Les chocs ont changé de nature : ils ne relèvent plus de l'accident mais deviennent un régime permanent. La prochaine mandature est d'ores et déjà placée sous le signe des ruptures et des secousses, puisqu'elle cumulera la persistance du Covid sous une forme endémique, le risque de stagflation, le basculement des secteurs de l'énergie et de l'alimentation dans une logique d'économie de guerre, la remontée des taux d'intérêt, la reconfiguration du système mondial autour de la grande confrontation ouverte entre les démocraties et les régimes autoritaires. Le futur chef de l'État devra donc être armé pour gérer les crises.
Les démocraties, qui reposent sur la poursuite de la prospérité et de la paix ainsi que sur la stabilité des classes moyennes, sont inévitablement mises en danger par les secousses historiques, dont la gestion exige d'importants sacrifices de la part de leurs citoyens. Comme à la fin du XIXe siècle ou dans les années 1930, la montée des populismes est ainsi la conséquence directe de la multiplication des chocs depuis le début du XXIe siècle.
Institutions essoufflées
La Ve République a ainsi été conçue par le général de Gaulle comme un régime destiné à surmonter les grandes épreuves, effectuant la synthèse entre la république, la monarchie et l'empire, tout en tirant les leçons de la débâcle de juin 1940 et de l'impuissance de la IVe République à gagner la guerre ou à faire la paix en Algérie. D'où le rôle de garant de la nation dévolu au président, à charge pour lui de rassembler les Français autour de sa vision, et d'assurer à l'État la capacité d'agir en toutes circonstances.
Taillées pour les périodes de tempêtes, nos institutions ont cependant perdu de leur efficacité pour les affronter. La monarchie républicaine a dérivé vers une extrême centralisation et un affaiblissement des contre-pouvoirs, qui ont compromis le rôle de stratège dévolu au président. La fusion de la classe politique avec la haute administration a accouché d'un État obèse et impuissant, coupé de l'économie, de la société civile et du monde extérieur. La communication a pris le pas sur l'action et la démagogie sur le courage. Face à des risques globaux qui exigent un État agile, une coopération étroite entre acteurs publics et privés, une forte mobilisation de la société, une confiance élevée des citoyens dans les institutions et les dirigeants, le modèle français montre des signes inquiétants d'obsolescence.
Le premier tour de l’élection présidentielle a révélé une nation épuisée, désorientée et divisée en trois blocs antagonistes.
La France connaît de nouveau une période critique de son histoire mouvementée, cumulant difficultés intérieures, défis numérique et climatique, renouveau des menaces existentielles sur sa sécurité. Elle partage, notamment avec ses partenaires européens, d'être en première ligne devant l'impérialisme russe, de devoir réarmer mais aussi convertir à marche forcée les modèles économiques pour réintégrer les contraintes de souveraineté et de résilience.
Notre pays entre dans cette nouvelle ère avec le passif de quatre décennies de décrochage économique, une situation de surendettement public (112,9 % du PIB) et privé (248 % du PIB), un système politique fragilisé. Le premier tour de l'élection présidentielle, avec 61 % de vote protestataire et un taux d'abstention de 26,3 %, a révélé une nation épuisée, désorientée et divisée en trois blocs antagonistes sur les plans démographique, sociologique, économique et territorial. Mais face à l'épidémie de Covid comme à l'attaque de l'Ukraine, les Français ont aussi montré qu'ils pouvaient faire preuve de résilience, d'adaptabilité et de créativité. Et certains traits caractéristiques de notre culture et de notre organisation, comme le sens de l'intérêt général, la mémoire de la planification, les partenariats entre secteurs public et privé, peuvent se révéler précieux dans un moment où le rapport de force s'inverse entre l'État et le marché, entre le collectif et l'individuel.
Moment décisif
Le prochain quinquennat sera donc dominé par la gestion des crises. La capacité d'action du chef de l'État sera conditionnée par l'obtention d'une majorité parlementaire et marquée par une campagne tronquée, une forte abstention, un vote dominé par le rejet, l'absence d'un mandat fort. Pour relever le défi, il faudra donc définir un cap clair – la défense de la liberté politique –, élaborer une stratégie qui utilise les chocs comme autant de leviers pour moderniser le pays, l'adosser à un véritable contrat de gouvernement, mobiliser les élus, les entreprises et les citoyens, coopérer étroitement avec nos partenaires et nos alliés.
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Dans ce moment décisif pour la France, mais aussi pour l'Europe et la démocratie, les Français ont une responsabilité historique. Rarement, la formule de Démosthène n'a sonné aussi juste : « Je crois d'un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent. » Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il existe en effet une ligne de fracture irréductible qui sépare la liberté de l'autoritarisme, la responsabilité de la démagogie.
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