Source le Figaro Par Ivan Letessier, Fabrice Nodé-Langlois, Armelle Bohineust et Olivia Détroyat
Publié le 03/05/2024 à 19:29, mis à jour le 05/05/2024 à 16:48
Emmanuel Macron et Xi Jinping à Guangzhou, le 7 avril 2023, lors de la visite d’État du président Français en Chine. Le premier reçoit second à Paris et au col du Tourmalet lundi et mardi prochain. HUANG JINGWEN / Xinhua via AFP
Le président chinois est arrivé dimanche en France pour une visite d’État de deux jours. Paris espère la promesse d’un assouplissement des mesures contre les entreprises françaises. Ces dernières sont dubitatives.
L’ascension du col du Tourmalet par Emmanuel Macron et Xi Jinping, prévue mardi en fin de matinée, permettra-t-elle la désescalade souhaitée par l’Élysée dans les tensions commerciales entre la France et la Chine ? L’entourage du président de la République, qui ne cesse de vanter la qualité des relations personnelles entre les deux dirigeants, compte sur l’étape haut-pyrénéenne de la visite d’État du président chinois en France pour dissiper les malentendus.
Si l’évocation des souvenirs d’enfance d’Emmanuel Macron, dont la grand-mère maternelle habitait dans la vallée, à Bagnères-de-Bigorre, et qui a appris à skier à La Mongie, peut amadouer son homologue, les annonces risquent pourtant d’être symboliques et de décevoir les acteurs politiques et économiques français et chinois.
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Depuis plusieurs mois, les inquiétudes et les incompréhensions ne cessent de grimper dans les deux camps. Pékin s’inquiète de la faiblesse de la croissance économique chinoise, appelle en vain les entreprises occidentales à investir en Chine et, surtout, ne supporte pas les enquêtes à répétition lancées par Bruxelles : contre les subventions aux véhicules électriques chinois en septembre, le géant ferroviaire CRCC en février, contre les panneaux solaires début avril… En France, à l’inverse, on analyse l’enquête antidumping lancée en janvier contre le cognac et les contraintes croissantes imposées aux producteurs de cosmétiques comme autant de mesures de rétorsion injustifiées.
Les autorités chinoises voient la main de Paris derrière les enquêtes diligentées par Bruxelles ? Emmanuel Macron a pris le soin de convier Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à son premier échange avec le président chinois, lundi à 11 heures à l’Élysée. Les dirigeants de grands groupes français ne voient pas cette rencontre trilatérale d’un bon œil. « Nous aurions préféré qu’Ursula von der Leyen ne soit pas là et que Margrethe Vestager cesse de souffler sur les braises contre Pékin, afin qu’un accord de désescalade soit annoncé lors de la visite de Xi, confie l’un d’eux, sous couvert d’anonymat. Or cette hypothèse n’est pas sur la table. »
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La commissaire européenne à la Concurrence a récemment dénoncé la stratégie d'exportation « à bas prix » de produits chinois, « désormais déployée dans tous les domaines des technologies propres ». Et elle a publié un rapport sur les distorsions de concurrence induites par les aides d'État au sein de l'économie chinoise et de nombreux secteurs. « Je ne suis pas sûr que montrer ainsi ses muscles avant une visite d'État soit une bonne idée, poursuit un industriel français. Pékin, à l'inverse, a fait un geste en accordant aux producteurs de cognac un moratoire de quinze jours pour répondre à son enquête. »
Les experts des relations franco-chinoises ne partagent pas tous cette préférence pour la prudence. « Xi pense qu'il peut entrer en Europe comme il veut et joue très bien des divisions entre Européens, comme l'a démontré la visite du chancelier allemand Scholz à Pékin, prévient David Baverez, investisseur à Hongkong et auteur d'essais décapants sur la Chine. Son voyage en France est un test important. Il faut un langage de fermeté, le seul que comprenne la Chine. L'Europe doit taxer les voitures subventionnées et véritablement taxer le CO2 quand on sait qu'une voiture électrique produite en Chine consomme deux fois plus de CO2 qu'en Europe. »
Victimes collatérales
Quelle que soit la méthode employée pour adoucir Xi Jinping, au sein de l'exécutif, personne n'est prêt à céder d'un pouce au sujet des enquêtes européennes. « Je vais continuer à me battre pour garantir la protection européenne de notre industrie, martelait encore jeudi Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie. Il est temps que l'Europe comprenne que si elle est la dernière à jouer les règles d'un jeu que plus personne ne respecte, elle perdra la partie. Je veux me battre pour le contenu européen. Les équipements des champs d'éoliens offshore chinois sont à 96 % chinois. »
Dans ce contexte, certains industriels français très présents en Chine craignent d'être des victimes collatérales de l'intransigeance européenne. « Il y a trois scénarios pour l'issue de la visite d'État, résume un industriel français au fait de la préparation des échanges prévus lundi. Le plus optimiste est celui où Xi Jinping promet en privé à Emmanuel Macron, mais sans aucun engagement écrit, d'œuvrer en faveur de la détente en demandant à son administration de ralentir son enquête sur le cognac et d'établir une liste élargie d'exemptions de contrôle dans les cosmétiques. Le deuxième scénario est celui du statu quo, et le troisième celui du pire : une situation où Xi Jinping se fâcherait à cause des enquêtes européennes, ce qui entraînerait Pékin à prendre de nouvelles mesures défavorables aux entreprises françaises. »
Beaucoup se refusent à imaginer que la célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises, engagées par de Gaulle et Mao, se solde par un regain de tension sur le front commercial. Le scénario optimiste est celui que privilégient l'Élysée, Matignon et le quai d'Orsay. « Au sommet de l'exécutif, il y a une confiance aveugle dans le fait que l'on peut être “pushy” contre la Chine en public et obtenir en privé un accord pour que les différends commerciaux s'arrangent, assure un industriel briefé par l'Élysée en amont de la visite de Xi. Cela me semble un peu optimiste. Si le président tente un coup de poker, j'espère qu'il a en main un carré d'as plutôt qu'une paire de huit… »
Une partie de poker
Dans cette partie de poker, il semble aussi compliqué de savoir ce que Xi Jinping a en tête que de vérifier la réalité de la situation économique dans l'empire du Milieu. « L'économie chinoise va mal, assure David Baverez, qui vient de publier Bienvenue en économie de guerre ! (Édition Novice). La croissance du PIB à 4,5 %, c'est bidon. En réalité, la création de valeur est réduite à zéro. La Chine est frappée par la déflation et, pour la première fois, les salaires baissent. Cette déflation est accélérée par la politique de Xi Jinping qui ne veut pas développer la consommation, car plus de consommation suppose une économie de services, laquelle débouche sur la démocratie à la japonaise, à la coréenne ou à la taïwanaise, dont il ne veut pas. La baisse de croissance de la consommation est structurelle. »
En fait, Pékin a bel et bien besoin de l’Europe, à la fois pour y exporter ses produits et pour accueillir ses investissements. « Pour obtenir des garanties de Xi, il faudrait que des entreprises françaises annoncent des projets industriels en Chine lors de sa visite d’État, souligne un producteur de cognac. C’est ce que souhaitent les autorités chinoises. »
Dans le camp français, certains veulent croire que la Chine regorge d’opportunités. « Nous sommes dans une période de mondialisation moins heureuse, reconnaît Pascal Cagni, le patron de Business France, qui organise lundi matin à Bercy un Forum d’affaires destiné aux PME. Mais les secteurs où les investissements sont limités en Chine sont bien moins nombreux que par le passé et l’image de la France y reste très positive. Nous avons un capital que nous n’exploitons pas assez. »
Inquiétude des entreprises françaises en Chine
De leur côté, les géants du CAC 40, qui ont massivement investi depuis trente ans en Chine, semblent aujourd’hui bien plus prudents. « Les grands groupes français, à commencer par les géants du luxe et des cosmétiques, souhaitent bien sûr continuer à exporter, car ils croient au potentiel du marché, assure un conseil de grands patrons français. Mais ils sont de plus en plus réticents à engager de nouveaux investissements industriels sur place. » La Chine a certes été un formidable moteur de croissance depuis le début des années 1990, même si les premières mesures prises par Xi peu après son arrivée au pouvoir, fin 2012, ont pu leur donner des sueurs froides.
Mais depuis la pandémie de Covid, leur objectif numéro un est de « dérisquer » leur exposition à la Chine en trouvant à la fois d’autres sources d’approvisionnement et d’autres relais de croissance. Pour de nouveaux investissements industriels, leurs priorités se situent en Asie du Sud-Est, en Inde ou encore aux États-Unis. « Seuls les géants des services aux collectivités locales qui peuvent signer des contrats pluriannuels, comme Veolia ou Suez, sont optimistes sur la Chine, assure un industriel français. Si les banques sont sereines, la plupart des industriels, dans le luxe, l’agroalimentaire et l’aéronautique, ont fait part de leur inquiétude à l’Élysée. »
La Chine doit investir davantage dans l'Union européenne, en y apportant aussi son savoir-faire et ses technologies afin de participer à la construction de chaînes d'approvisionnement locales: Zhu Min, vice-président du Centre chinois des échanges économiques internationaux
Paris, de son côté, attend des promesses d’investissements d’entreprises chinois en France, à l’instar de ceux annoncés par les constructeurs automobiles BYD en Hongrie et Chery en Espagne. « La Chine doit investir davantage dans l'Union européenne, en y apportant aussi son savoir-faire et ses technologies afin de participer à la construction de chaînes d’approvisionnement locales », abonde Zhu Min, vice-président du Centre chinois des échanges économiques internationaux.
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Aucune annonce majeure n’est toutefois certaine, ni ce lundi à Paris, ni le suivant à Versailles, dans le cadre de Choose France. « En marge de la visite d’État, on annoncera tout juste la vente de trois avions, l’exportation de quelques blancs de porc et d’autant de rouges à lèvres », sourit un expert des relations franco-chinoises, qui promet par ailleurs des « annonces des deux camps de coopérations industrielles et d’engagement dans les énergies vertes ou la durabilité ». Le camp tricolore a toutefois trouvé une source de réjouissance : pourtant peu amateur de l’exercice, Xi Jinping a accepté de prononcer le discours de clôture des Rencontres franco-chinoises, prévues lundi après-midi au Théâtre Marigny en présence d’une trentaine de grands groupes français et autant de chinois. L’occasion d’un message de sympathie, avant les toasts portés lors du dîner d’État prévu à 20 h 30 à l’Élysée ?
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