Source NouvelObs
Pour le philosophe, cette crise fait exploser le « cercle de la raison » et signe l’agonie de la Ve République dont les institutions maltraitent la démocratie.
Michaël Fœssel De l’agonie des institutions de la Ve République.
On a l’impression de vivre une fin de mandat alors que l’élection date de moins d’un an, d’être dans un moment crépusculaire à l’aube du nouveau quinquennat. L’élection présidentielle, censée fixer le cap pour cinq ans, n’a rien réglé politiquement. Pire, elle a maintenu l’illusion selon laquelle les institutions de la Ve République étaient encore en mesure de créer un consensus sans brutalité. Le présidentialisme est à bout de souffle, le résultat des législatives (en ne conférant aucune majorité absolue) marquait une défiance à l’égard du pouvoir personnel. Or, l’usage du 49.3 pour un sujet aussi sensible que les retraites montre que la confiscation du pouvoir législatif par l’exécutif, déjà tendancielle dans nos institutions, a atteint un point de non-retour.Quand je parle d’agonie de la Ve, je pense aussi au fait qu’elle ait pu mener au macronisme si on définit ce dernier comme reposant – dans son aspect le plus illusoire – sur la fiction de l’abolition du clivage gauche-droite. Grâce à la mobilisation impeccable des syndicats, nous sommes sortis définitivement de cette fiction du consensus néolibéral, le fameux « cercle de la raison », qui irait de la social-démocratie à la droite conservatrice. Emmanuel Macron et son gouvernement ont misé sur cette réforme paramétrique pour reconstituer ce « cercle ». Mais ils se sont échoués sur un nouveau consensus : celui d’un refus qui va de la CGC à Sud en passant par la CFDT et la CGT.
Est-ce un gouvernement qui maltraite les institutions démocratiques ?
Ce sont les institutions de la Ve, aggravées par le quinquennat, qui maltraitent la démocratie. Le gouvernement actuel systématise un geste qui remonte au moins aux années Valls, lorsque les frondeurs du PS étaient réduits au silence par l’usage du 49.3. Alors qu’une élection est censée répondre à l’impasse, elle ne fait que la retarder en l’aggravant. Nous sommes tellement habitués à voter contre Le Pen que cela nous semble normal ; on sort de chaque présidentielle avec l’idée qu’on l’a encore gagné cinq ans. Il faut de moins en moins de temps pour déchanter et voir le spectre reparaître : « Et si la victoire de l’extrême droite était pour la prochaine fois ? ». La vérité est que les institutions présidentialistes de la Ve République se nourrissent d’une crise qu’elles perpétuent.
Nous avons tous suivi des cours de droit constitutionnel accéléré ces derniers temps avec le 49.3, le 47.1, le 44.3… ! Tout cela pour constater au final que les institutions existantes permettent l’adoption d’une loi contestée par la rue, rejetée par une majorité écrasante de ceux à qui elle va s’appliquer et qui ne sera finalement pas votée par l’Assemblée nationale. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, de voir la tension traditionnelle entre légitimité et légalité reprendre de la force. On oppose souvent démocratie représentative et démocratie participative, on constate aujourd’hui que l’affaiblissement de l’une entraîne celle de l’autre. Quand un gouvernement est sourd à la volonté du peuple, il se prépare à l’être à celle de ses représentants.
Selon moi, le recours au 49.3 valide a posteriori la stratégie de la LFI dite de l’« obstruction ». C’est le gouvernement qui, finalement, empêche le vote après l’avoir réclamé à cor et à cri. Peut-être le texte aurait-il été adopté en première lecture à l’Assemblée. Entre les deux lectures, la mobilisation sociale et le soutien constant des Français à la contestation ont joué sur la détermination de nombre de députés. Preuve que le temps est une dimension démocratique centrale. On ne gagne rien à gouverner dans l’urgence dès lors qu’il s’agit de décider de la vie des gens.
Comment expliquer ce passage en force ? Pourquoi cette absence de dialogue avec les partenaires sociaux ?
Les corps intermédiaires n’ont été associés à la décision ni par ce gouvernement, ni par ceux de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy. Les contourner est dans la logique de la monarchie présidentielle. En revanche passer par-dessus l’Assemblée, qui n’est pas un corps intermédiaire mais le lieu d’élaboration de la loi, est plus rare ! L’explication paresseuse est toute prête et on entend déjà la petite musique : « Décidemment, les Français sont ingouvernables… ». Il me semble plutôt qu’ils ont le désir d’être gouvernés autrement, voire de se gouverner eux-mêmes. Le nombre impressionnant de mobilisations sociales depuis 2010 n’exprime pas autre chose.
Si aucune motion de censure n’est votée, la question sera de savoir quoi, de la colère ou du ressentiment, va l’emporter. Le ressentiment est sans doute plus à craindre car il conjugue la tristesse et le sentiment d’impuissance. Plutôt que de miser une nouvelle fois sur les prochaines élections présidentielles en croisant les doigts pour que cela passe, il faudrait poser la question institutionnelle de manière sérieuse. Puisque le jeu ne produit plus que des frustrations, pourquoi ne pas modifier ses règles dans un sens plus démocratique ?
Le gouvernement a-t-il échoué à rendre légitime cette réforme ?
En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation.
Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique et membre du comité de rédaction de la revue « Esprit », Michaël Fœssel s’intéresse à l’articulation de la morale et de la politique. Il a notamment publié « Récidive. 1938 » (PUF, 2019) et « Quartier rouge. Le plaisir et la gauche » (PUF, 2022).
Nous sommes 65.000.000, la moitié des électeurs s'abstient, 1 à 2.000.000 s'exprime dans des manifestations plus ou moins brutales, c'est à dire expression d'un nombre important d'extrémistes qui sont prêt à bloquer le fonctionnement normal du pays pour que leur avis prime celui d'un gouvernement qui a le mérite d'exister et de ne pas être l'expression d'une dictature.
RépondreSupprimerIl reste à se demander où est la légitimité? et à calmer le jeu?
Je viens d'écouter cette émission de France culture 1998 . je vous la recommande
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