Gilles Pison Démographe, directeur de recherche à l'Ined
toutes ses publications |
La population mondiale devrait atteindre 10 milliards de personnes en 2050, selon les projections de l’ONU. Ce qui suppose deux grands défis pour la planète, rappelle le démographe Gilles Pison.
Professeur émérite au Muséum d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et auteur de l’Atlas de la population mondiale (éd. Autrement, 2019), il explique que l’humanité devra affronter le vieillissement des populations au Sud qui ne disposent pas de systèmes de retraite et le changement climatique qui exige une modification profonde de nos modes de vie.
Quelles sont les projections démographiques pour les décennies à venir ?
Gilles Pison : Le 15 novembre prochain, la population mondiale franchira le seuil de 8 milliards de personnes, d’après l’Organisation des Nations unies (ONU). Nous étions 1 milliard en 1800. La population a donc été multipliée par huit depuis deux siècles.
Elle devrait continuer à croître pour atteindre autour de 10 milliards de personnes en 2050, mais guère plus ensuite, la croissance démographique décélérant. Ainsi, nous avons atteint un taux maximum de croissance de 2 % par an il y a soixante ans. Depuis, ce taux a diminué de moitié puisque nous en sommes à 1 % de croissance par an aujourd’hui.
« Les femmes ont aujourd’hui 2,3 enfants en moyenne chacune à l’échelle mondiale, contre 5 enfants en 1950. Et la tendance à la baisse devrait se poursuivre »
Ce taux devrait continuer de diminuer en raison de la baisse de la fécondité. Les femmes ont aujourd’hui 2,3 enfants en moyenne chacune à l’échelle mondiale, contre 5 enfants en 1950. Et la tendance à la baisse devrait se poursuivre. Dans le scénario moyen de l’ONU, la fécondité atteint 2,1 enfants par femmes en 2050 et 1,8 enfant en 2100, chiffres qui sont obtenus en prolongeant les tendances des dernières années.
Parmi les régions du monde où la fécondité est encore supérieure à 2,5 enfants par femme, il y a presque toute l’Afrique et une bande allant de l’Afghanistan jusqu’au nord de l’Inde en passant par le Pakistan. C’est là que se concentrera l’essentiel de la croissance démographique mondiale à venir.
Ainsi, l’Afrique, incluant l’Afrique du Nord, voit sa population presque tripler d’ici la fin du siècle dans la projection moyenne de l’ONU, passant de 1,4 milliard d’habitants aujourd’hui à près de 4 milliards en 2100. Aujourd’hui, un humain sur six vit en Afrique. Ce sera plus d’un sur trois à la fin du siècle dans cette projection.
Ces projections sont-elles sûres ?
G. P. : L’avenir n’est pas écrit. Mais les projections sont relativement solides quand il s’agit d’annoncer l’effectif de la population à court terme, dans les dix à trente prochaines années. La majorité des humains qui vivront en 2050 sont déjà nés.
On peut estimer sans trop d’erreurs la part des 8 milliards vivant aujourd’hui qui ne seront plus en vie en 2050, tout comme le nombre de nouveaux-nés qui viendront s’ajouter d’ici là, car leurs mères sont déjà nées pour la plupart et on connaît leur nombre. Il est donc possible de faire une hypothèse sur le nombre d’enfants qu’elles auront sans trop d’erreurs.
Penser que la population pourrait décroître tout de suite est une illusion. Car le seul moyen de l’obtenir serait une hausse brutale de la mortalité – personne ne le souhaite – ou une émigration massive vers Mars ! Quant à une baisse de la fécondité, elle est en cours, les femmes et les hommes ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants presque partout. Les deux tiers de l’humanité vivent dans un pays ou une région où la fécondité est inférieure au seuil de remplacement (2,1 enfants).
Mais il n’en résulte pas un arrêt de la croissance tout de suite en raison de l’inertie démographique. Même si la fécondité mondiale baissait immédiatement à 1,5 enfant par femme, comme en Europe, la population mondiale continuerait d’augmenter pendant encore quelques décennies car elle comprend beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, ce qui entraîne beaucoup de naissances. Quant aux personnages âgées ou très âgées, elles sont peu nombreuses à l’échelle mondiale. Le nombre de décès est donc faible.
« Le scenario moyen est considéré comme le plus réaliste dans l’état des connaissances. Dans ce scénario, la croissance démographique continue de décélérer jusqu’à un maximum de 10,4 milliards de personnes en 2080 »
Les projections de l’ONU sont fondées sur une expertise collective et des sources statistiques qui sont les recensements de population des différents pays. Par ailleurs, outre leur scénario moyen, ses experts envisagent des scénarios alternatifs, dont un, qualifié de « haut », qui envisage qu’au lieu de 1,8 enfant par femme en 2100, la fécondité remonterait à 2,3 enfants par femme. Dans ce cas, la population mondiale atteindrait 15 milliards d’humains en 2100. Ils prennent également en compte un scénario « bas », la fécondité baissant plus vite, pour atteindre 1,3 enfant par femme en moyenne en 2100, auquel cas la population serait de 7 milliards de personnes en 2100.
Mais aussi bien l’hypothèse haute que l’hypothèse basse sont très peu probables et le scenario moyen est considéré comme le plus réaliste dans l’état des connaissances. Dans ce scénario, la croissance démographique continue de décélérer jusqu’à un maximum de 10,4 milliards de personnes en 2080, avec une population qui stagne ou diminue légèrement à partir de cette date. Nous sommes presque arrivés à ce maximum. La croissance rapide de la population mondiale appartient au passé.
Une étude de la banque HSBC avance qu’il y aurait 4 milliards d’êtres humains en 2100. Elle est donc totalement fantaisiste ? Sur quoi ont-ils fondé leurs calculs ?
G. P. : Cette note de la banque, qui table sur une décroissance démographique, ne fournit pas d’explications sur la manière dont ces chiffres sont produits. Celui de 4 milliards d’êtres humains n’est d’ailleurs pas dans leur note mais figure dans un article des Echos. Ce n’est en tout cas pas possible. C’est un chiffre sorti du chapeau qui ne s’appuie sur aucun travail sérieux.
Une telle réduction de la population d’ici à 2100 n’est pas plus probable que la chute d’un météore de la taille de celui tombé il y a soixante-trois millions d’années et qui a entraîné la cinquième extinction massive d’espèces et la disparition des dinosaures. Quant à une pandémie tuant la moitié de l’humanité, c’est aussi peu probable également, les humains étant de mieux en mieux armés pour lutter contre de nouvelles maladies, comme on l’a vu avec le Covid-19.
La majorité de la population est aujourd’hui asiatique. Comment va évoluer la population sur ce continent ?
G. P. : Depuis très longtemps, la majorité de l’humanité vit en Asie. Et cela va rester le cas jusqu’à la fin du siècle. Sur ce continent, la population de l’Inde devrait dépasser celle de la Chine l’année prochaine, chaque pays abritant actuellement autour de 1,4 milliard de personnes. L’Inde va continuer à connaître une croissance démographique alors que la Chine a atteint un maximum et devrait voir sa population diminuer dans les prochaines années.
Quels auront été les effets de la crise sanitaire sur la population ?
G. P. : On manque de recul pour dresser un bilan complet de l’épidémie de Covid-19 mais d’après l’ONU, elle s’est accompagnée d’une surmortalité de 15 millions de personnes en 2020 et en 2021, soit un surcroît de décès de 12 % chaque année puisqu’il meurt 60 millions de personnes par an dans le monde.
L’espérance de vie à la naissance a ainsi diminué de près de deux ans, passant de 72,8 ans en 2019 à 71,0 ans en 2021. Mais c’est une baisse temporaire. En 2022 et dans les années qui suivent, les tendances de la mortalité devraient reprendre dans la continuité de la période d’avant la pandémie.
« Globalement, l’effet de la pandémie a été très faible sur le plan démographique »
Quant à l’effet sur les naissances, dans les pays développés où nous avons des statistiques précises, on constate souvent un creux des conceptions pendant la première vague de l’épidémie qui a été partiellement ou totalement comblé ensuite. Le nombre de naissances n’a donc pas diminué, mais une partie d’entre elles a été retardée. Donc, globalement, l’effet de la pandémie a été très faible sur le plan démographique.
Quelle sera l’évolution démographique de la France ?
G. P. : La population française se situe autour de 68 millions d’habitants aujourd’hui et elle continue à croître d’année en année, même si son rythme de croissance a tendance à baisser. L’espérance de vie continue à augmenter. Mais comme la population vieillit, le nombre de décès augmente. D’autant que les générations nombreuses du baby-boom, nées entre 1945 et le début des années 1970, arrivent à des âges élevés, ce qui gonfle le nombre de décès.
Cela explique que nous voyions dans le même temps augmenter l’espérance de vie et le nombre de décès. Si la population française continue d’augmenter, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès auquel se rajoute le solde migratoire positif. Le premier excédent est appelé à s’éroder avec l’augmentation du nombre de décès, et la croissance, si elle continue, reposera de plus en plus sur l’excédent migratoire.
Quels seront les effets du vieillissement de la population au niveau mondial ?
G. P. : Le vieillissement de la population mondiale est la conséquence de la transition démographique. Il est inéluctable. Il résulte du fait qu’on vit de plus en plus longtemps. En France, le vieillissement devrait se poursuivre en raison de l’allongement de la durée de la vie.
Ailleurs, s’y ajoute la baisse de la fécondité en dessous de 2 enfants par femme. Les sociétés doivent anticiper le fait d’avoir une proportion plus élevée de personnes âgées. Même si on vit de plus en plus vieux en bonne santé, il faut prévoir les situations de handicap et de dépendance. Et adapter nos systèmes de retraites pour qu’ils perdurent.
Les pays du Sud ne possèdent pas de tels systèmes de façon généralisée. Il faut les bâtir très vite pour éviter que les actifs d’aujourd’hui ne finissent leur vie dans la misère. Autrefois, les personnes âgées étaient prises en charge par la famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vieillissement démographique a déjà commencé au Sud et il va y être plus rapide qu’au Nord. Il faut que les Etats s’emparent rapidement du sujet. Mais les gouvernants ont souvent une vision à court terme. C’est l’un des principaux défis de ce siècle.
Comment les migrations vont-elles modifier l’évolution de la population dans les différents pays ?
G. P. : Il faut préciser que les immigrés représentent une minorité de la population mondiale, moins de 4 % de celle-ci. Cela a peu changé depuis cent ans. Mais la répartition des immigrés n’est plus la même. On a assisté à un renversement des flux migratoires entre le Nord et le Sud, pour reprendre l’expression d’Alfred Sauvy, puisque ce sont désormais les pays du Sud qui fournissent une part importante des immigrés alors que c’était auparavant les pays du Nord.
Les migrants originaires d’un pays du Sud et vivant dans un autre pays du Sud sont les plus nombreux, ils représentent en effet près de 100 millions de personnes, les migrants Sud-Nord (nés dans un pays du Sud et vivant dans un pays du Nord), 90 millions, les migrants Nord-Nord, 60 millions, et le dernier groupe, les migrants Nord-Sud, 14 millions.
Le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources ne tiennent pas tant au nombre de personnes sur la planète qu’à nos modes de vie et à l’activité d’une minorité d’un milliard d’humains vivant en Amérique du Nord et en Europe
Les migrations internationales vont se poursuivre mais ne vont pas entraîner une redistribution de fond de la population mondiale, comme le supposent ceux qui craignent un afflux de migrants subsahariens en Europe et de Latino-Américains aux Etats-Unis.
Les migrations entre l’Afrique et l’Europe pourraient augmenter ne serait-ce que parce que l’Afrique subsaharienne représentera 22 % de la population mondiale en 2050, contre 14 % aujourd’hui. Mais l’Afrique subsaharienne connaît le taux d’émigration internationale le plus faible du monde et celle-ci se fait le plus souvent en direction de pays voisins.
Quant aux effets du changement climatique sur les migrations internationales, ils sont mal connus. Mais il est peu probable que cela entraîne des mouvements massifs de population d’un continent à l’autre.
La décélération démographique est-elle une bonne nouvelle du point de vue écologique ?
G. P. : Le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources ne tiennent pas tant au nombre de personnes sur la planète qu’à nos modes de vie et à l’activité d’une minorité d’un milliard d’humains vivant en Amérique du Nord et en Europe. Les pays du Nord sont les principaux responsables du dérèglement climatique survenu jusqu’ici.
Il est illusoire de penser pouvoir agir sur le nombre d’humains à court terme, alors qu’il est tout à fait possible de changer nos façons de vivre sans délai pour les rendre plus économes en ressources et en énergie et plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Les pays du Nord ont une responsabilité particulière dans ce domaine car leurs modes de vie servent de modèles et sont copiés par les autres pays.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.
J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.