Poutine vient de découvrir à ses dépens les incertitudes de la guerre. Non seulement, l'ennemi a remporté une indéniable victoire autour de Kharkiv, mais il a prouvé en poussant son avantage que ce n'était pas un succès tactique : progressivement, il prend l'ascendant sur le champ de bataille. Dès lors, le président russe était contraint de réagir sauf à accréditer la notion d'un échec cinglant de « l'opération militaire spéciale ».
Vladimir Poutine a donc voulu marquer un coup d'arrêt à cette série d'échecs, ce qui supposait une double escalade, militaire d'abord avec la mobilisation de 300 000 hommes, et politique ensuite, en proclamant l'annexion de quatre provinces ukrainiennes ; le tout accompagné d'un discours d'une extrême violence à l'égard de l'Occident désormais décrit comme le vrai adversaire de la Russie. Il est vrai qu'avouer une défaite face à un voisin volontiers méprisé était difficile.
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Affirmations de détermination, ces annonces sont aussi des aveux de faiblesse. L'homme fort du Kremlin avait jusqu'ici soigneusement tenu la population à l'écart du conflit ; le voilà obligé de l'impliquer en appelant ses enfants sous les drapeaux. Il s'était présenté comme le tsar qui n'échoue jamais ; le voilà dans une impasse, dont s'inquiètent même les commentateurs les plus nationalistes. Or, rien ne permet d'espérer que la Russie puisse rapidement rétablir la situation. En effet, son corps de manœuvre qui se bat depuis maintenant sept mois sans relève ni renfort est épuisé et il faudra deux ou trois mois avant que les mobilisés puissent être armés et entraînés, sauf à les envoyer immédiatement au combat, ce qui ne ferait qu'aggraver la situation.
Renversement
Galvanisés par leurs succès, les Ukrainiens ont tout intérêt à profiter du désarroi de leur ennemi avant les boues de l'automne et les froids de l'hiver. L'attaque réussie contre le pont de Kerch en Crimée confirme que l'initiative est désormais passée de leur côté. Les prochaines semaines risquent donc de leur apporter d'autres victoires tandis que les Russes essaieront de reconstituer un front pour arrêter leur avance. Y parviendront-ils ? Qu'on en vienne à cette question prouve à quel point, nous vivons un incroyable renversement de situation qui voit le David ukrainien bousculer le Goliath russe.
Que peut donc faire Poutine pour éviter la défaite ? Mobiliser la Russie comme Staline en 1941 face à la percée allemande ? Mais, d'un côté, elle était envahie et, de l'autre, le dictateur pouvait s'appuyer sur le Parti communiste pour tendre avec la brutalité qu'on connaît toutes les forces du pays dans la même direction. Dissimuler l'ampleur de son échec et rechercher un cessez-le-feu ? Mais nul ne s'y tromperait à Moscou et d'ailleurs, les Ukrainiens n'en voudraient pas. Il ne lui reste donc dans l'immédiat qu'à espérer un retour à une guerre de positions.
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Ces difficultés de la Russie conduisent à revenir sur la menace de l'usage d'une arme nucléaire tactique. Aujourd'hui, cette hypothèse apparaît improbable : les porte-parole officiels de Moscou ont toujours eu soin de réaffirmer la doctrine traditionnelle de dissuasion qui fait de cette arme le recours ultime en cas de menace existentielle. Par ailleurs, on voit mal quelle serait la cible d'une telle frappe : impossible de viser l'armée ukrainienne qui est imbriquée dans les lignes russes, ou une ville ukrainienne. Peut-être une base ou un nœud de communication ennemi ? En tout cas, rien qui justifie le franchissement d'une ligne rouge qui susciterait l'indignation générale dans le monde. Mais, reste l'incertitude sur ce que ferait un Poutine acculé par une succession de défaites qui en viendraient à menacer son pouvoir.
Retenue américaine
Tout irrationnel qu'il paraisse, il est donc impossible d'ignorer ce scénario. Il faut dissuader les Russes de le suivre et, en cas d'échec, s'y préparer. L'administration Biden déclare le prendre au sérieux en faisant un parallèle avec la crise de Cuba en 1962, mais manifeste une retenue de bon aloi. La première certitude est que les États-Unis ne réagiraient pas avec des armes nucléaires, ce qui exclut une escalade dont nul ne pourrait prévoir l'issue. Cela étant, il y aurait inévitablement du côté occidental un raidissement de type conventionnel.
Deux types d'actions font l'objet de débats : l'une se contenterait de renforcer le soutien à l'Ukraine par l'envoi de matériels de guerre – comme des avions de combat – que jusqu'ici, l'Occident s'est gardé de livrer ; l'autre comporterait un engagement militaire contre la Russie, la gamme d'options pouvant aller d'une simple zone d'interdiction aérienne au-dessus de l'Ukraine jusqu'à des bombardements par exemple sur la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol. À l'évidence, Washington penche pour une réaction limitée.
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En tout cas, il apparaît de plus en plus que la gamme des options qui s'offrent à Poutine se restreint progressivement et qu'aucune ne lui garantit la victoire. Déjà, autour de lui, des craquements se font jour même si on n'ose pas encore le critiquer directement et si on s'en prend seulement aux militaires. Survivra-t-il à un échec ? Ne risque-t-on pas de voir au Kremlin plus nationaliste que lui ? L'invasion de l'Ukraine n'a pas encore porté tous ses fruits. Et ils ne peuvent être qu'amers…
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