Infoxé... Se déconnecter Tous accros au smartphone et aux réseaux ? Non, de plus en plus d'usagers revendiquent le droit à la déconnexion et à la « décroissance » numérique. Quitte à ne plus s'informer.
«Je ne m'informe plus et je me sens mieux », m'explique, convaincu, un ami français. C'est avec passion que l'on redéfinit le bonheur d'un siècle à l'autre, sinon d'une rupture amoureuse à l'autre. Et aujourd'hui ? Le « mieux », cette félicité, possède de nouveaux noms : déconnexion, dumbphones, digital detox.
C'est le fruit d'un divorce à l'amiable avec le numérique, les réseaux sociaux et leurs outils du grand mal universel : le téléphone « intelligent ». D'ailleurs, ce qualificatif dit désormais tout du cynisme de cette machine qui nous dévitalise. Et pour les dumbphones ? Ce sont ces anciens téléphones sans connexion Internet, sans applications ni « tracking ». Des appareils ramenés à l'essentiel de leur vocation initiale : appeler, répondre. Rien de plus qui puisse venir dévorer l'attention, le temps libre et l'existence entière. Certains achètent ces appareils primitifs comme on se procure des médicaments contre l'addiction.
Le bonheur se trouve-t-il dans la déconnexion et la redécouverte de sa vie au présent ? Certains rêvent même de revendiquer le droit de ne plus s'informer. Pour « se sentir mieux ». Demander la liberté de s'exfiltrer hors du siècle des « suiveurs » et des commentateurs. Une utopie du comportement, un désir obscur qui nous habite tous parfois : se préserver de l'information. Renoncer volontairement à ce droit acquis et généralisé en à peine un siècle : celui de s'informer, d'apparaître au courant, de consommer les actualités. Il y a des décennies, ce privilège incarnait le nec plus ultra visible de nos démocraties : l'info libre et exacte, sa pluralité, son éthique exigeante. Sa gratuité, sinon sa disponibilité aussi. C'est d'ailleurs ce qui servait à mesurer un tant soit peu l'indice de démocratisation des dictatures et des pays du « Sud ». Aujourd'hui, avec la post-vérité et la désinformation massive institutionnalisée par des États, le rêve du « savoir » s'est inversé. Voilà que le bon citoyen aspire à devenir le bon sauvage numérique. Qu'il se réclame de l'insulaire. Chercher à se soustraire au flux dangereux, pour l'individu comme pour la nation, de la désinformation, de l'intox méthodique. Comment ? Au prix d'une amputation majeure : en cédant sur son droit d'être au courant. Y renoncer pour vivre sainement, « chaste numériquement », hors des circuits des propagandes. Le plaisir de se sentir associé à l'élémentaire de la vie. Certains en concluent radicalement que, si on ne peut pas sauver nos sociétés, il faut tâcher d'épargner au moins à nos quotidiens le populisme et le grégaire numérique.
À l'ère des intox et du fil infini du faux. C'est un peu la vie rêvée de non-informé volontaire, le Robinson Crusoé des actualités : consacrer son temps à soi. Observer le monde à partir de ses capteurs sensoriels, désirer l'exactitude et la neutralité, garder l'équilibre dans le grand fleuve du faux planétaire. Voilà une redéfinition du stoïcisme à l'heure du numérique, du bonheur par le retrait et de la vie par la rupture. Une ascèse à défendre ? Un peu. Peut-être juste un droit ou, au moins, un rêve de bien-être. Revenir au Nokia 3310, à la lenteur et à l'attention équitable, à la santé de l'information, à la tranquillité du « peu informé ». Voilà donc où l'on se retrouve à l'ère des intox et du fil infini du faux : poussé à apprécier ces moments hors écran qui proposent la vie immédiate et le monde sans filtre. La joie de la moyenâgeuse et rudimentaire vérité des sens.
Le peut-on ? Pas dans l'absolu. Mais en défendre la radicalité, c'est un peu proposer un contrepoids à l'empoisonnement universel. Rappeler modérément l'opportunité d'un salut numérique, le droit sanitaire à la méconnaissance. « Je me déconnecte, car je suis » n'est pas un slogan si bête, même s'il s'avère peu citoyen. Conclusion ? Pour certains, l'info a subi des mutations, de la réinvention de la propagande par le nazisme à l'intox numérique et, aujourd'hui, à l'emprise de l'intelligence artificielle. Autant s'en préserver et réclamer son avantage par l'ignorance humaine. Mais le non-informé volontaire est-il plus vertueux que le surinformé contaminé.
Source le Point par Par Kamel Daoud
Source le Point par Par Kamel Daoud
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