05/04/2023

Donald Trump face à la justice à New York : le récit d’une folle journée

Qu'il pleuve ou qu'il vente, tous les jours, Don Folden est assis devant la Maison-Blanche, à Washington, avec un panneau où il est écrit : « Arrêtez de vous détester parce que vous n'êtes pas d'accord. » Mardi 4 avril, il a pris le train pour New York, ville sur les nerfs avant la comparution de Donald Trump, premier président américain de l'histoire à être inculpé au pénal. « C'est le moment que j'ai attendu, là maintenant. Mais il faut qu'on se parle. On est tous définis par des mots en -isme, mais si ma partie du navire sombre, la vôtre ne va pas rester hors de l'eau ! » philosophe-t-il. Pense-t-il que la mise en examen de Trump va aider à la concorde ? « Il faut bien commencer quelque part », espère-t-il.

À observer les scènes qui se déroulent dans le square bordant le tribunal de Manhattan, on peut en douter. Deux permis de manifester ont été accordés, aux pro et aux anti-Trump. Un couloir de barrières sépare les groupes. En attendant son arrivée, les médias profitent du spectacle. Certaines chaînes ont monté leur tente il y a deux semaines, lorsqu'il a annoncé, à tort, qu'il serait arrêté trois jours plus tard. La veille, certains ont délimité des marquages au sol, inscrivant au scotch de couleur le nom de leur chaîne. Certains se sont installés à 2 heures du matin.

Une Amérique irréconciliable

Vers 9 heures, le côté anti-Trump est presque vide. Nadine est venue du Maryland, à 3 h 30 de voiture. Elle voulait fêter ça : « On s'est tellement battus pour qu'il ne soit pas réélu en 2020 ! » Elle a participé à la Marche des femmes, qui a manifesté contre Donald Trump dès son investiture en janvier 2017. « J'ai poussé des gens à voter, sinon on vivrait en dictature aujourd'hui. » Elle aurait adoré le voir marcher menotté, « et qu'on prenne son mugshot », les photos judiciaires. « Je sais que ça n'arrivera pas, mais il va se retrouver devant le juge, ça me suffit ! » À côté, Karen, debout sur un muret, agite un drapeau : « J'emmerde Trump et je t'emmerde, toi qui as voté pour lui. » Elle savoure : « Pour la première fois depuis longtemps, on peut faire semblant de croire que notre système judiciaire s'applique à tous, même à des hommes blancs riches. » Les pro-Trump, pourtant, sont plus nombreux que les anti. « Il y en a chez nous qui pensent que si on ne lui accorde pas trop d'attention, il disparaîtra, explique-t-elle. Mais on a vu un million de fois que ce n'était pas vrai. Il faut se montrer, pour qu'ils voient qu'ils ne sont pas le cœur du pays, qu'ils ne sont pas en majorité ! » Le « nous contre eux » n'est pas près de disparaître.

Vers 10 heures, ça s'anime chez les pro-Trump. Dion Cini, qui se dit ancien marine, casquette Maga sur la tête, tempête : « Regardez les comptes de Goldman Sachs, des entreprises de shipping, du bâtiment. Montrez-moi leurs comptes, et ensuite je veux bien m'intéresser à ceux de Donald Trump ! » L'acte d'accusation est encore secret, mais on sait qu'il porte sur les paiements à des femmes pour acheter leur silence. Cette approche est assez « nouvelle », même selon les experts démocrates, pour permettre toutes les théories chez les républicains. Peu avant 10 heures, le représentant de Long Island, George Santos, fait une apparition aussi brève qu'audacieuse sur le square. Il a menti sur à peu près tout sur son CV et les journalistes s'en donnent à cœur joie. « George, vous allez vous rendre à Ground Zero ? » (Il a prétendu que sa mère était morte lors de l'attentat sur les Twin Towers, le 11 septembre 2001). « George, parlez-nous de votre carrière de joueur de volley-ball, on veut savoir ! » (Il a inventé qu'il était un joueur star d'une équipe de Manhattan) « Vous avez récemment été diplômé en droit ? C'est pour ça que vous êtes là ? » (Il a menti sur ses diplômes) Et puis, un manifestant : « Menteur ! Sac à merde ! » Il s'enfuit, non sans avoir exprimé son « soutien pour le président ». Lorsqu'on lui demande si Trump devrait rendre des comptes s'il se confirme qu'il a commis un délit, il répond : « Ce n'est pas un délit. C'est une vieille affaire. »
C’est ce qui arrive dans les pays communistes, pas les États-Unis d’Amérique !Marjorie Taylor Greene

Mais la plus grande star de la journée, outre Trump, est Marjorie Taylor Greene, représentante de Géorgie, qui sort de sa voiture vers 10 h 30, dans une nuée de caméras. « C'est ce qui arrive dans les pays communistes, pas les États-Unis d'Amérique ! lance-t-elle. Nous devons nous dresser contre l'injustice, la corruption et les démocrates communistes. » « MTG », qui s'est fait connaître en relayant des théories complotistes de QAnon, est devenue l'un des membres les plus influents du Congrès, en soutenant le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy. Il se murmure qu'elle pourrait être vice-présidente de Trump en 2024 et elle concourt pour le titre de la plus loyale envers lui. Elle tente aussi de policer son image et a confié qu'elle ne considérait plus les médias comme des « fake news », depuis qu'elle a une liaison avec un animateur de la chaîne d'extrême droite, RSBN. L'interview qu'elle lui accorde dans sa voiture ne confirme pas vraiment cet essai de normalisation.

Trump comparé à Mandela et Jésus

« Le président Trump rejoint les gens les plus incroyables qui ont été arrêtés dans l'Histoire, soutient-elle. Nelson Mandela a été emprisonné. Jésus a été arrêté et assassiné par le gouvernement romain. Il y a beaucoup de gens qui ont été persécutés par des gouvernements radicaux et corrompus. Et ça commence aujourd'hui, à New York. Et je n'arrive pas à y croire, mais je le soutiendrai toujours, il n'a rien fait de mal. » Debout sur un banc, les Jeunes Républicains, à l'origine de la manifestation, se succèdent. Jack Posobiec, à qui l'on doit la théorie du Pizzagate (selon laquelle les démocrates stockaient des enfants dans une pizzeria de Washington pour les manger), déclame : « Je vais vous dire pourquoi on est ici aujourd'hui. Joe Biden, les démocrates et les médias sont terrifiés devant le peuple de ce pays, ils ont peur de l'Amérique libre. Et c'est pour ça qu'ils veulent mettre le président Donald Trump en prison. Ce cortège de voitures que vous avez vu hier [lundi 3 avril, en Floride, quand Trump est parti, NDLR], c'est le cortège funéraire de notre république. Mais nous allons reconstruire l'Amérique. » La foule scande : « USA ! USA ! »

Les équipes de Trump avaient annoncé qu'il se rendrait au tribunal à 11 h 30, pour sa convocation à 14 h 15. Des groupes compacts de caméramans et de photographes, debout sur des escabeaux, parqués derrière des barrières métalliques, accrochés aux échafaudages, attendent. Il arrive finalement de la Trump Tower à 13 h 10, par une rue adjacente. Adresse un bref signe aux téléobjectifs. Quelques « Thank you, Donald ! » fusent.

Les premières photos publiées par les médias qui ont eu accès à l'intérieur du tribunal le montrent, visage fermé, silencieux. Il a plaidé non-coupable aux 34 chefs d'accusation de falsification de documents comptables. Ils sont sans grande surprise. Stormy Daniels, actrice de porno avec laquelle Trump a eu des relations sexuelles en 2006, a été payée 130 000 dollars en 2016. Les virements ont été enregistrés comme des « services juridiques » fictifs. Entre 2006 et 2007, Karen McDougal, mannequin du magazine Playboy, a entretenu une liaison avec Donald Trump. En 2016, elle a vendu son témoignage en exclusivité pour 150 000 dollars au National Enquirer. Le tabloïd de New York ne l'a jamais publié, il s'agissait en fait d'étouffer l'affaire. En 2021, la Commission fédérale électorale américaine avait déterminé qu'il s'agissait d'une contribution de campagne illégale. La falsification des comptes, délit mineur à New York, en devient un grave s'il vise à commettre un autre délit, en l'occurrence le fait d'étouffer des affaires pour influencer le résultat d'une élection, la présidentielle de 2016 à laquelle Trump était candidat. Trump « n'a cessé de falsifier des documents comptables de New York » et « a fait en sorte que d'autres fassent de même », a dit le procureur Alvin Bragg en conférence de presse plus tard dans l'après-midi. « Et pourquoi n'a-t-il cessé de falsifier ces documents ? Les preuves montreront qu'il l'a fait pour couvrir des délits liés à l'élection de 2016. » Voilà le procès qui s'annonce.

À peine une heure après sa convocation, Trump ressort, mâchoires serrées. Contrairement à la rumeur du matin, il ignore les questions des reporters. Le cortège repart pour l'aéroport. Il donnera sa version des faits ce soir, lors d'une conférence de presse à Mar-a-Lago. Quelques minutes avant d'entrer, il a subi un autre revers dans une affaire judiciaire majeure : la cour d'appel, à Washington, a décidé que ses proches collaborateurs devraient témoigner devant le grand jury. Celui-ci se penche sur ses tentatives de modifier le résultat de l'élection présidentielle de 2020, qu'il avait perdue contre Joe Biden, et qui ont mené à l'assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole par ses partisans. L'affaire de Manhattan n'est que la première d'une série noire pour un homme habitué à tout maîtriser.


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