16/09/2022

Énergie: comment les errements de l’État et les déficiences d’EDF mettent la France à genoux

lefigaro.fr 
DÉCRYPTAGE - La comparaison avec l’étranger est cruelle pour l’exploitant français.

La fierté de la France électrique, son parc de centrales nucléaires, à moitié au tapis. Alors que Vladimir Poutine a presque fermé le robinet du gaz russe pour asphyxier l’économie européenne, les 56 réacteurs auraient pu apporter une énergie dont l’Europe manque cruellement. Las. Plus de la moitié du parc est actuellement à l’arrêt. Cet hiver sera très tendu, car seuls environ 45 gigawatts sur une puissance totale de 63 gigawatts, tourneront.

D’ici décembre, l’exploitant doit remettre en route pas moins de 25 réacteurs. Tiendra-t-il le rythme? Les acteurs du marché de gros ne croient pas à la capacité d’EDF à réaliser cette remontada. En témoigne un prix du mégawattheure (1000 kilowattheures) de 1200 euros pour livraison en décembre. Cela correspond à un scénario plus noir que le plus pessimiste de ceux envisagés par RTE pour cet hiver.

De nombreuses causes d’inefficacités peuvent expliquer en partie le rallongement des arrêts de tranche

Résumé du rapport d’audit sur les arrêts pour maintenance

Le passif d’EDF en termes de retards au redémarrage de ses réacteurs n’incline pas à l’optimisme. Depuis 2016, l’exploitant a systématiquement plusieurs unités de retard sur ses prévisions à 90 jours. «Le prédicteur est toujours biaisé dans le même sens, et c’est le mauvais, tacle-t-on au sein de l’exécutif. Il faut qu’EDF se concentre sur l’opérationnel et qu’il soit attentif aux compétences.»

La direction d’EDF ne digère pas ce genre de critiques émanant des cabinets ministériels depuis plusieurs mois pour rejeter la responsabilité de la crise actuelle entièrement sur le groupe. Le sujet a fait l’objet d’un duel à distance entre Emmanuel Macron et Jean-Bernard Lévy. Le premier pointe les responsabilités opérationnelles de l’exploitant du parc ; le second déplore les errements de l’État stratège et l’absence de commande d’EPR durant la décennie 2010. «Il y a dix ans, si la filière avait pu lancer des chantiers, on aurait pu avoir plus de salariés que nous aurions pu déplacer vers les urgences à traiter sur le parc actuel, a martelé le PDG d’EDF lors de son audition à l’Assemblée nationale, mercredi matin. Cela explique l’absence de marge de manœuvre de la filière, en particulier sur les métiers les plus pointus.»

Le président de la République a rappelé son engagement en soutien de la filière nucléaire, avec le sauvetage d’Areva en 2015, le report à 2035 de la réduction à 50 % de la part de l’atome dans le mix électrique, et le discours de Belfort en février dernier annonçant la commande de nouveaux EPR.

En face, l’album souvenir d’EDF est rempli des petits et grands renoncements du politique dans le domaine nucléaire. Le projet d’EPR à Penly, annoncé par Nicolas Sarkozy en 2009, est resté plus d’une décennie en jachère. François Hollande, pour ménager ses alliés écologistes, n’a pas seulement décidé le sacrifice de la centrale de Fessenheim. Son gouvernement a mis trois ans à valider, sous une forme comptable au bilan d’EDF, la perspective d’un allongement de quarante à cinquante ans de la durée de vie du reste du parc, en d’autres termes, l’hypothèse qui fondait le grand carénage. En 2018, Emmanuel Macron a confirmé la fin de Fessenheim et communiqué sur le programme de fermeture de douze autres réacteurs entre 2025 et 2035. Cela en s’appuyant sur les hypothèses très conservatrices d’évolution de la consommation de courant produites, à l’époque, par RTE.

Soudeurs américains

De quoi expliquer les problèmes d’attractivité et de motivation chez EDF? Le groupe a, de son côté, tendu les bâtons pour se faire battre. Les retards de l’EPR Flamanville fournissent depuis dix ans le meilleur des prétextes à la procrastination politique. EDF souffre aussi depuis longtemps d’une faible disponibilité de ses centrales. Pour comprendre la multiplication des retards lors des arrêts pour maintenance, l’ex-ministre de la Transition écologique Barbara Pompili avait demandé à l’électricien qu’il fasse réaliser un audit externe sur le sujet. Un résumé de cette étude, rédigé par EDF, a été publié mardi. Il en ressort que «de nombreuses causes d’inefficacités peuvent expliquer en partie le rallongement des arrêts de tranche». Les auteurs relèvent que «si beaucoup d’exploitants étrangers ont connu des périodes difficiles de dérive des plannings d’arrêt, la plupart sont parvenus à remettre le processus sous contrôle, ce qui permet d’espérer que le parc EDF saura également réussir ce défi». Une façon alambiquée pour EDF de reconnaître une dérive de ses plannings. L’audit recommande donc la mise en place «d’un plan d’amélioration de la productivité».

La comparaison avec l’étranger est cruelle pour l’exploitant français. «Alors qu’il se vante d’avoir le parc le plus homogène et le plus gros géré par une même entité, ce qui devrait générer des gains d’efficacité, EDF est le plus mauvais élève», tacle un professionnel du secteur. Les arrêts classiques durent entre 70 et 119 jours en moyenne en France. C’est plus de deux fois plus long que dans le reste du monde. Les États-Unis, par exemple, font des arrêts de trente jours seulement et fonctionnent parfois en «trois-huit» pour réduire les durées. Le rapport d’audit avance que le «contexte réglementaire», en matière «du droit du travail», «explique notamment une partie de la différence de disponibilité du parc nucléaire français et de la durée des arrêts de tranche par rapport au benchmark international». «Les retards posent la question de la sous-traitance et des difficultés de trouver des gens compétents et formés», pointe pour sa part Virginie Neumayer, déléguée CGT.

«Personne n’est vraiment responsable de l’état du parc aujourd’hui: les centrales ont 40 ans, elles ont vieilli et nécessitent davantage d’attention», observe un ingénieur d’EDF. Un argument battu en brèche par un analyste spécialisé dans le nucléaire: «Si c’était vrai, alors tous les parcs nucléaires du monde verraient leur disponibilité chuter, ce qui n’est pas le cas.»

Ce problème de maintenance propre à EDF est aggravé par une conjonction d’événements prévisibles et exceptionnels tombant au pire moment. Le prévisible, d’abord. EDF réalise un gros programme de modernisation de ses 32 plus vieux réacteurs, qui atteignent les 40 ans. Dans le cadre de ce «grand carénage», cela entraîne des arrêts de cinq mois ou plus. Cinq de ces visites des 40 ans devaient débuter cette année, cinq autres en 2023 puis cinq encore en 2024. Il était su depuis plusieurs années que les hivers compris entre 2021 et 2024 seraient tendus sur le plan électrique. En 2014, l’ex-patron d’EDF Henri Proglio, qui espérait son renouvellement alors qu’il était, déjà, interpellé sur la disponibilité du parc, s’engageait devant les députés à ce que «pendant les travaux du grand carénage, la durée d’indisponibilité des réacteurs ne dépasse pas celle que nous connaissons actuellement, puisque les travaux seront réalisés dans le cadre de la maintenance du parc».

S’est ajoutée à ce programme de modernisation à 50 milliards d’euros la pandémie. Or le parc nucléaire a le Covid long. L’arrêt des opérations de maintenance durant un mois au printemps 2020 a provoqué un effet domino dans le planning de maintenance qui ne s’épuisera pas avant 2023-2024.

C’est dans ce contexte qu’est tombée, en décembre dernier, la pire nouvelle possible: un défaut de série inattendu sur ses réacteurs les plus puissants. Les réacteurs auscultés, aujourd’hui au nombre de quinze, voient leurs arrêts allongés de plusieurs mois. Certains ne seront pas au rendez-vous cet hiver. L’ensemble de ces facteurs explique que la production nucléaire d’EDF restera très basse en 2023: entre 315 et 345 térawattheures (TWh) contre 393 TWh en 2018, a annoncé le groupe mardi.

Pour faire face, EDF doit, selon nos informations, faire venir une centaine de soudeurs américains de Westinghouse d’ici la fin de l’année. Le gouvernement s’affaire à faciliter l’obtention de leurs visas.

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