Le Point : Plus de six mois après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, pensez-vous que la « diplomatie du téléphone » de Macron avec Poutine a porté ses fruits, même en partie ?
Anders Fogh Rasmussen : Je peux dire franchement que ce n'était pas un succès. Macron nous a étonnés dès le début de la crise par une déclaration pour le moins singulière et critique selon laquelle il ne fallait pas humilier Poutine et lui offrir une rampe de sortie. De tels propos ont été désastreux et profondément nocifs. Ce n'était pas à nous de trouver une issue au chef du Kremlin. Il n'y a qu'une seule voie : les Russes en dehors de l'Ukraine. Emmanuel Macron a nui à L'Ukraine et l'a affaiblie. Il a affaibli la cohésion internationale, et je crois qu'il le regrette maintenant et tente de reprendre l'initiative.
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Récemment, Macron a tenu un discours devant l'assemblée annuelle des diplomates français à Paris. Il a reconnu lui-même que la diplomatie du téléphone n'était pas le chemin à suivre, qu'on devait se préparer à un long conflit et que la France était prête à soutenir l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire. Le président semble avoir appris la leçon et tiré les conséquences, et je me félicite de ce changement de cap.
Comment évaluez-vous les soutiens des pays occidentaux à l'Ukraine, en particulier celui de la France ?
À mon avis, trois partenaires sont en pointe dans l'aide à Kiev : les États-Unis, le Royaume-Uni et la Pologne, ainsi que l'Union européenne qui a apporté un soutien économique important.
En revanche la France déçoit quand il s'agit de l'assistance militaire à Kiev. Naturellement, elle a fourni des armements lourds (canons, missiles antichars), mais c'est peu au regard de la France, qui est la puissance militaire dominante au sein de l'UE et le pays avec la plus forte industrie de l'armement en Europe.
Dans ce contexte, le soutien de la France à l'Ukraine est bien loin de ce qu'on pouvait attendre d'un si grand pays. Pour parler chiffres et en pourcentage du PIB, ses livraisons sont bien en dessous d'autres pays, tels l'Allemagne, le Danemark et même les États baltes. Paris doit faire plus, et peut faire beaucoup, beaucoup mieux.
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Vous présidez, à la demande du président ukrainien Zelensky, un groupe international pour préparer des recommandations à Kiev sur la manière de garantir la sécurité, l'indépendance et l'intégrité territoriale futures de ce pays. Où vos travaux en sont-ils ?
Nous sommes en train de peaufiner le texte, qui sortirait courant septembre. Je ne peux en dévoiler les détails. Mais je dois souligner que tous les membres du groupe s'accordent sur le fait que la sécurité de l'Ukraine à long terme est avant tout sa capacité de se défendre elle-même, d'avoir des forces solides et suffisantes, sans restrictions et sans limites pour dissuader des agressions russes. Il n'est pas question que la Russie impose ses conditions de neutralité ou de grandeur de cette armée.
Et les alliés de l'Ukraine, les États-Unis en tête, mais aussi l'Allemagne, la France et d'autres, s'engageraient pour la construction d'une telle armée de dissuasion.
En 2014, vous étiez encore à la tête de l'Otan au moment de l'entrée des troupes russes en Ukraine. Avez-vous le sentiment que l'Occident a réagi trop timidement face à Poutine ?
On a clairement fait des erreurs, on a échoué en réagissant trop faiblement à l'intervention de Poutine. La première erreur remonte à 2008, lorsqu'il a envahi la Géorgie. Nous avions alors des réactions trop timides en adoptant des sanctions très faibles et avions donné un mauvais signal au maître du Kremlin. On a vu ensuite en 2014 comment Poutine peut, sans presque en subir de grandes conséquences, s'approprier les terres de son voisin et annexer illégalement la Crimée. On a ainsi, par nos faiblesses, ouvert la voie à l'invasion de l'Ukraine le 24 février.
Nous avons commis beaucoup d'erreurs et on doit apprendre la leçon de l'Histoire : en accommodant les dictateurs, on contribue à l'éclatement des conflits et des guerres et on accepte un nouvel ordre mondial où règne la loi du plus fort. C'est pourquoi nous devons être résolument fermes face aux dictateurs.
La France et le Danemark ont quitté le Mali après de nombreuses années de lutte contre les groupes terroristes au Sahel. Est-ce un aveu d'échec ?
Il faut rappeler que c'est la junte militaire au Mali qui a exigé le départ des troupes françaises et danoises. Et il est difficile d'aider un gouvernement qui ne le souhaite pas. On n'y peut rien et il est clair qu'on peut voir dans ce retrait une capitulation face aux terroristes. Mais on ne peut pas être partout et il faut concentrer nos efforts.
Et on a appris la leçon des nombreuses erreurs en Afghanistan, en Irak et en Libye. Maintenant, il faut combattre Poutine car son attaque contre l'Ukraine est une attaque contre toute l'Europe et contre la démocratie. C'est pourquoi nous avons créé en 2017 l'Alliance des démocraties. Je pense qu'il est essentiel que les démocraties mondiales s'unissent, fassent front commun contre les dictateurs et les terroristes.
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Un an après le départ des troupes américaines d'Afghanistan, avez-vous le sentiment que les efforts de l'Otan de pacifier et démocratiser ce pays ont été vains ?
Je regrette beaucoup la manière dont nous nous sommes retirés d'Afghanistan. Un retrait chaotique, trop précipité et trop tôt. On a l'impression que nos efforts dans ce pays depuis 2002 ont été vains. Mais ce n'est pas juste. On a accompli beaucoup de progrès dans ce pays. Les femmes ont obtenu des droits, on a encouragé l'éducation de la population, démocratisé un peu la société. Certes, la démocratie afghane n'était pas parfaite, mais elle a donné beaucoup d'espoirs et créé des progrès dans cette société.
La liberté est ce que nous avons de plus précieux, notre plus grande force, et il se peut qu'on essaie de la limiter, l'étouffer, mais, à long terme, elle vaincra toujours.
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