11/03/2018

à propos de Mondialisation: Course au moins-disant social, fiscal et environnemental

Dans la suite de mon billet sur les taxes douanières  que Trump va mettre en vigueur sur l'acier et l'aluminium aux Etats-Unis, 25% et 10% respectivement, je livre cette réflexion sur la mondialisation. Elle m'est suggérée par l'excellent livre d'Edouard  Cottin-Euziol (néolibéralisme versus Etat Providence) et par celui de Ha-Joon Chang. (Economics the user's guide).

Si la concurrence entre les entreprises d'un même pays a des bienfaits pour les tenants du libre échange, pourquoi n'en aurait-elle pas entre les entreprises de plusieurs pays ?

Les entreprises d'un même pays sont soumises aux mêmes institutions: mêmes règles sociales, fiscales, environnementales; or ces institutions et rèles sont différentes d'un pays à l'autre. Ainsi, une entreprise produisant dans notre pays ne pourra normalement pas gagner en concurrençant une autre entreprise parce qu'elle a moins de charges à payer ou moins de normes à respecter. Il existe en effet toute une règlementation, nationale et  par branches, qui fixe des règles communes aux entreprises. La concurrence ne peut donc se faire par le haut: par des gains de productivité ou des innovations  et non par le bas, en faveur de celle qui paierait les salaires les plus faibles ou le moins d'impôts où qui ne respecterait pas les codes et règlementations.Considérons maintenant le cas de deux entreprises en concurrence mais situées dans des pays ayant des règles sociales, fiscales et environnementales différentes. Dans ce cas, une entreprise peut être plus compétitive, non parce qu'elle est plus innovante ou plus productive, mais parce qu'elle paie des salaires plus faibles, moins d'impôts, ou a moins de codes et règlementations à respecter. La concurrence ne privilégie alors plus le pays dont  les entreprises sont les plus productives mais le pays le moins-disant social, fiscal et environnemental.

Aujourd'hui des millions d'emplois ont été délocalisés, non pas parce que les ouvriers du pays bénéficiant de ces délocalisations produisent mieux que ceux des autres pays, mais parce que leurs salaires sont plus faibles et leurs conditions de travail moins bonnes. De la même manière, des milliers d'usines et de sièges d'entreprises sont transférés d'un pays à l'autre, non pas parce qu'elles y trouveraient les éléments d'un meilleur développement scientifique ou managerial, mais parce que les normes y sont moins contraignantes et la fiscalité plus faible.

Cette concurrence-là ne peut donc que favoriser la régression sociale, le dépeçage du modèle social construit depuis des décennies et la dégradation de l'environnement. Elle est par conséquent mauvaise pour les salariés, pour la cohésion sociale et pour la planète. »

Dans un tel univers concurrentiel, les États ne sont pas incités à faire des lois visant au progrès social car ils savent qu'en conséquence de ces lois, la compétitivité de leurs entreprises se dégradera. Nous l'avons vu récemment à propos du débat sur la réduction du temps de travail. Le principal argument des opposants à cette loi était que cela nuirait à la compétitivité de notre pays. Dans une économie plus fermée, il aurait probablement été compliqué de la mettre en oeuvre. La progression des salaires est également affectée: on constate que depuis trente ans dans les pays occidentaux, il y a un déphasage entre l'évolution des salaires et celle de la productivité. La productivité sous l'effet du progrès technique, continue à progresser, tandis que les salaires stagnent à cause de la concurrence des pays à bas salaires. Or, dans un monde où la capacité à produire augmente chaque année par la croissance du PIB, il est nécessaire que les salaires progressent au même rythme pour pouvoir acheter cette production supplémentaire. Autrement, l'économie fera face à une situation d'insuffisance de la demande, dont résultera surproduction et chômage.  En ralentissant la progression des salaires, la course au moins-disant social fragilise les  économies, puisque la demande ne croît  au même rythme que l'offre.

On peut faire le même raisonnement à propos de la fiscalité. Les États vont être incités à réduire leurs prélèvements sur l'économie, afin d'attirer les entreprises des autres nations, ou d'éviter les délocalisations de leurs entreprises. Or, les dépenses des États, financées par ces prélèvements, sont indispensables au bon fonctionnement des économies. Elles permettent entre autres de nous former, d'offrir à tous un accès à des soins de qualité, de créer les infrastructures nécessaires au transport des hommes et des marchandises, d'assurer la cohésion de la société et de stimuler la recherche fondamentale, base de l'innovation technologique. Sans ces dépenses, c'est le potentiel de développement à long terme qui est fragilisé. Or, la baisse des recettes des États consécutive au développement de la concurrence fiscale va impliquer une baisse des budgets alloués à ces missions. La concurrence fiscale fragilise donc les  économies à moyen et long terme.

On peut enfin tenir le même discours sur l'environnement. Si les mêmes règles environnementales ne s'appliquent pas à tous les pays, alors ce sera celui qui imposera les règles les moins contraignantes qui favorisera ses entreprises pour exporter sur les marchés internationaux. À de nombreuses reprises déjà, des lois environnementales jugées nécessaires ont été bloquées dans de nombreux pays, de peur de voir la compétitivité de leurs entreprises se dégrader. Une telle concurrence constitue donc un frein à l'amélioration de l'environnement. Or nous savons aujourd'hui, des dizaines de rapports l'ont montré, que plus nous repoussons les mesures de protection de l'environnement et plus les coûts de réparation des dommages écologiques que nous causons seront importants. Ne rien faire aujourd'hui du fait de la concurrence internationale, c'est donc nous exposer à des dépenses faramineuses dans le futur pour réparer les dégâts causés par notre laxisme. Ce sont des dépenses qui pénaliseront et fragiliseront les économies.

L'ouverture à la concurrence internationale devrait donc être précédée de la mise en oeuvre de critères de convergence sociaux, fiscaux et environnementaux. Or, rien de tout cela n'a été fait dans le monde. Un tel  projet a été esquissé en Europe, mais il est mis en oeuvre de manière insuffisante. C'est pourquoi les pays européens se livrent aujourd'hui à une concurrence sociale et fiscale sans précédent.

Au jeu de la concurrence telle qu'elle existe actuellement, les pays sont donc loin d'être tous gagnants.

Voilà pourquoi un élément primordial,  concernant le commerce international, est que celui-ci ne doit pas entraver la capacité des peuples à déterminer librement leurs choix de société. Or, c'est bien le cas aujourd'hui, puisque chaque pays rechigne à instaurer de meilleures réglementations sociales ou environnementales de crainte de voir sa compétitivité s'effriter. Si le commerce international l'en empêche, c'est que les relations économiques entre les pays sont mal conçues et qu'il faut en changer les règles.

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