Comment se porte réellement la ferme France? Le pays est-il en train de devenir un nain agricole?
Pour répondre à ces questions, il faut analyser les chiffres de marché qui sont parfois trompeurs. Ainsi la France a battu des records d'exportations de produits alimentaires en 2022 avec 84,1 milliards d'euros, soit une hausse de 20% sur un an, selon Business France.
La France serait de plus en plus dépendante des importations? Là encore, cette affirmation semble contredite par l'excédent commercial agricole français qui a atteint 9,4 milliards d'euros en 2022, soit son niveau le plus élevé depuis 2013.
Le bilan sur 10 ans publié par FranceAgriMer des exportations françaises donne l'impression que l'agriculture française est plus que jamais florissante. Les exportations françaises vers les pays de l'UE à 27 sont passées de 33 à 40,8 milliards d'euros (en euro constant), soit une hausse de 24%.
Celles en directions des pays hors UE sont quant à elles passées de 24 à 33,3 milliards, soit 39% de hausse.
Pourtant ces bons chiffres apparents doivent être relativisés. Comme on le constate sur le graphique ci-dessus, les hausses dans les exportations sont récentes et elles sont principalement dues à la flambée des cours mondiaux des matières premières agricoles consécutives à l'après-Covid et à la guerre en Ukraine. Les produits français en ont bénéficié mais tout comme ceux des grandes nations agricoles.
La France reste la première puissance agricole en Europe mais on constate que sa position relative a tendance à reculer depuis deux décennies. La part de la France dans la production agricole européenne est passée de 19,1% à 18,1% entre 2000 et 2015, rappelle l'Insee. Elle est tombée à 17% en 2019 et elle s'est depuis stabilisée.
Si on ne prend que les exportations en revanche, la marque France a objectivement décliné. En 2022, elle n'est plus que le sixième exportateur mondial avec 4% de part de marché dans les exportations de denrées alimentaires. Elle est distancée par les Etats-Unis et le Brésil mais aussi en Europe par les Pays-Bas et l'Allemagne comme le constate Business France dans son dernier rapport.
La France ne représente plus que 4% des exportations mondiales en 2022. Source: Business France
Le déclin est cette fois patent lorsqu'on remonte deux décennies en arrière. Dans un rapport du Haut-Commissariat au Plan de 2021 le constat était sans appel.
"La France a vu ses parts de marché au niveau mondial passer de presque 8% en 2000 (elle était alors le deuxième exportateur mondial) à 4,7 % en 2019.
Au début des années 2010, elle a reculé de la première à la troisième place du classement des exportateurs européens, détrônée par les Pays-Bas et l’Allemagne."
Une dégringolade qui masque qui plus est une grande diversité de situations. Si la France continue à avoir des excédents commerciaux agricoles et agroalimentaires c'est avant tout le résultat des excédents exceptionnels enregistrés dans deux catégories de produits: les vins et spiritueux d'une part (la France est premier exportateur mondial) et les céréales d'autre part (la France est troisième).
Le poids de ces deux postes "vins et spiritueux" et "céréales" est tel que si on les soustrait de la balance agricole et agroalimentaire de la France, celle-ci devient très largement déficitaire, passant même d'un déficit de 5,7 milliards d’euros en 2010 à 11 milliards d’euros en 2019.
20% de la nourriture importée
Les rapports se succèdent sur le sujet et font tous le même constat: l'agriculture française n'est plus compétitive. Comme celui des Affaires économiques du Sénat fin 2022.
"Deux tiers de ses pertes de marché proviennent de sa perte de compétitivité, analysait le rapport avant d'énumérer: hausse des charges des producteurs en raison de ses coûts de main d’œuvre, de surtranspositions trop nombreuses, d’une fiscalité trop lourde, manques d’investissements, effet taille d’exploitation, la Ferme France ayant choisi un modèle familial loin des pratiques de ses concurrents directs en Europe ou encore une faible défense par l’État dans les accords de libre-échange..."
Le tout, soulignent les rapporteurs, "dans un climat politico-médiatique qui vitupère un modèle agricole pourtant le plus vertueux du monde, en critiquant par exemple la taille moyenne de nos exploitations, pourtant très inférieure à celles de nos concurrents."
Ce déficit de compétitivité, on le constate aussi sur nos étals. Le "made in France" recule aussi dans le pays. En 25 ans, la part de la nourriture française importée est passée de 10 à 20%. Dans le maraîchage, 70% des fruits et 30% légumes sont désormais importés (pommes, poires, abricots, cerises..). Dans l'élevage, 20% de la viande bovine est désormais importée de même que 50% du poulet (d'Ukraine, de Thaïlande ou du Brésil).
Face aux constats d'un manque de compétitivité par les coûts, les politiques publiques ont toutes plus ou moins la même stratégie depuis des décennies. A l'instar de ce qui s'est fait dans le vin, elles tentent de généraliser une montée en gamme de la production française qui serait plus rémunératrice. D'où la surtransposition des normes environnementales afin que la production hexagonale vise des marchés haut de gamme de niche à l'international. Ou encore les lois comme Egalim censées mieux rémunérer les agriculteurs afin qu'ils puissent investir et se recentrer sur le marché intérieur mieux rémunéré.
Une stratégie qui s'est soldée par une hausse des coûts du "made in France" mais qui n'a pas généré de hausses de revenus.
"En favorisant cela, l’État raisonne à l’envers, estiment les auteurs du rapport du Sénat. En réalité [...] avec une telle stratégie les exportations baissent, mais les importations explosent, les produits étrangers plus compétitifs conquérant le "cœur de gamme" de la consommation française."
Une stratégie de la "haute couture alimentaire" qui ne séduit pas à l'export, ne comble pas les consommateurs français et suscite de la détresse dans le monde agricole.
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