Certains analystes estimaient que Joe Biden pouvait attendre l’été avant de se lancer. La volonté de ne pas entretenir un faux suspense, de mettre son propre camp en ordre de bataille et de commencer sans tarder les levées de fonds – pour une campagne qui s’annonce comme la plus coûteuse de l’histoire – l’a emporté.
La vidéo ne parle que de valeurs et de démocratie, de « bataille pour l’âme de l’Amérique », sans un mot pour l’économie. Elle promet une forme de continuité, de stabilité rassurante contre le risque de chaos incarné, selon le président, par le camp républicain. Les mots employés – droits, honnêteté, dignité, respect, égalité… – se veulent tous en contraste avec le vocabulaire en vogue dans la droite MAGA (« Make America Great Again », selon le slogan de Donald Trump), devenu le pivot du Grand Old Party.
« Rien de plus sacré » que la liberté individuelle, dit Joe Biden dans son clip. Or cette liberté est menacée, selon lui, par le monde MAGA, « réduisant la sécurité sociale pour laquelle vous avez cotisé toute votre vie, tout en réduisant les impôts pour les plus aisés. Dictant aux femmes quelles décisions de santé elles peuvent prendre, bannissant les livres, disant aux gens qui ils peuvent aimer. Tout cela en vous rendant plus difficile la possibilité de voter ».
Le premier argument de Joe Biden, pour 2024, avec la vice-présidente, Kamala Harris, une nouvelle fois à ses côtés, sera donc le même qu’en 2020 : le rejet de l’adversaire. Le taux d’approbation du président dans l’opinion publique demeure assez bas – autour de 40 % – et un pessimisme domine au sujet de l’orientation générale du pays.
« Finissons le travail »
Le clip de campagne fait des allusions claires à l’électorat féminin, avec la question explosive de l’avortement, aujourd’hui en dispute dans de nombreux Etats, ainsi qu’aux électeurs noirs. On y voit notamment des images de Ketanji Brown Jackson, la juge afro-américaine qu’il a nommée en février 2022 à la Cour suprême.
Ces deux segments de la population se voient ainsi rappeler un argument-clé du candidat démocrate : il ne s’agit pas d’aimer Joe Biden, mais de se souvenir des menaces qui pèsent sur leurs libertés fondamentales en cas de victoire du camp républicain. C’est une mobilisation par le risque, plus que par l’adhésion à un homme si connu des Américains, déjà sept fois candidat à une sénatoriale depuis 1972 et quatre fois sur un ticket présidentiel, auprès de Barack Obama ou en tête d’affiche, depuis 1988.
« Finissons le travail », conclut la vidéo. Cette expression, souvent employée ces derniers mois par Joe Biden, traduit sa volonté d’inscrire dans la durée les réformes qu’il a lancées. C’est le sens de ses nombreux déplacements sur le terrain depuis janvier : le président démocrate cherche à raconter un rétablissement industriel américain, un réarmement économique dans la perspective du choc des modèles avec la Chine.
Son bilan à ce jour est considérable du point de vue législatif, malgré une majorité chétive au Congrès pendant deux ans. Il a réussi à faire passer des investissements massifs – notamment dans les infrastructures, l’économie verte ou les microprocesseurs – en déplaçant vers la gauche le point d’équilibre de son propre parti, converti à un protectionnisme assumé.
En se lançant à nouveau dans la course à la Maison Blanche, Joe Biden va se confronter à trois défis, intimement liés : la possibilité d’une revanche dans les urnes face à Donald Trump, son âge avancé (80 ans) et, enfin, le très faible appétit du public pour cette répétition éventuelle de l’élection de 2020.
Grand favori à l’investiture républicaine, en attendant l’entrée en lice du gouverneur de Floride, Ron DeSantis, Donald Trump a 76 ans. Joe Biden en aurait 82 au moment de débuter un second mandat. Tous les sondages publiés ces derniers jours montrent qu’une majorité d’Américains ne veulent ni de l’un ni de l’autre. Selon une étude pour NBC News, 70 % des personnes interrogées sont hostiles à une nouvelle candidature de Joe Biden.
Même chez les démocrates, 51 % partagent cet avis. L’âge du président est le facteur déterminant de crispation. L’appareil démocrate, discipliné, veut gagner. L’électorat démocrate et indépendant, lui, apprécierait de l’air frais. Cette idée d’un choix par défaut, d’une absence de renouvellement des offres politiques, n’est pas encore fermement cimentée, à près de dix-huit mois de l’élection présidentielle.
Inquiétudes liées à sa santé
L’avance confortable de Donald Trump dans les sondages pour l’investiture républicaine va subir l’épreuve judiciaire. Après sa première inculpation à New York – pour avoir « orchestré » une série de paiements afin d’étouffer trois affaires embarrassantes avant l’élection de 2016 –, l’ancien président pourrait en connaître d’autres, cet été, pour les interférences dans le dépouillement du scrutin en Géorgie en 2020 et la conservation indue de centaines de documents classifiés après son départ de la Maison Blanche. Cette accumulation de nuages noirs, qui conduisent Donald Trump à ne parler que de lui-même et à poser les termes d’une guerre civile contre un supposé « Etat profond », peut encore avoir des effets imprévus.
Tandis que Joe Biden officialisait sa candidature, son équipe de campagne commençait aussi à prendre forme. A sa tête se trouvera Julie Chavez Rodriguez, directrice des affaires intergouvernementales à la Maison Blanche. Six codirecteurs nationaux ont aussi été désignés, dans un panachage politique savant : on y trouve un vétéran de 82 ans, James Clyburn, élu de Caroline du Sud à la Chambre des représentants, le sénateur Chris Coons (Delaware), proche du président, ou encore Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan, considérée comme l’une des figures démocrates les plus prometteuses.
Il s’agit donc bien de tenir le Parti démocrate, de le faire avancer en rangs serrés derrière Joe Biden. Aucune personnalité de premier plan, notamment dans l’aile gauche, n’a osé remettre en cause l’idée d’une nouvelle candidature du président. En octobre 2022, pendant la campagne de mi-mandat, Tim Ryan, candidat malheureux dans l’Ohio pour le poste de sénateur, avait émis le souhait d’un « changement générationnel ». Mais ce vœu est resté sans écho.
Les inquiétudes de bon nombre de démocrates et de stratèges affiliés à leur camp restent cantonnées à des cercles fermés, hors micro. Elles sont toutes liées à la santé de Joe Biden, à sa capacité à supporter les exigences d’une campagne présidentielle, épreuve physique redoutable, sollicitation permanente, exposition maximale.
Il en a l’expérience ? Certes. Mais en a-t-il la résistance, lorsqu’il lui faudra multiplier les meetings en 2024, tout en poursuivant ses activités à la Maison Blanche ? Pour l’heure, son équipe compte sur l’avantage du sortant, à l’œuvre tous les jours, affichant son souci du bien commun, tandis que les républicains vont entrer dans la phase active et violente de la campagne des primaires.
Vote par défaut
En 2020, la pandémie avait permis à Joe Biden d’éviter les déplacements et ces rencontres multiples sur le terrain. Depuis son entrée en fonctions, les chaînes conservatrices traquent ses moindres faux pas, ses bafouillements, ses propos peu maîtrisés. Une chute à vélo ? Moqueries. Une difficulté d’orientation au moment de sortir de scène ? La démonstration supposée que ses capacités cognitives seraient atteintes.
Pourtant, Joe Biden a une activité soutenue, comme l’a montré son récent déplacement en Irlande ou encore son voyage inattendu à Kiev, le 20 février. Lors de son discours sur l’état de l’Union, le 7 février, il a manifesté du répondant et du sang-froid face à des élus républicains hostiles, l’invectivant parfois.
Dans l’histoire politique américaine, vingt-six présidents se sont présentés à leur propre succession, et seize ont réussi leur pari. Parmi les échecs les plus récents figurent George Bush en 1992 et Donald Trump, qui s’obstine à ne pas reconnaître sa défaite, en 2020. Les conditions d’un vote par défaut se mettent en place, celles d’une confrontation épuisante entre deux vieux lutteurs fourbus, se méprisant mutuellement.
Chacun est secrètement convaincu que l’autre constitue son adversaire idéal, pour des raisons différentes. Joe Biden mise sur le phénomène de rejet de l’extrémisme trumpien. Ce rejet lui a en partie permis d’être élu président fin 2020 avec un nombre record de 81 millions de voix, puis d’élargir la majorité démocrate au Sénat de façon inattendue lors du scrutin de mi-mandat, en novembre 2022.
De l’autre côté, Donald Trump dessine un tableau apocalyptique de l’Amérique sous son successeur, celui d’un pays en déchéance et en décadence. Pour attaquer le bilan Biden, il mise sur des angles classiques pour la droite : l’inflation – bien que revenue à un niveau plus tolérable, à 4,1 % sur un an –, la criminalité et l’immigration.
Les élus MAGA à la Chambre vont continuer le harcèlement de l’administration et de la famille Biden au travers de différentes commissions d’enquête. Enfin, Donald Trump compte insister sur l’âge de son adversaire et sa supposée incapacité à assumer la plus haute fonction pendant quatre années supplémentaires.
Les commentateurs conservateurs prédisent à Joe Biden un sort à la Jimmy Carter, président sortant défait par Ronald Reagan en 1980. Mais le scénario de l’époque était fort différent, en dehors du contexte économique difficile. Reagan était une figure nouvelle et attractive sur la scène nationale. Donald Trump, lui, propose une restauration dont une majorité d’Américains ne veut pas. Il porte une promesse de fractures familières et douloureuses, là où Joe Biden rêve d’une réconciliation nationale impossible.
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