Atlantico : Que peut-on déduire du rapport qu'ont les Français avec l'argent ?
Aurélien Preud’Homme : Certains présentent le rapport des Français à l'argent comme complexé, à travers l'idée que parler de son salaire, de sa réussite ou de son patrimoine serait mieux acceptée dans les autres pays, notamment anglo-saxons.Si c'est en partie vrai, la réalité est plus complexe : les Français ne rejettent pas systématiquement la réussite et reconnaissent qu'un artiste ou un entrepreneur ont le droit de bien gagner leur vie. A une condition toutefois : s'ils le méritent. Une personne riche est perçue comme méritante si elle participe en retour à la richesse nationale, en faisant rayonner la culture française pour un artiste, en créant des emplois ou tout simplement en payant l'impôt pour un chef d'entreprise.
A partir du moment où ce pacte est rompu, où les riches ne semblent plus participer à l'effort national, alors la richesse est beaucoup moins acceptée. On peut comprendre en ce sens la popularité de la mesure de François Hollande de taxer à 80 % les plus hauts revenus en 2012 : à cette époque, l'actualité économique faisait la part belle aux excès de la finance, aux exils fiscaux, aux licenciements et à la hausse des inégalités... Il était alors difficile de défendre les plus grandes fortunes, et c'est d'ailleurs une des raisons de l'échec de Nicolas Sarkozy, devenu au fil du quinquennat le "Président des riches", largement alimenté par l'affaire Bettencourt, le Yacht de Bolloré et le bouclier fiscal. Des symboles qui devenaient d'autant plus insupportables que la France sombrait dans la crise.
Plus que la richesse, ce qui est davantage rejeté est une certaine conception de l'argent : l'argent comme seule mesure de la réussite personnelle, l'argent ostentatoire : les yachts, les produits de luxe, les propriétés somptueuses... On passe à ce moment pour beaucoup de la richesse à l'oligarchie. Et l'imaginaire républicain des Français reste très opposé à tout ce qui rappelle la noblesse d'ancien régime, les rentes, les fortunes qui n'ont rien fait d'autre qu'hériter sans mérite personnel.
Comment le rapport qu'on les Français vis-à-vis de l'argent des riches et de l'ISF a évolué depuis 1989 date de création de l'ISF ?
Le rapport des Français à l'argent n'a sans doute pas beaucoup évolué depuis une trentaine d'années et la création de l'ISF, ce qui a changé en revanche c'est la conjoncture économique et la perception des grandes fortunes et des inégalités, plus que de l'argent.Le rejet du "mur de l'argent" est d'ailleurs une vieille rengaine politique, très efficace : Mitterrand a rassemblé la gauche en s'opposant à "l'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase", Hollande en se déclarant l'ennemi de la finance... Si ces déclarations ont rarement été suivies d'effet, elles sont encore des mots d'ordre populaires, qui parlent profondément à l'idéal égalitaire des Français, même si ceux-ci peuvent tout autant être convaincus par un discours ventant le mérite des grandes fortunes, comme l'a fait Nicolas Sarkozy en 2007 et dans une moindre mesure Emmanuel Macron en 2017. Tout dépend encore de comment est présentée la richesse : si celle-ci est perçue comme une rente, une caste qui gouverne, et surtout si elle semble avoir un impact négatif sur le plan économique et social, alors elle est totalement déconsidérée.
En revanche peu de gens remettent en cause le mérite d'un patron parti de rien et qui par son travail arrive à créer une très grande entreprise. Sauf bien sûr si celui-ci à quelque chose à se reprocher sur le plan social, ou en cas d'exil fiscal.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les doutes sur l'action de la majorité : à l'heure où le gouvernement décide de baisser les cotisations sociales et de supprimer la taxe d'habitation pour 80 % des ménages, des mesures clairement en faveur des actifs et des classes moyennes, on mesure en même temps que pour 53 % des Français la politique de la majorité profite d'abord aux plus aisés.
Cette perception est liée à la fois à la complexité des réformes fiscales, puisque dans le même temps sont réformées les cotisations sociales, la taxe d'habitation, mais aussi la CSG et l'ISF... Difficile dans ce contexte de mesurer qui sont les gagnants et les perdants de la politique fiscale, d'autant plus que les mesures à destination des classes moyennes seront mises en place progressivement tout au long du quinquennat.
L'autre erreur de la majorité a sans doute été le timing : en baissant les aides aux logements pour les plus pauvres tout en baissant l'ISF pour les plus riches, ils risquent de donner l'impression d'une redistribution à l'envers. Dans ce contexte, il est difficile de faire valoir l'effort consenti pour les classes moyennes et populaires à travers la baisse des cotisations sociales et la taxe d'habitation.
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