement
public mondial atteint après la Seconde Guerre mondiale (116 % du PIB).
Pour
autant, rien ne nous garantit ce monde d’argent gratuit. À l’issue des
périodes d’écart faible à négatif entre taux d’intérêt et croissance, «beaucoup de crises sont intervenues», constate le duo du FMI. «Ceux qui sont convaincus d’un monde sans inflation pour les dix ou vingt ans qui viennent me paraissent bien sûrs d’eux», glisse Éric Chaney. La guerre commerciale est ainsi par exemple potentiellement un puissant facteur inflationniste. «Ne
prenons pas une situation conjoncturelle pour un phénomène structurel.
Personne ne sait combien de temps les taux resteront très bas»,
avertit Jean-Claude Trichet. Leur niveau, pays par pays, dépend aussi de
la confiance des investisseurs. Celle-ci est très volatile vis-à-vis
des pays émergents, ce qui les rend très vulnérables surtout quand leurs
emprunts sont libellés en devises. La contrainte externe est à
l’inverse nulle aux États-Unis, dont les bons du Trésor restent
l’actif-roi - c’est le privilège du dollar et du marché financier
intérieur le plus profond de la planète. «La politique fiscale à
Washington est délirante, mais cela ne crée pas pour autant un problème
de soutenabilité de la dette américaine», note Thomas Philippon.
Idem ou presque au Japon, où Shinzo Abe vient d’annoncer un énième plan
de relance malgré une dette qui culmine au-dessus de 200 % du PIB et
parce que les titres de celle-ci sont essentiellement détenus sur le
marché domestique et par la banque centrale nationale.
● Le but de la dette
L’Europe
est dans une situation intermédiaire. La crise de la zone euro a prouvé
sa vulnérabilité aux évolutions du sentiment des marchés. Mais le Vieux
Continent est aussi menacé de «japanisation», comme l’a récemment
relevé l’agence Fitch, en ce qu’il s’installe dans une situation de
faible croissance, faible inflation, et forte dette. «L’Europe devra faire de la relance», affirme Éric Chaney, «et cela vaut aussi pour l’Italie, pourvu que l’on s’assure de la qualité de la dépense».
Tout
l’enjeu est là, dans la qualité des projets qu’autorise aujourd’hui
l’argent gratuit. L’Allemagne et les Pays-Bas en ont profité pour se
désendetter massivement, mais cette voie n’est pas la seule. «Ce n’est pas le niveau de la dette qui compte, mais la responsabilité des autorités politiques», explique Olivier Blanchard.
Autrement
dit, la dépense est possible pour autant qu’elle soit rentable à la
fois en termes de croissance et de cohésion sociale. Les besoins
d’investissement sont partout, y compris dans les pays avancés: dans les
infrastructures, dans l’éducation, dans la recherche, et bien sûr, dans
la transition énergétique. «La dette est un sujet éminemment politique»,
souligne Anne-Laure Kiechel. De fait, la dette oblige vis-à-vis des
créanciers ce qui en fait un enjeu stratégique. Elle oblige aussi
vis-à-vis des générations futures, ce qui devrait interdire la gabegie.
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